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Une étude, dévoilée par Équiterre, met en lumière les impacts du suremballage des aliments au Canada. Bien que cet enjeu soit complexe, l’organisme insiste sur le fait que des leviers existent pour faire avancer la cause du zéro déchet dans le secteur alimentaire. Extraits choisis.
Le nombre de commerces alimentaires qui mettent l’accent sur le vrac et le zéro déchet (ZD) augmente, mais reste marginal. Si ces petits détaillants sont passés à l’action, comment se fait-il que les grandes bannières ne l’aient pas encore fait ? Seize entrevues auprès d’acteurs de la chaîne de valeur des emballages et trois groupes de discussion auprès de détaillants en alimentation ont permis de mieux cerner cet enjeu.
Des perceptions en décalage avec la réalité
Au cours des entrevues et des groupes de discussion, les acteurs de l‘industrie alimentaire ont exprimé des doutes quant aux effets environnementaux positifs de l’offre ZD et au désir des consommateurs de changer leurs comportements.
Pourtant, au chapitre des impacts positifs des emballages réutilisables, une étude européenne décortiquant les résultats de 32 analyses de cycle de vie a conclu que 72 % d’entre elles sont favorables aux emballages réutilisables par rapport aux options à usage unique. L’achat en vrac est également préférable aux produits emballés selon les données recueillies par les organismes européens Reloop et Zero Waste.
En outre, l’intention de changement est assez élevée au sein de la population selon un sondage effectué auprès de 2 002 Canadiens et Canadiennes. En effet, plus de 50 % des personnes sondées se disent prêtes à adopter au moins une pratique ZD, principalement en faisant des achats en vrac dans leur commerce habituel. L’utilisation de contenants consignés est l’option la moins populaire.
La faisabilité et la rentabilité
L’industrie des emballages alimentaires et les détaillants ont également émis des doutes quant à la faisabilité et la rentabilité d’une offre ZD, au regard d’une gestion et d’une logistique internes complexes. L'enjeu des réglementations qui diffèrent d’une province à l’autre et même d’une municipalité à l’autre représente aussi un frein.
L’industrie des emballages souhaite une intervention gouvernementale pour établir des normes et interdire l’utilisation abusive d’emballages. Et, tout comme les détaillants, elle souhaite obtenir un appui financier et technique pour mettre en place des systèmes ZD. Les auteur·e·s du rapport d’Équiterre soulignent toutefois que le suremballage génère une quantité significative de matières résiduelles à gérer, et d’importants coûts relatifs à leur élimination, ou à leur recyclage, y sont associés.
Des législations et politiques qui manquent de mordant
Depuis novembre 2018, le Canada s’est engagé dans la mise en œuvre d’une Stratégie zéro déchet plastique. Cependant, même si le Règlement interdisant certains plastiques à usage unique a été adopté en 2022, sa mise en vigueur touche le secteur de la restauration, et ne modifie pas directement le panier d’épicerie. De plus, la feuille de route et le cadre de gestion pour les plastiques à usage unique ne proposent pas de cibles spécifiques pour le réemploi ni de mesures contraignantes pour accélérer cette transition.
Par ailleurs, les provinces ont le pouvoir de réglementer en matière d’usage unique, notamment au chapitre des contenants de boissons. Ainsi, la consigne sur les contenants à remplissages multiples comme les bouteilles de bière est une option assimilable au ZD. Cependant, au Québec, en 2019, il s’est vendu près de cinq fois plus de canettes de bière que de bouteilles, alors qu’en 2009, il y avait presque 12 fois plus de bouteilles que de canettes sur les tablettes des commerces.
La France et la Navarre passent à l’action
En France, plusieurs mesures et objectifs contraignants sont inclus dans des lois qui relèvent de différents ministères. Par exemple :
- Atteindre 5 % d’emballages réutilisés d’ici 2023 et 10 % en 2027.
- L’obligation pour les commerces d’accepter les contenants réutilisables personnels des consommateurs et consommatrices.
- L’obligation de vendre les fruits et légumes sans emballage.
- La mise en place d’un système de consigne privé (gratuit ou payant) pour les commerces de plus grande taille.
- L’application d’une tarification plus basse pour les personnes qui apportent leurs propres contenants.
- L’obligation pour les détaillants en alimentation de plus de 400 m2 de dédier 20 % de leur surface à la vente en vrac d’ici 2030.
Du côté de la région de Navarre, en Espagne, 80 % de la bière, 70 % des boissons non alcoolisées et 40 % de l’eau devront être mis en marché dans des contenants réutilisables d’ici 2028.
… ainsi que Prévost
Comme le précise Équiterre, les municipalités peuvent également agir. À Prévost, une municipalité de 13 000 habitants située dans des Laurentides, l’achat de bouteilles d’eau en plastique, de vaisselle à usage unique, de pailles et de verres à café jetables est soumis à une redevance depuis juillet 2022. Les montants collectés peuvent être utilisés par les commerces pour mettre en place des mesures de réduction à la source et des options de contenants réutilisables. C’est pour le moment une initiative d’écocontribution unique au Canada.
Les recommandations d’Équiterre
Au regard de cette étude, Équiterre émet des recommandations à l’intention de différentes parties prenantes pour accélérer la transition vers le ZD.
Gouvernements :
- Modifier le cadre législatif en vue d’objectifs contraignants, par exemple en imposant une offre de vrac pour certains produits.
- Fournir un soutien logistique et financier à l’industrie, par exemple en encourageant le développement des filières du réemploi et du vrac et en soutenant l’adaptation des opérations de l’industrie.
- Faire connaître et documenter les initiatives porteuses ZD.
Grandes bannières :
- Faire des marques maison un levier pour le déploiement d’une offre ZD
- Favoriser des circuits d’approvisionnement courts auprès des détaillants afin de réduire la quantité d’emballages secondaires et tertiaires.
Détaillants :
- Autoriser la clientèle à faire usage de ses propres contenants pour l’achat de produits frais et en vrac (cette politique, mise en place par plusieurs commerçants, n’a pas été remise en place après la pandémie)
- Ajuster la politique de prix pour favoriser le ZD
- Rendre l’offre d’aliments non emballés attrayante
Population :
- Continuer à acheter ZD ou amorcer la transition vers l’achat en vrac.
Pour arriver à réduire le suremballage et ancrer le principe du ZD au sein de l’industrie alimentaire, un profond changement de culture est nécessaire. Espérons que la nouvelle génération de dirigeants saura prendre cet enjeu à cœur et à bras-le-corps, grâce à l’appui des décideurs politiques. Et comme le dit si bien le titre d’un livre de Laure Waridel publié en 2005 : « Acheter c’est voter ».
Pour en savoir plus, consultez l’étude complète ou son résumé.