Tient-on compte des besoins des enfants quand on aménage la ville ? Non, ont répondu les cinq panélistes réunis par la Fondation du Grand Montréal, le 31 octobre dernier à la Maison du développement durable. Notamment à cause de la sacro-sainte place accordée à l’automobile en ville. Morceaux choisis.
Quelle est la place des enfants dans l’environnement urbain ? demande Yvan Gauthier, président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal, dans la foulée du récent rapport Signes vitaux des enfants du Grand Montréal. «
Elle est à la fois énorme et nulle, répond d’emblée Juan Torres, professeur et vice-doyen à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Énorme parce que nous cherchons de plus en plus à concevoir les espaces urbains POUR eux, mais presque nulle en ce qui concerne les aménagements faits AVEC eux. Pourtant, il existe des outils pour accompagner les jeunes dans une démarche de co-conception de leur environnement. »
Un point sur lequel renchérit Anne Juillet, chargée de projets et de développement au Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM) en citant Jane Jacobs, une visionnaire canadienne en matière d’urbanisme : « Les villes ont la capacité de fournir quelque chose à tout le monde, seulement et seulement si elles sont créées PAR tout le monde. »
Le CEUM prône la capacité de chacun de contribuer aux projets collectifs et à la prise de décision. « Les enfants peuvent intervenir à presque toutes les étapes d’un projet, soutient Anne Juillet. Et on peut même leur donner du pouvoir en matière de budget », poursuit-elle, en citant l’exemple de Saint-Basile-le-Grand qui a mis 20 000 $ à la disposition des jeunes pour aménager un espace. Elle cite également le cas exemplaire de la ville de Boston, qui offre aux jeunes de 12 à 25 ans un budget participatif de 1 M$ chaque année depuis 2014 !
« On aménage la ville pour un piéton adulte en pleine possession de ses moyens. Les séquences des feux de circulation ne sont pas fixées en fonction des plus jeunes ou des personnes à mobilité réduite. » Anne Juillet, CEUM
Le rôle des adultes décideurs
« Donner la parole aux enfants est une bonne idée en soi, admet Patrick Morency, médecin spécialiste en santé communautaire à la Direction de santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal, mais ce sont des adultes qui prennent chaque jour des décisions qui continuent à faire fi de la mobilité durable. Les solutions sont connues, mais l’auto continue de garder ses droits, même si elle est dangereuse pour les enfants, qu’ils soient passagers, piétons ou cyclistes ! »
« Quand on s’installe en banlieue, on choisit la sécurité de ses enfants dans la rue devant la maison, mais on se déplace presque uniquement en automobile. Or, ces déplacements motorisés augmentent les risques d’accident pour les occupants de l’auto ET pour les autres usagers de la route. » Patrick Morency
La pollution de l’air
La circulation automobile est également une source de particules fines qui sont particulièrement nuisibles aux enfants, parce qu’ils se déplacent en ville à la hauteur des pots d’échappement. « La mauvaise qualité de l’air en ville est néfaste pour les enfants et les adultes. Elle est non seulement liée à l’augmentation de maladies respiratoires comme l’asthme, mais aussi à des taux plus élevés de maladies cardiaques », explique Karel Mayrand, le directeur général, Québec et Atlantique de la Fondation David Suzuki.
« L’aménagement des villes présente des enjeux de justice sociale. Les quartiers défavorisés sont plus minéralisés et plus pollués par les particules fines émises par les véhicules. L’échangeur Turcot ne passe pas dans Westmount… » Karel Mayrand
L’accès aux parcs
« Les installations dans les parcs doivent respecter certaines normes relatives à la sécurité des enfants, mais qu’en est-il de l’accès à ces parcs? demande Patrick Morency. Pour entrer dans certains grands parcs de Montréal, il faut traverser des rues de 4 à 6 voies où des véhicules circulent à haute vitesse. C’est incohérent ! »
Et, comme le fait remarquer Karel Mayrand, dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, le boulevard Henri-Bourassa compte jusqu’à 9 voies. « Comment envoyer des enfants jouer seuls au parc dans de telles conditions ? demande-t-il. De plus, les parents n’ont pas toujours le temps de les y accompagner, ce qui réduit beaucoup les occasions de jeu libre à l’extérieur et contribue à la sédentarité des jeunes.
L’accès aux milieux naturels : inéquitable
« Au-delà des espaces verts, il y a une grande iniquité territoriale et sociale en ce qui concerne l’accès aux milieux naturels et à l’eau, dénonce Coralie Deny, directrice générale du Conseil régional de l’environnement de Montréal. Par exemple, dans l’est de Montréal, il y a des jeunes qui ne sont jamais allés dans les parcs-nature dans l’est de l’île, parce que l’accès en transports collectifs est inadéquat. »
« Si on veut que notre société se construise sur l’enjeu du respect de l’environnement, il faut que les enfants et les jeunes aient accès à des milieux naturels, sinon, il sera difficile plus tard de les convaincre que c’est important de protéger ces endroits. » Coralie Deny
Les écoles : des bâtiments non durables et des cours en asphalte
« Comme se fait-il qu’encore aujourd’hui, des cours d’école sont amputées pour servir de stationnement aux enseignants, alors que souvent, les écoles sont accessibles en transport collectif ? s’interroge Coralie Deny. Pourquoi les principes du bâtiment durable ne sont-ils pas appliqués dans les lieux où les jeunes passent autant de temps ? On devrait leur offrir des lieux exemplaires et conformes aux politiques du 21e siècle. »
« Il existe pourtant des solutions faciles à mettre en œuvre pour améliorer et verdir les cours d’école », ajoute Anne Juillet, en citant les cas de l’école Étoile filante, où les enfants ont fabriqué eux-mêmes des modules en bois pour aménager leur cour (photo en une). Selon elle, la participation des enfants aux décisions et à l’action est une des conditions qui favorisent un changement de paradigme.
Les quartiers centraux… et les autres
« Sur le terrain, dès qu’on sort des quartiers centraux de Montréal, les politiques favorables aux déplacements durables et sécuritaires de la ville ne se concrétisent pas, déplore Coralie Deny. Il faudrait que la ville-centre se dote plutôt de programmes avec des objectifs précis. La mobilité ce n’est pas juste un quartier, car l’enfant se promène ailleurs. Il faut que les autres parcours, tous les parcours, soient sécurisés. »
Des solutions connues depuis longtemps
Tous les panélistes soulignent que la Ville de Montréal, qui cherche à retenir les jeunes familles, s’est dotée de politiques favorables au bien-être des enfants, à la mobilité durable et à la sécurité des déplacements (Vision Zéro), mais que l’action sur le terrain se fait attendre.
Ailleurs aussi, fait remarquer Karel Mayrand : « À Laval, à Mirabel, à Québec et ailleurs, bien des candidats aux élections municipales ont fait campagne sur des promesses d’autoroutes, alors que des investissements massifs en transport collectif et en aménagements favorables aux piétons et aux cyclistes sont la seule voie à favoriser pour améliorer la mobilité en milieu urbain », déplore-t-il en ajoutant que la culture de l’asphalte est encore beaucoup trop ancré dans toutes les sphères politiques et administratives au Québec.
« Quand un coroner recommande de construire une piste cyclable protégée à la suite de deux décès sur la rue Saint-Denis et qu’on réaménage à l’identique, on donne, encore une fois, la priorité à l’auto ! s’insurge aussi Patrick Morency. La majorité des enfants sont blessés dans les secteurs où il y a beaucoup de circulation. Et nous tolérons ces accidents en vertu de la sacro-sainte liberté de circuler en voiture ! »
Une note optimiste
« Ce qui est aujourd’hui vu comme de l’innovation en matière d’aménagement urbain va devenir la norme. » Karel Mayrand
Si les panélistes sont déçus de la situation actuelle des enfants en milieu urbain, tous travaillent activement à améliorer la situation. « Je suis assez optimiste, déclare Karel Mayrand. Nous sommes à un point pivot : les aménagements qui améliorent les milieux de vie se multiplient, ce qui rééquilibre les forces entre la circulation automobile et la liberté des résidents de profiter de leur voisinage. Et quand on aménage en fonction des enfants, ça profite à tout le monde. »
« Moi aussi je suis aussi optimiste, ajoute Patrick Morency, mais je suis impatient ». Une affirmation qui traduit bien l’état d’esprit de l’ensemble des acteurs qui souhaitent plus de justice sociale et territoriale pour les enfants, et plus d’aménagements favorables à leur épanouissement dans les villes.
Pour lire le rapport de la Fondation du Grand Montréal : Signes vitaux des enfants du Grand Montréal.