La pandémie de COVID-19 nous invite à remettre en question de nombreux aspects de notre organisation sociale, bien souvent tenus pour acquis, à commencer par la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Le temps est-il venu de miser davantage sur notre agriculture locale et de viser l’autosuffisance ?
Nous avons l’habitude d’avoir accès à tout, tout le temps. Il n’est donc pas surprenant de constater une certaine forme de panique dans les supermarchés lorsque vient le temps de faire nos emplettes en prévision d’un confinement pour une durée indéterminée. Nous faisons le plein de pâtes, de conserves et même de papier de toilette !
Pourtant le gouvernement du Québec a été clair depuis le début de la crise. « On ne prévoit aucune pénurie de nourriture, c’est important que les gens ne s’inquiètent pas, les épiceries vont continuer d’être approvisionnées », a insisté le premier ministre, François Legault, lors de son point de presse du 13 mars dernier.
La chaîne d’approvisionnement au Canada et au Québec est solide, les frontières ne sont pas fermées aux camionneurs qui transportent des produits essentiels, comme les aliments.
Oui, mais….
Tous ne partagent toutefois pas cet optimisme, à long terme du moins. Michel Saint-Pierre et Guy Debailleul, les coprésidents de l’Institut Jean-Garon, un organisme sans but lucratif ayant pour mission de contribuer à définir et faire évoluer les politiques agroalimentaires québécoises, ont récemment lancé un appel par voie de communiqué, s’inquiétant des conséquences de la crise dans les mois à venir. Selon eux, l’approvisionnement risque de graduellement s’affaiblir, à mesure que les camionneurs, travailleurs agricoles ou opérateurs des centres de distribution seront affectés par la maladie.
MM. Saint-Pierre et Debailleul donnent en exemple la Californie où le confinement obligatoire de ses 40 millions de citoyens aurait inévitablement un impact sur la production de fruits et légumes. En effet, quand on pense que la Californie produit plus du tiers des légumes et les deux tiers des fruits et noix des États-Unis, et que nous importons nous-mêmes une grande partie de ces aliments (les fruits frais, séchés et les noix sont la deuxième catégorie de produits la plus importée au Québec et le fournisseur principal est les États-Unis, selon les données du ministère de l’Agriculture, Pêcheries et Alimentation du Québec (MAPAQ) de 2018), il y a certainement lieu de s’inquiéter.
Il faut aussi se rappeler que la COVID-19 n’est pas la seule menace qui place sur la production alimentaire de la corne d’abondance américaine, qui souffre régulièrement de longues sécheresses et d’inondations occasionnelles. Chaque année, l’approvisionnement en fruits et légumes californiens peut donc être déstabilisé pour différentes raisons.
Mais nous n’importons pas toutes nos denrées de la Californie et nous produisons aussi une partie des aliments qui se retrouvent sur nos tables. Étant donné les incertitudes actuelles, ne serait-ce pas une bonne occasion d’améliorer nos pratiques pour solidifier davantage notre chaîne alimentaire locale ?
Un pas de plus vers l’autosuffisance
À première vue, l’idée de produire la majorité de nos aliments à l’année en fait sans doute rêver plusieurs. Et dans la situation actuelle, il est d’autant plus pertinent de replacer l’autosuffisance alimentaire au cœur de la politique bioalimentaire du Québec, dont la vision est de « développer un secteur bioalimentaire prospère, durable et ancré sur le territoire. »
Mais l’autosuffisance à 100 % est-elle vraiment une avenue réaliste ? « Ce n’est pas réaliste, soutient Michel Saint-Pierre en entrevue téléphonique, mais on peut certainement opter plus souvent pour des produits locaux à l’épicerie, et ce, à l’année. On gagne tous à être plus connectés et conscients de ce que l’on produit ici, et surtout, du potentiel de notre agriculture locale. »
L’idée n’est donc pas forcément d’éliminer tous les aliments importés, mais de favoriser ceux que nous produisons ici. Mais sommes-nous vraiment prêts à délaisser les aliments hors saison que nous consommons à l’année, comme les framboises, les bleuets et les brocolis ? Après l’opulence que nous connaissons depuis si longtemps, pourrions-nous vraiment nous résigner à ne consommer ces aliments frais qu’au cours des quelques semaines de l’année où ils sont disponibles au Québec ?
Outre la disponibilité des produits, le prix représente également un obstacle majeur à l’essor de nos aliments locaux. « Les gens prennent des décisions en fonction du prix plutôt qu’en fonction de la provenance », estime Michel Saint-Pierre. En effet, cultiver des aliments ici a un prix, le travail est dur et les maraîchers ne reçoivent pas les mêmes subventions que les producteurs de monocultures comme le maïs-grain et le soya, principalement destinées à nourrir le bétail élevé massivement. Mais pour valoriser la terre de chez nous, il faut d’abord et avant tout connaître sa valeur et ses qualités exceptionnelles.
Faire plus de place à notre terroir
Pour Michel Saint-Pierre, il est grand-temps de nous reconnecter à notre terroir, sa richesse et son immense potentiel, que nous avons tendance à sous-estimer. Nous aurions également tout avantage à encourager de meilleures pratiques agricoles, pour limiter le recours aux produits toxiques. « C’est comme si on avait oublié que la rotation des cultures est géniale pour gérer les insectes ou autres parasites et pour la qualité des sols, explique-t-il. On a plutôt misé sur le profit du revenu maximum par hectare. Mais je pense qu’on arrive à un point de bascule. »
Même si la véritable autosuffisance demeure pour l’instant un lointain idéal, il n’en demeure pas moins que nous aurions tout avantage à encourager la production en serre ou abritée, ce qui favoriserait l’essor de l’agriculture urbaine, de proximité, et durable. Ce sont d’ailleurs toutes des avenues réalistes, malgré la rigueur de notre climat et de notre environnement. Pour Michel Saint-Pierre, c’est avant tout une question de volonté et d’action politique : « Modifions tranquillement nos politiques et valorisons la biodiversité sur notre territoire. » L’appel est lancé !
Afin d’encourager les entreprises québécoises, en alimentation ou tout autre secteur d’activité, le gouvernement du Québec a créé Le Panier bleu, une sorte de bottin virtuel dans lequel on retrouve plusieurs commerces d’ici. On nous indique ensuite si la boutique est question est ouverte ou non, et nous redirige aussitôt vers son site. Bon nombre d’entre eux possèdent une boutique en ligne. Il est facile de les encourager, même si leur pignon sur rue est temporairement fermé.