Saine alimentation

Renégociations de l’ALÉNA: une menace pour la santé publique et la saine alimentation?

Renégociations de l’ALÉNA: une menace pour la santé publique et la saine alimentation?

L’administration Trump utilise les renégociations de l’Accord de libre-échange canado-américain (ALÉNA) afin que le Canada et le Mexique renoncent à l’imposition de logos nutritionnels sur le devant de l’emballage des produits transformés. Mais la résistance s’organise.

En mars dernier, le New York Times révélait le pot aux roses après avoir mis la main sur des documents confidentiels. Selon l’article du prestigieux quotidien, les négociateurs américains, poussés par la grande industrie agroalimentaire, tentent d’empêcher le Canada et le Mexique, mais aussi les États-Unis, d’adopter toute réglementation qui obligerait les compagnies d’apposer, sur le devant de l’emballage, des mises en garde nutritionnelles. D’ailleurs, dans son témoignage devant le Congrès américain, le représentant au commerce, Robert Lighthizer, a par la suite confirmé et justifié cette position en affirmant qu’un tel règlement d’étiquetage obligatoire s’apparente à du protectionnisme.

Directrice générale du Réseau pour une alimentation durable (RAD), Diana Bronson rejette du revers de la main cet argumentaire. « Le protectionnisme, c’est le mot qu’on emploie pour dénoncer n’importe quoi, précise-t-elle avec malice. Mais, que protégeons-nous en fait ? C’est la santé publique des Canadiens ! Nous ne vivons plus à l’ère du néolibéralisme à outrance où les règles du commerce international ont préséance sur les droits de la personne, sur la santé publique ou sur l’environnement. Il faut maintenant que les gouvernements soient capables de protéger leur souveraineté afin d’atteindre leurs objectifs en matière de santé publique, d’environnement et d’équité. »

Mobilisation binationale

Le 18 avril, des organismes en santé et nutrition, dont le RAD, ainsi que des universitaires, tant du Canada que du Mexique, unissaient leurs voix, par l’entremise d’une lettre, pour interpeller leurs gouvernements respectifs afin qu’ils rejettent la proposition américaine en matière d’étiquetage nutritionnel dans le cadre de cette renégociation de l’ALÉNA. La lettre est une initiative des autorités de santé publique mexicaine et qui ont demandé le soutien de leurs vis-à-vis canadiens pour exercer une plus grande pression sur le gouvernement d’Enrique Peña Nieto. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’une conférence de presse, mais seulement au Mexique.

« Au Canada, la situation est assez différente de celle du Mexique, explique Kevin Bilodeau, de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC et qui a chapeauté le volet canadien de la lettre. Le projet de règlement nécessitant un étiquetage sur le devant de l’emballage d’aliments de Santé Canada est bien avancé. Il a déjà fait l’objet d’une publication dans la gazette officielle. Le processus de consultation est en voie de s’achever de sorte que sa mise en application devrait débuter à la fin de cette année pour devenir obligatoire en 2022. Mais au Mexique, ils ne sont pas aussi avancés que nous. C’est pourquoi ils ont rendu la lettre publique lors d’une conférence de presse, alors que, de notre côté, nous avons préféré nous en tenir à des représentations auprès des parties concernées. Mais nous n’avons pas d’objection à ce que 100º la mette à la disposition de ses lecteurs. »

Du côté de la société civile américaine

Au lendemain du dévoilement de la lettre canado-mexicaine, c’était au tour du Center for Science in the Public Interest (CSPI), aux États-Unis, du publier une autre lettre signée par de nombreuses organisations en santé et en consommation, ainsi que par plusieurs universitaires. Essentiellement, les signataires pressent l’administration Trump de ne pas se servir de la renégociation de l’ALÉNA comme levier pour faire obstruction aux autres pays membres qui souhaitent mettre en place leur logo de mise en garde nutritionnelle. Le CSPI rappelle que les consommateurs ont le droit de savoir ce qui se trouve dans les aliments qu’ils achètent.

Kevin Bilodeau, comme d’ailleurs le CSPI, fait remarquer que les tactiques employées par la grande industrie agroalimentaire sont les mêmes que celles développées, dans le passé, par l’industrie du tabac : utiliser les accords commerciaux pour bloquer les politiques de santé publique qui nuisent à leurs intérêts commerciaux. À ce propos, Diana Bronson maintient que : « les règles commerciales ne sont pas des fins en soi, mais qu’elles sont censées être un moyen d’atteindre des objectifs de croissance, d’équité et d’épanouissement. En ce sens, le gouvernement canadien, qui affirme vouloir défendre la gestion de l’offre, doit se montrer tout aussi ferme en ce qui concerne ses politiques de santé publique. »

Une partie de bras de fer

Dans son article qui a déclenché cette mobilisation des acteurs de la santé publique, le New York Times expliquait que la Grocery Manufacturers Association, qui fait d’ailleurs partie du comité consultatif conseillant les négociateurs américains, redoute que le modèle de réglementation chilien s’exporte au sein des membres de l’ALÉNA. Un modèle qui a fait ses preuves, souligne Kevin Bilodeau, et dont l’industrie craint, plus que tout, les impacts. « Dès l’apparition des logos de mise en garde, rappelle-t-il, 92 % des Chiliens ont préféré se tourner vers des aliments qui ne les arboraient pas. Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la loi, l’industrie a reformulé près de 20 % de ses produits pour éviter le fameux logo sur ses emballages. »

« Je comprends que l’industrie n’aime pas que l’État s’invite sur le devant de leurs emballages, concède Kevin Bilodeau. C’est leur propriété et ils veulent pouvoir y véhiculer les messages qui sont les leurs. Mais il faut faire contrepoids à leur marketing positif qui trop souvent passe sous silence les aspects qui le sont moins. Et c’est le rôle des gouvernements de trouver le point d’équilibre entre les intérêts économiques de l’industrie et la protection de la santé de la population. »

Pour sa part, Diana Bronson regrette que la consolidation des puissances commerciales, le phénomène de la financiarisation et de la spéculation exercent une pression énorme sur le système alimentaire. « Mais je pense, par ailleurs, que les pressions des consommateurs et des citoyens partout à travers le monde, comme ici au Canada, expliquent les changements qui s’observent, comme l’annonce récente de la Politique bioalimentaire québécoise ou la Politique alimentaire canadienne. Les choses changent et doivent continuer d’évoluer. »

Aux dernières nouvelles le négociateur en chef pour le Canada, Steve Verheul, a déclaré que son pays s’oppose catégoriquement à la proposition américaine de bannir les logos de mise en garde sur le devant de l’emballage. À l’heure où les renégociations de l’ALÉNA entrent dans leurs rondes finales, c’est un dossier à suivre !

 

La libéralisation de la malbouffe

Une étude, publiée au début de l’année par le American Journal of Preventive Medecine, établit une forte corrélation entre l’accroissement subit des taux de surpoids et d’obésité au sein de la population canadienne et la signature de l’accord original de l’ALÉNA en 1989. Au banc des accusés, l’arrivée massive du fructose, provenant du sirop de maïs, dans les aliments transformés. Et ce n’est que l’un des sucres cachés que l’on retrouve dans la formulation des aliments industriels qui se bousculent sur les étalages des marchés d’alimentation depuis des décennies. Voilà d’ailleurs la raison d’être du projet de règlement nécessitant un étiquetage sur le devant de l’emballage d’aliments dont les taux de sodium, de sucre et de gras saturés dépasseraient le seuil de 15 % de l’apport quotidien recommandé : mieux informer les consommateurs pour qu’ils puissent exercer des choix éclairés.

Pour un Canada en santé

Rappelons que, en octobre 2016, le gouvernement canadien lançait sa Stratégie pour une saine alimentation dans le cadre de sa Vision pour un Canada en santé. Parmi les mesures phares annoncées à cette occasion, notons la révision du Guide alimentaire canadien, la limitation de la publicité s’adressant aux enfants et le renforcement de l’étiquetage nutritionnel, qui proposait notamment un « étiquetage sur le devant de l’emballage visant à aider les Canadiens à faire des choix plus sains et plus informés, particulièrement concernant les sucres, le sodium et les gras saturés ». Voilà qui est maintenant acquis. Il ne reste qu’à préciser les modalités d’application de ce nouveau règlement.

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