Il était attendu et il n’a pas déçu. La Ville de Montréal a dévoilé son premier Plan d’action Vision Zéro. Un plan qui propose, déjà, 22 mesures pour mieux protéger les usagers les plus vulnérables de la chaussée, mais surtout un changement de paradigme majeur !
Intitulé Des assises solides pour mieux travailler ensemble, le Plan d’action Vision Zéro décès et blessé grave 2019-2021 pave la voie d’une démarche reconnaissant que « chaque personne, peu importe ses capacités physiques, son âge, son genre, son origine ethnique, ses modes de déplacement et son revenu, a le droit d’utiliser les rues et les routes, dans tous les quartiers montréalais, sans que cela ne constitue une menace à sa vie ou à sa santé ».
Un bon départ
Professeure-chercheure en géographie de la santé au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS, Marie-Soleil Cloutier se dit enthousiasmée par ce Plan d’action. « C’est un excellent point de part, précise-t-elle. À mes yeux, le Plan va assez loin. Il contient les clés nécessaires pour réaliser le changement de paradigme qu’implique la Vision Zéro. »
À ce chapitre, Marie-Soleil Cloutier note que la Ville commence le travail sur de bonnes bases. « Lorsque l’on détaille les 22 actions annoncées, explique-t-elle, on constate que les 10 premières visent, pour beaucoup, à changer les mentalités et les façons de faire, aussi bien au sein des unités administratives concernées que des partenaires engagés au dossier. Et c’est justement par là qu’il fallait commencer. »
« Bien sûr, enchaîne-t-elle, ça représente tout un défi ! Car ce sont des actions en continu qui vont prendre des années à se mettre en place, par exemple au chapitre de la collaboration, de la communication, du partage des responsabilités et j’en passe. Cela dit, on sent une volonté certaine de briser les silos. Et ça, c’est de bon augure. »
Actions sur le terrain
Les actions plus concrètes, au nombre de 12, qui visent le système routier, sont destinées à, entre autres : établir un meilleur partage de la route; aménager des parcours piétonniers et cyclables plus sécuritaires; sécuriser les abords des écoles; réduire les limites de vitesse et la circulation de transit; améliorer l’offre de transport collectif; accroître la sécurité des intersections; bonifier les feux de circulation, la signalisation et l’éclairage; assurer une meilleure cohabitation entre véhicules lourds et usagers vulnérables; adapter la gestion des chantiers. Un nombre considérable d’actions, donc, et qui devraient se déployer au cours des trois prochaines années.
« De ce point de vue, c’est un Plan d’action qui ne manque pas d’ambition, reconnaît Marie-Soleil Cloutier. Et toutes ces mesures sont bien entendu souhaitables, mais ça fait beaucoup de chantiers à mener de front. J’ai l’impression que tout ça va être difficile à réaliser en trois ans. Toutefois, on ne peut que saluer cette audace et espérer que, pour leur très grande part, ces mesures seront mises en place avec succès. »
La mesure des mesures
Un élément qui revient souvent dans ce document repose sur l’acquisition et l’analyse des données pour évaluer les impacts de ces interventions. C’est un nouveau défi à relever, souligne-t-on, dans un contexte où les enjeux de mobilité évoluent rapidement et deviennent toujours plus complexes. La situation était en effet plus simple à l’époque où la sécurité routière se limitait aux seuls véhicules automobiles. Mais la Vision Zéro, elle, tient compte de tous les usagers, en particulier les plus vulnérables, ce qui inclut les personnes à mobilité réduite.
C’est dans ce contexte que l’on peut lire, souligné à grands traits, que les prises de décisions doivent être basées sur les faits. En conséquence : « il devient nécessaire de nous doter de moyens pour mesurer objectivement et rapidement l’impact de nos interventions sur le terrain afin de mieux orienter nos actions futures et utiliser de façon optimale nos ressources limitées ».
À ce sujet, Marie-Soleil Cloutier émet un léger bémol. « Ne mettez pas ça de l’avant, prévient-elle, car ils font un excellent travail. Je ne veux pas donner l’impression de les critiquer. Mais c’est mon côté scientifique qui déplore ne pas voir plus souvent le mot "évaluation". On parle d’indicateurs, de mesures d’impact, de diagnostics, etc. Mais par évaluation, j’entends la prise de donnée avant, pendant et après une intervention sur le terrain. C’est la seule manière d’en brosser un portrait objectif. Mais j’imagine que ça va venir plus tard, dans un prochain Plan d’action. »
Les défis d’avenir
Il est encourageant de constater que le document de la Ville de Montréal semble pleinement assumer les concepts et le vocabulaire associés à la Vision Zéro. Il n’est plus question d’accidents qui sont déplorables, mais qui devraient plutôt être évitables. Et dont la récurrence est symptomatique de facteurs de risques systémiques. C’est dire, lit-on dans le Plan d’action, que : « ce sont donc des problèmes inhérents au système et touchant l’ensemble du réseau routier, particulièrement le réseau artériel, auxquels il faut s’attaquer ». Voilà un constat sans ambiguïté.
En plus de manifester une volonté ferme en faveur de la Vision Zéro, ce Plan d’action demeure à l’affût des tendances d’avenir susceptibles de changer la donne. Notamment les technologies dans le domaine de la mobilité intelligente, mais surtout au chapitre des petits véhicules électriques : trottinettes; planches à roulettes; véhicules d’aide à la mobilité, dont la multiplication va nécessairement poser des problèmes inédits de cohabitation et de partage de la chaussée. Déjà très populaires aux États-Unis, ils vont très bientôt faire leur apparition dans nos villes.
Selon Marie-Soleil Cloutier, c’est un des grands enjeux de la multimodalité. « En fait, souligne-t-elle, cette diversité de l’offre des nouveaux types de véhicules déborde du cadre de la Vision Zéro, parce que cela touche aussi à la planification des transports. Et comme le phénomène est somme toute assez nouveau, nous sommes dans le flou. Nous n’avons pas encore assez de données pour nous fixer des objectifs ou des limites en matière de sécurité routière, par exemple. »
« Il est par contre certain, poursuit-elle, que nous devons dès maintenant nous pencher sur ce phénomène. D’autant plus que la multiplication de ces modes de transport actif, en remplacement de la voiture, est souhaitable, même si, pour ma part, je crains un peu que les piétons n’en fassent les frais. Il va falloir s’ajuster, c’est certain, mais le potentiel est fort intéressant. Surtout que, dans bien des cas, ces petits véhicules pourraient résoudre le fameux problème du premier et du dernier kilomètre1 ! »
« Nous avons bien sûr de nombreux défis à relever, reconnaît Marie-Soleil Cloutier, mais avec ce Plan d’action Vision Zéro, le ton est donné. Il traduit une volonté claire de changer les vieilles manières de faire et de se tourner vers l’avenir. C’est un bon départ pour la mobilité durable !»
1C’est la distance « seuil » entre le domicile et l’accès au transport collectif, ou entre le dernier arrêt et le lieu de travail, à partir de laquelle le navetteur va plutôt opter pour la voiture.
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