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Victime collatérale de la pandémie, délaissé par des usagers confinés ou craintifs d’être contaminés, le transport en commun demeure pourtant, et plus que jamais, un service essentiel. Toutefois, alors que se profile la sortie de crise, ses taux d’achalandage demeurent encore très faibles, tandis que l’auto solo semble reprendre du galon. Alors, comment rebâtir la confiance du public à l’égard du transport collectif ? Entretien avec Étienne Grandmont, directeur général d’Accès transport viable.
Les chiffres ne mentent pas. Malgré un léger rebond, les cinq plus grandes villes canadiennes peinent à rebâtir les clientèles de leurs sociétés de transport. Les taux d’achalandage actuels, comparés à ce qu’ils étaient avant la pandémie, se situent entre 48 % et 69 %. Résultat : les déficits anticipés des sociétés de transport se creusent, alors que le trafic aux heures de pointe est aussi dense qu’auparavant, malgré le télétravail.
Le transport collectif est sécuritaire
« Une certaine crainte risque d’être longtemps associée aux transports en commun, reconnaît Étienne Grandmont. Pourtant, ils demeurent très sécuritaires. Dès le début de la pandémie, les sociétés de transport ont mis en place des mesures de désinfection et d’entretien efficaces. Des pratiques qui ont de bonnes chances de devenir la norme. » Il rappelle, à ce propos, que l’on ne rapporte pas de cas d’éclosion de COVID-19 liés à l’utilisation des transports collectifs, malgré certaines légendes urbaines. Surtout parce que les usagers ont, dès le début de la crise, redoublé de prudence.
Bien sûr, convaincre les gens de ne pas succomber à l’ochlophobie (peur des foules) dans les transports collectifs ne suffira pas à rétablir les taux d’achalandage d’antan. « La pandémie a bouleversé les habitudes de vie des gens, explique Étienne Grandmont. Certains ont décidé de s’acheter une voiture, d’autres ont choisi de déménager dans plus grand et plus loin. Cela dit, certains facteurs peuvent concourir à la reprise. C’est notamment le cas avec la hausse du prix de l’essence. »
À ce chapitre, on peut citer le cas de la Nouvelle-Zélande où la première ministre, Jacinda Ardern, a profité de la flambée du prix du pétrole pour annoncer que, à compter du 1er avril, et pour les trois prochains mois, les Néo-Zélandais pourront utiliser le transport en commun d’un bout à l’autre du pays à tarif réduit. Une manière de venir en aide aux ménages et sans doute de redorer le blason du transport collectif…
Transport en commun ou routier ?
Récemment, le gouvernement fédéral s’est porté au secours des villes afin de compenser, en partie, la baisse de revenus des sociétés de transport durant la pandémie. Une bonne nouvelle, certes, mais qui ne règle pas le problème du sous-financement récurrent du transport collectif. D’ailleurs, dans son plus récent budget, le gouvernement provincial a dévoilé le nouveau Plan québécois des infrastructures 2022-2023 qui se traduit par une annonce 30,7 milliards pour le réseau routier, contre 13,4 milliards pour les transports en commun. Pourtant, ce même gouvernement avait promis d’investir autant en transport collectif qu’en transport routier, se désole Étienne Grandmont.
« Malgré un investissement record en transport collectif, le gouvernement est incapable de tenir sa promesse, alléguant que nos infrastructures sont vieillissantes. Bien sûr qu’il faut les entretenir, mais il est devenu surtout urgent d’amorcer une réflexion sur l’utilité de certaines sections du réseau. Il faut se questionner sur l’utilité de les maintenir alors que l’on pourrait déconstruire les portions sous-utilisées. » Une idée qui peut passer pour une hérésie, mais qui s’observe déjà aux États-Unis où des villes démolissent des autoroutes urbaines afin de les transformer en espaces publics.
« On ne peut pas continuer à élargir les autoroutes, à multiplier les échangeurs, à les surdimensionner ou à aménager de nouveaux liens, martèle Étienne Grandmont. Parce que ça favorise l’étalement urbain. Et ça crée de la demande induite, donc plus de déplacements en auto solo. Mais surtout, on pelte en avant des coûts d’entretien qui vont devenir incontrôlables. Bref, on refile une sacrée dette aux générations futures. C’est bien simple : la dépendance à l’automobile nous conduit dans un cul-de-sac financier. »
Le financement du transport collectif
On parle beaucoup de l’électrification des transports, au Québec, pour s’affranchir de la dépendance au pétrole, ce qui devient d’autant plus urgent à la lumière du plus récent rapport du GIEC. Or, et c’est un paradoxe, cela risque de tarir l’une des principales sources de financement des sociétés de transport, laquelle dépend justement des taxes sur l’essence. En lieu et place, un organisme comme Accès transport viable souhaite plutôt que l’on mise sur l’écofiscalité pour financer le transport collectif.
« Du même coup, précise Étienne Grandmont, nous pourrions infléchir le comportement des gens par des mécanismes de redevance, de captation de revenu, de taxation par zone, etc. afin de réduire le nombre de kilomètres parcourus en auto solo. Le principe est de dissuader les gens de prendre leur voiture pour les convaincre d’utiliser les transports durables. »
« À court terme, souligne-t-il, les paliers supérieurs de gouvernement doivent donc continuer de soutenir les budgets d’exploitation des sociétés de transport, et minimalement les maintenir au niveau où ils étaient avant la pandémie. Ce n’est surtout pas le moment d’augmenter la tarification ou de diminuer le service. »
« Et c’est aussi une question d’équité. Pour que toutes et tous puissent se déplacer sur leur territoire afin d’aller étudier, travailler, participer à la vie sociale, faire ses courses, se divertir. D’ailleurs, la pandémie nous a bien montré que le transport collectif est un service essentiel au maintien des activités économiques et sociales. »
La mobilité durable
Malgré la complexité de tous ces enjeux, Étienne Grandmont soutient que le gouvernement possède tous les outils nécessaires afin de diminuer la place qu’occupe l’automobile. Il cite notamment les trois leviers de sa Politique de mobilité durable : réduire, transférer, améliorer.
« On doit réduire les problèmes à la source, explique-t-il, par un bon arrimage entre l’aménagement du territoire et nos déplacements afin de diminuer les kilomètres parcourus. Bref, le meilleur plan de transport, c’est un bon plan d’aménagement. Il faut bâtir la ville de l’intérieur, sur elle-même. Augmenter sa densité en créant des noyaux de mixité fonctionnelle autour des stations de train, de métro, de tramway, de gares d’autobus. Ce qui en milieu rural se traduit par la consolidation de la rue principale, du noyau villageois. »
« Transférer, poursuit-il, signifie d’offrir des options pour se déplacer autrement qu’en automobile. Et pour cela, il faut développer une offre élargie de transports collectifs et actifs. Donc, plus de trottoirs, d’aménagements cyclables sécurisés, de rues partagées, de transports collectifs rapides, fréquents, et fiables… On doit demeurer conscient qu’il n’existe pas un mode de transport capable à lui seul de concurrencer l’automobile. Mais une offre modale diversifiée peut le faire ! »
Et, dernier levier : améliorer. Ce qui veut dire de miser sur l’électrification des transports. D’abord des autobus et des camions, ensuite des voitures partagées et des navettes autonomes. « Mais attention, l’électrification massive du transport individuel, ce n’est pas une solution pour la protection de l’environnement, prévient Étienne Grandmont. C’est juste une façon de sauver l’industrie automobile. Parce que l’automobile électrique privée ne va pas changer la donne en ce qui concerne notre occupation du territoire. Elle ne va pas réduire nos besoins en infrastructures très coûteuses, ni améliorer la sécurité routière et surtout pas atténuer la congestion routière. »
Bien entendu, même avec une multimodalité durable bien implantée, l’automobile ne va disparaître, surtout en région. Toutefois, Étienne Grandmont se prend à rêver du jour où elle va devenir, dans notre imaginaire collectif, aussi pittoresque qu’un cheval. Et que nous en venions à considérer la voiture automobile privée, non sans nostalgie, comme un simple loisir plutôt que comme un mode de transport.