Mobilité durable

Stationnement : frein à la mobilité durable... et cauchemar des urbanistes!

Stationnement : frein à la mobilité durable... et cauchemar des urbanistes!

Symptôme de notre dépendance à l’automobile, les terrains de stationnement sont de véritables casse-têtes pour les municipalités. Mais le problème n’est pas insoluble, comme en témoignent les mesures audacieuses de certaines villes.

23 heures sur 24

Une heure par jour ! C’est en moyenne la durée d’utilisation d’une automobile privée. Le reste du temps, ce véhicule demeure stationné, immobile ! Autrement dit, pour que l’usage de l’automobile privée soit possible, il faut que son conducteur, qui part nécessairement d’une case de stationnement, ait la certitude, au terme de sa route, d’aboutir sur une autre case de stationnement. C’est la condition sine qua non de ce type de mobilité : l’aménagement « d’aires d’immobilité ».

Or, ces cases de stationnement doivent être multipliées par le nombre des activités liées à la vie courante. Car le navetteur prend son automobile non seulement pour se rendre au travail, mais aussi pour faire ses courses, se divertir, se faire soigner, etc. Autant d’endroits où il doit pouvoir garer sa voiture. Donald Shoup, chercheur et professeur d’urbanisme à UCLA, a ainsi calculé que, aux États-Unis, on compterait 8 places de stationnement pour chaque voiture. Cela représenterait, au total, la superficie de l’État de la Virginie-Occidentale, soit 62 809 km!

Minimum ou maximum ?

Depuis le milieu du siècle dernier, les villes nord-américaines exigent des promoteurs qu’ils aménagent un nombre minimum de places de stationnement « hors rue » en fonction de critères très précis et tout aussi nombreux que les usages auxquels sont voués les bâtiments. Comme l’explique Donald Shoup, pour les hôpitaux, par exemple, ces exigences peuvent dépendre du nombre de lits ; dans le cas des terrains de golf, du nombre de trous ; celui des piscines, du nombre de litres d’eau et pour les centres funéraires…, eh bien, le chercheur préfère s’abstenir...

Toutefois, ces exigences minimales commencent à être revues à la baisse, comme Ottawa l’a récemment fait, quand elles ne sont tout simplement pas remises en question pour être remplacées par un seuil maximal d’espaces de stationnement. C’est, par exemple, le cas de Mexico, qui vient de prendre, à ce chapitre, un virage à 180 degrés ! Non seulement la Ville impose-t-elle un maximum d’unités de stationnement, mais elle exige que les cases désormais surnuméraires soient reconverties pour d’autres usages. La métropole mexicaine, qui souhaite ainsi accroître le nombre d’appartements à prix abordable, diminuer la congestion automobile et améliorer la qualité de l’air, a même créé un slogan pour faire la promotion de cette mesure « Moins de stationnements, plus de ville » (Menos cajones, más ciudad).

Résistance au changement

Évidemment, ce genre de mesure ne plaît pas à tous. Ainsi que nous l’a expliqué Florence Paulhiac, titulaire de la Chaire In.SITU (Innovations en Stratégies Intégrées Transport-Urbanisme), la relation entre les commerces et les espaces de stationnement repose sur une longue histoire et demeure un sujet très délicat suscitant beaucoup d’émotions. « Ce qui est compliqué pour les élus et les planificateurs, précise Florence Paulhiac, c’est que le fameux adage des années 1950, "No parking, no business", est demeuré très vif dans l’esprit des commerçants. Ils ont peur que la diminution des espaces de stationnement « sur rue », à proximité de leur établissement, ne décourage la clientèle. »

Des études ont pourtant montré que la conversion d’espaces de stationnement « sur rue » en faveur de l’utilisation du vélo, par exemple, ne nuit pas au commerce. Bien au contraire ! « Il faut démystifier l’idée que, avec moins de stationnements, on perd des clients, insiste Florence Paulhiac. Selon le type de commerce et sa localisation, c’est loin d’être le cas. Mais pour cela, il est nécessaire de repenser les usages. On peut ainsi raccourcir la durée du temps de stationnement pour augmenter la rotation des véhicules et donc compenser la perte d’espace. Et, bien sûr, il est essentiel d’améliorer les offres alternatives de déplacement pour attirer les piétons et les cyclistes qui, eux aussi, sont des consommateurs. »

Les coûts du stationnement

« Bien des voitures valent moins que l’espace de stationnement qu’elles occupent, particulièrement dans les garages souterrains, et la plupart d’entre elles ont une valeur inférieure à celle de toutes les cases de stationnements créées, par les lois, pour les desservir. »   -   Tood Litman

Selon ses calculs, Donald Shoup estime que, dans 99 % des cas, les automobilistes américains ne paient pas un sou pour se stationner. Ce qui ne veut pas dire que les espaces de stationnements ne coûtent rien. C’est simplement parce que la facture est refilée à l’ensemble de la collectivité. Autrement dit, aux payeurs de taxes et aux consommateurs, peu importe s’ils utilisent ou non une voiture. Situation inéquitable et contre-productive, juge par ailleurs Donald Shoup.

À ce propos, fait remarquer Florence Paulhiac : « Un des problèmes de la gratuité ou du faible coût des places de stationnement sur rue, c’est qu’ils engendrent le phénomène de la "voiture ventouse". Et ces voitures, qui restent garées au même endroit sur de très longues périodes de temps, saturent l’offre de stationnement et en exagèrent la demande réelle. »

Voilà, par exemple, tout le contraire du va-et-vient qui peut animer une station de vélos libre-service, comme le montre un vidéaste new-yorkais ayant compressé, en 30 secondes, une heure d’activité à l’aide d’une caméra fixe. Un exercice qui lui a ainsi permis de dénombrer, durant cette période, plus de 200 arrivées et départs de bicyclettes contre seulement 11 déplacements de voitures !

Cercle vicieux

Les enjeux que soulève la question du stationnement sont tout aussi complexes que paradoxaux. Car plus on multiplie ces espaces asphaltés, plus on accroît les distances entre les pôles d’activité et, donc, plus l’utilisation de la voiture devient nécessaire pour les rallier. Autrement dit, les espaces de stationnement posent un frein à la densification des quartiers ainsi qu’à la mobilité durable, ce qui accélère l’usage de l’auto solo, et entraîne donc une demande accrue de stationnement... Tout cela se traduit par un immense gaspillage d’espace public, car ces terrains de stationnement sont loin d’être toujours remplis au maximum de leur capacité.

Tood Litman donne un autre exemple de ce genre de paradoxe. Dans certains quartiers densément peuplés, où l’on souhaite favoriser une plus grande mixité des usages, avec entre autres l’émergence de nouveaux commerces de proximité, les exigences minimales de stationnement, héritées d’une autre époque, finissent par décourager les promoteurs d’aujourd’hui. Alors, à la place, ces derniers vont choisir de s’installer en périphérie, là où l’espace ne manque pas pour aménager des stationnements, mais où on ne peut se rendre qu’en voiture ! Une sorte de prophétie autoréalisée, ironise Todd Litman.

Mobilité durable

« Plus il y a de stationnements, plus il y a d’automobiles, souligne Florence Paulhiac. Or, c’est une situation de moins en moins tenable socialement, environnementalement et économiquement. D’ailleurs, certains décideurs commencent à comprendre que le stationnement, c’est un des éléments clés de l’utilisation de l’automobile. Par exemple, à Montréal, des arrondissements ont éliminé les normes minimales pour les remplacer par des seuils à ne pas dépasser. Ça commence à percoler ».

Bien sûr, il n’existe pas de solution miracle applicable partout de la même manière. En banlieue, où à plus de 90 % les gens dépendent de l’automobile, de longues phases de transition seront nécessaires pour parvenir à la reconquête de leurs espaces urbains.

« On ne peut pas avoir une politique de stationnement globale, estime Florence Paulhiac. Je privilégie plutôt des approches, qui certes visent à promouvoir un objectif commun de mobilité durable, mais qui surtout s’adaptent aux réalités des populations et des activités sur les territoires. Ça demande des diagnostics et des interventions très fines, mais aussi un leadership politique assez fort. »

Changer les règles

Depuis le milieu du 20siècle, les villes nord-américaines se sont développées autour de la voiture. De nombreuses règles, héritées de cette époque, continuent de codifier les usages, en contradiction souvent flagrante avec l’évolution des mœurs. Car de plus en plus nombreux sont les citoyens qui réclament des milieux de vie à échelle humaine et le droit à une mobilité durable. Bien sûr, beaucoup de nos infrastructures, qui datent d’un autre âge, sont là pour demeurer encore longtemps. Mais, plutôt que de regarder l’avenir dans un rétroviseur, on peut déjà commencer par changer les règles.

Un vent de changement

Mexico n’est pas la seule ville d’Amérique du Nord à revoir ses exigences minimales de stationnement. En janvier 2017, Buffalo devenait la première grande agglomération aux États-Unis à réaménager ses règles de stationnement, et ce, pour la première fois depuis 1940 ! Les autorités municipales souhaitent ainsi réparer la trame urbaine de leur ville trouée de partout par des terrains de stationnement.

Philadelphie, de son côté, a misé sur l’imposition d’une surtaxe applicable aux espaces de stationnement « hors rue ». Devenus moins attrayants, leur achalandage a diminué et leur superficie a décru de 7 % de 2000 à 2015. Voilà un bel exemple du « cercle vertueux » découlant d’une diminution de la dépendance à l’égard de l’automobile, ce qui, en retour, a permis d’accroître la « marchabilité » de la ville.

À Seattle, son maire vient de soumettre une proposition dans le but d’établir des exigences minimales de stationnement… pour les vélos !

À Montréal, un élu de l’opposition propose de taxer lourdement les grands parcs de stationnement de la Communauté métropolitaine de Montréal afin de contrer l’étalement urbain.

En quelques chiffres

30 m: c’est en moyenne la superficie nécessaire pour une case de stationnement hors rue (incluant la portion d’allée pour s’y faufiler)

4 à 5 cases de stationnements hors rue sont requises aux États-Unis en vertu des exigences minimales.

120 à 150 m: c’est donc la superficie des espaces de stationnement hors rue dédiés à chaque voiture, soit plus que la surface occupée par une maison de taille moyenne.

1 milliard : c’est le nombre d’espaces de stationnement hors rue obligatoires, puisque les États-Unis comptent 260 millions d’automobiles.

35 % : c’est la superficie combinée des routes et des stationnements dans les quartiers résidentiels des villes américaines.

50 à 70 % : c’est la superficie combinée des routes et des stationnements dans les zones non résidentielles des villes américaines.

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