Parler d’obésité suscite de plus en plus la controverse. Alors que cette condition est reconnue comme un facteur de risque de plusieurs maladies chroniques, certains considèrent qu’il est inapproprié de lui porter une attention spécifique par crainte d’alimenter la stigmatisation et d’engendrer des préoccupations à l’égard du poids.
D’autres jugent, au contraire, que c’est en parlant plus et mieux d’obésité que nous pourrons briser des tabous, réduire le désir de maigrir à tout prix par des moyens qui nuisent à la santé, en plus de lutter contre l’inexcusable mépris dont plusieurs obèses sont victimes.
Au cœur de ce débat, les décideurs ont la responsabilité de prendre des mesures urgentes pour améliorer nos milieux de vie qui jouent un rôle majeur en matière d’obésité et de maladies chroniques.Malheureusement, encore aujourd’hui, bon nombre d’individus persistent à croire qu’il ne s’agit que d’une responsabilité individuelle, alors que nous sommes loin d’être génétiquement égaux lorsqu’il s’agit du poids ou de la forme de notre corps.
Pour en finir avec la grossophobie !
Dès le jeune âge, les enfants ont une perception négative de leurs pairs obèses et ils leur attribuent souvent des qualificatifs associés à la laideur ou la paresse. Cette attitude hostile à l’égard des personnes bien en chair, que l’on nomme grossophobie, fait des ravages dans notre société.
Saviez-vous que le surpoids est rapporté par les jeunes comme la principale source d’intimidation au secondaire ? Les impacts découlant de la stigmatisation liée au poids sont souvent sous-estimés. En plus des problématiques de relations sociales, cette stigmatisation est associée à l’absentéisme, la diminution de pratique d’activité physique, la dépression, l’anxiété, une faible estime de soi et des pensées suicidaires. Elle peut aussi entraîner des comportements de contrôle du poids néfastes à la santé (ex. : sauter des repas, suivre des diètes restrictives, freiner ou exagérer la pratique d’activité physique, etc.). Une prise de conscience collective est donc nécessaire.
Au Québec, de plus en plus de voix se lèvent pour dénoncer la grossophobie. Elles dénoncent, entre autres, et à juste titre, les commentaires grossophobes et les injustices vécues par les personnes grosses dans les médias, les milieux de travail et même les cabinets médicaux.
Des visions cliniques qui s’opposent, une solution qui s’impose
Durant les dernières années, l’obésité a aussi divisé les professionnels de la santé. Trois courants principaux s’en dégagent. D’abord, celui de certains professionnels qui, invoquant un meilleur accès au traitement et la réduction des préjugés, réclament la reconnaissance de l’obésité à titre de maladie. C’est d’ailleurs ce que proposent les nouvelles lignes directrices de pratique clinique en lien avec l’obésité, dévoilées en août par le Journal de l’Association médicale canadienne.
D’autres défendent plutôt que c’est simplement un facteur de risque parmi d’autres. Pour ces derniers, reconnaître l’obésité comme une maladie peut conduire à la grossophobie, à la stigmatisation, et risque de causer des préjudices aux personnes grosses, notamment en matière d’emploi ou d’assurabilité. Certains évoquent même la possibilité d’être mince et à risque de maladie chronique alors qu’à l’inverse on pourrait être obèse et en santé.
Enfin, devant à la polarisation du débat, des professionnels évitent désormais d’aborder le sujet ou même de soutenir des mesures de prévention visant à réduire l’obésité dans la population.
Cependant, tous s’entendent pour dire que l’accompagnement régulier d’une équipe interdisciplinaire qualifiée a fait ses preuves pour améliorer la santé et la qualité de vie des personnes obèses comme de celles qui sont à risque de maladies chroniques liées au mode de vie. Malheureusement, l’accès à de tels services est largement insuffisant. Faute de prise en charge adéquate par le système de santé, trop de Québécois.es se tournent encore vers des moyens inefficaces, voire risqués, pour tenter de gérer leur poids.
Mieux vaut prévenir que guérir
S’il est vrai que bien des questions demeurent à propos de l’obésité, une chose est certaine : l’obésité et ses complications sont difficiles à renverser. Il n’existe pas de diète ni de produit miracle, pour perdre du poids de façon saine et durable. En outre les échecs à répétition affectent l’estime de soi et peuvent entraîner des problèmes de santé. De plus, être mince ou avoir un poids normal n’est pas forcément synonyme de santé. Ainsi, pour assurer la santé d’une population, la promotion des saines habitudes de vie est prioritaire et incontournable pour toutes et tous.
Un enjeu de société avant tout
Avec 1,7 million d’adultes obèses à travers la province, il est impossible de nier l’influence des milieux de vie et des politiques publiques dans la problématique de l’obésité. Cet enjeu nous concerne tous.
Actuellement, nos environnements ne facilitent pas des choix sains : les boissons sucrées sont omniprésentes; l’industrie alimentaire maquille plusieurs de ses produits pour leur donner des allures santé; le design urbain n’est pas entièrement favorable aux piétons et aux cyclistes; les occasions d’être actif et de bien manger à l’école ne sont pas toujours au rendez-vous; etc. Il est du devoir du gouvernement de s’assurer que touspuissent vivre dans des conditions qui permettent de manger sainement et de maintenir un mode de vie physiquement actif au quotidien, et ce, au bénéfice de la santé de tous.
Récemment, le Royaume-Uni s’est doté d’un plan d’action pour réduire l’obésité. Si on peut critiquer la manière dont il a été présenté, tout comme son approche souvent trop individuelle et stigmatisante, et même questionner certains éléments de son contenu, ce plan fait la démonstration que, en la matière, les gouvernements sont tenus de prendre leurs responsabilités et de passer à l’action.
Au Québec, les actions entreprises jusqu’à maintenant par le gouvernement demeurent nettement trop timides. Il faudrait plutôt que les efforts pour réduire le fardeau des maladies chroniques et de l’obésité soient soutenus par les politiques, les actions et les investissements des différents ministères.
À ce chapitre, plusieurs mesures prometteuses ayant démontré leur pertinence peuvent être mises de l’avant. Cela va de la taxe sur les boissons sucrées, dont les revenus sont réinvestis en prévention, jusqu’à la mise en place d’un système alimentaire équilibré et durable, en passant par le soutien aux garderies, aux écoles, aux municipalités, aux milieux de travail et autres milieux de vie pour les aider à mettre en place des environnements favorables aux saines habitudes de vie. Et qui sait, le jour viendra où il y a fort à parier que parler d’obésité n’entraînera plus la controverse.