Mettre l’agriculture urbaine au service d’une école et de tout un quartier, c’est le défi relevé avec brio par le projet des Jardins des patriotes. Aménagé sur le terrain de l’école Louis-Joseph-Papineau, en plein cœur du quartier Saint-Michel, à Montréal, l’immense jardin permet aux élèves de s’initier à la culture maraîchère, tout en alimentant la population en aliments frais et abordables. Une initiative d’entraide communautaire exemplaire !
L’idée de ce projet ambitieux germe en 2015 dans la tête de Karine Lévesque. Enseignante à l’école Louis-Joseph-Papineau en formation préparatoire au travail auprès des jeunes de 15 à 21 ans, elle songe à mettre sur pied un projet d’agriculture urbaine pour favoriser la préemployabilité chez ses élèves. « Il y avait un immense espace gazonné sur le terrain de l’école, raconte-t-elle. J’ai pensé qu’on pourrait y aménager un potager afin de nourrir la population du quartier Saint-Michel, qui est un désert alimentaire. » Elle s’inscrit alors à l’École d’été du Laboratoire d’agriculture urbaine. Cette semaine inspirante achève de la convaincre de la pertinence et de la faisabilité de son projet.
« Je voulais opérer la transition vers une agriculture de proximité produite par des jeunes, en arrimant des objectifs pédagogiques, sociaux et environnementaux qui rejoignaient les préoccupations des organismes du quartier. » - Karine Lévesque
Verdir l’école
Dès l’automne, Karine Lévesque présente son projet à la direction de l’école et aux organismes du quartier. « J’y ai cru dès le début, tient à préciser Pape Dione, directeur du PARI Saint-Michel. Ça allait dans le sens de notre mission et on a tout de suite décidé de s’impliquer. » Soutenu par l’Écoquartier Saint-Michel/François Perrault, chapeauté par le PARI Saint-Michel, le projet ne tarde pas à prendre vie. Karine Lévesque obtient le feu vert de la direction de l’école et ses élèves démarrent 1200 semis au cours d’un atelier d’horticulture. Puis armés de détourbeuses, de rotoculteurs et de pelles, ils travaillent d’arrache-pied pour désherber et aménager le terrain. En mai 2016, un premier potager voyait le jour.
Rapidement, les bienfaits des heures passées au grand air se font sentir chez les élèves. « Dès qu’on a commencé à travailler au jardin, précise Karine Lévesque, j’ai observé une diminution du taux d’absentéisme et une augmentation de la motivation scolaire des élèves. Plusieurs m’ont dit qu’ils se sentaient mieux et qu’ils étaient contents de venir à l’école. » Une subvention d’Emplois d’été Canada a par ailleurs permis à deux élèves de travailler tout l’été à l’entretien du jardin. Ils ont par la suite décroché facilement des emplois liés à ces secteurs. Une belle réussite de la transition de l’école vers la vie active !
« Ce genre d’initiative permet de faire en sorte que les jeunes se sentent utiles pour leur communauté et y développent un fort sentiment d’appartenance et une fierté. » - Karine Lévesque
Manger frais et local
Au début de l’année 2017, le projet des Jardins des patriotes prend de l’ampleur grâce à sa participation au Projet impact collectif (PIC) de Centraide du Grand Montréal, porté par l’organisme Vivre Saint-Michel en santé. L’engagement d’un agronome permet d’optimiser les activités reliées à la production agricole, alors que le jumelage avec plusieurs organismes communautaires assure la distribution de la récolte aux résidents du quartier. Les légumes fraîchement cueillis des Jardins des patriotes se retrouvent ainsi sur les étalages du Marché Solidaire Saint-Michel, dont la mission est de favoriser l’accès à des produits frais et locaux à prix abordables, alors que les invendus sont transformés dans les cuisines collectives de l’organisme Mon resto Saint-Michel qui les retourne sous forme de conserves au marché. Les surplus sont donnés pour compléter les boîtes de Moisson Montréal.
« En plus d’alimenter les habitants du quartier avec des aliments frais et abordables, le projet des Jardins des patriotes est très fédérateur. Tous les organismes partagent une vision commune et travaillent ensemble dans l’intérêt des citoyens. » - Pape Dione, PARI Saint-Michel
Éduquer à l’autonomie alimentaire
Avec l’installation d’une serre de 167 m2, au printemps 2018, les opportunités pédagogiques et éducatives offertes par le potager se multiplient. Alors qu’un programme clé en main est développé pour les enseignants, le millier d’élèves qui fréquentent l’école Louis-Joseph-Papineau bénéficient d’ateliers d’initiation aux principes de l’agriculture urbaine et de l’alimentation durable. Au cours de l’été, la chargée de projet en réussite éducative, Annie Létourneau, accueille par ailleurs les enfants de 5 à 12 ans des camps de jour pour leur apprendre des techniques de désherbage et de cueillette. En tout, cette année, plus de 800 jeunes ont ainsi mis les mains dans la terre et goûté aux plaisirs du jardinage.
Vaincre l’isolement
Pendant l’été, plusieurs initiatives sont également organisées aux jardins afin de vaincre l’exclusion sociale et l’isolement de personnes plus fragilisées, dont des emplois aux jardins et au Marché solidaire pour aider les jeunes à sortir de la rue. Un partenariat avec le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’arrondissement a entre autres permis de pallier au défi de l’entretien des jardins pendant l’été, tout en favorisant le rétablissement de personnes vivant avec un trouble anxieux ou de l’humeur. Cette expérience de bénévolat a été bénéfique pour l’ensemble des participants ; certains ayant même trouvé un emploi, repris leurs études ou poursuivi dans une autre activité de bénévolat. L’organisation d’activités avec les aînés a également généré des échanges très positifs entre les générations.
« Les bienfaits physiques et psychologiques de l’agriculture urbaine sont bien démontrés et un projet comme celui de Jardins de patriotes permet réellement de changer la vie de plusieurs personnes, aussi bien les plus jeunes que les plus âgées. » - Karine Lévesque
Assurer un environnement sain
Alors que les Jardins des patriotes ne cessent de grandir avec l’ajout d’une plus grande variété de légumes, d’arbustes fruitiers, d’une champignonnière, de vignes, d’une érablière et d’une forêt nourricière, le quartier Saint-Michel se transforme à la vitesse grand V. « Saint-Michel commence à changer, se réjouit Pape Dione. On a autre chose à présenter que les gangs de rue et la violence ne cesse de diminuer. » En plus d’améliorer les conditions de vie et de santé de la population à travers un accès à des aliments frais et abordables et des nombreux bénéfices sociaux pour la communauté, l’oasis de verdure que constituent les Jardins des patriotes contribue à la lutte pour un environnement sain en diminuant l’utilisation d’énergie fossile par la consommation de produits locaux et en réduisant les îlots de chaleur.
Seule petite ombre au tableau, alors que l’école fait affaire avec des fournisseurs homologués, Karine déplore que ses élèves ne puissent consommer à la cafétéria les légumes frais du jardin qu’ils ont eux-mêmes semés et cultivés par leurs soins. Mais pour cette visionnaire qu’est Karine Lévesque, le succès des Jardins des patriotes démontre sans contredit la force et l’importance d’établir des ponts entre l’école et la communauté.
« Le projet des Jardins des patriotes nous a permis de créer une superbe synergie et un solide réseau de partenaires pour le bien-être des élèves et des résidents du quartier. Tous en bénéficient. »