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Mordu de nature, de plein air et de voyage, Jean-Philippe LeBlanc a roulé sa bosse aux quatre coins du monde, du Pérou à la Tanzanie, comme guide de tourisme d’aventure en haute montagne. Porté par une volonté de vivre sa passion, tout en aidant son prochain, ce natif des Îles-de-la-Madeleine a fondé en 2013 Face aux vents, un organisme d’intervention par la nature et l’aventure visant à favoriser la santé mentale. D’abord destinée à une clientèle hospitalière, l’offre de Face aux vents s’est bonifiée et diversifiée. Jusqu’à maintenant, autour de 2 000 jeunes ont participé au programme de prévention (H)être, offert dans les écoles secondaires, et qui sera soutenu par le ministère de l’Éducation cette année. Ce n’est qu’un début, promet son directeur général.
Comment vous est venue l’idée de mettre sur pied l’organisme face aux vents?
À l’époque, je voyageais énormément comme guide en tourisme d’aventure. J’avais le goût de m’impliquer socialement. J’avais vu ce que faisait Sur la pointe des pieds avec les jeunes atteints de cancer. En discutant avec ma conjointe qui travaille en santé mentale, ma réflexion s’est rapidement tournée vers cette clientèle. Il y a dix ans, on parlait encore moins de santé mentale, c’était beaucoup plus tabou que ça l’est aujourd’hui. Je voyais chez les gens qui vivaient une problématique de santé mentale que le plein air pouvait les aider dans leur cheminement. En 2012, on a fait un projet-pilote avec la clinique JAP au CHUM (pour les jeunes adultes souffrant de psychose). Il s’est passé quelque chose de spécial durant ce projet-pilote et les intervenants ont pu témoigner de l’effet positif de l’expérience sur les participants. On m’a alors conseillé de créer un organisme à but non lucratif, de monter une structure pour offrir ce service à d’autres. Je ne savais pas comment! À partir de là, plusieurs personnes de différents profils se sont jointes à moi. Ce n’était pas une voie tracée : ça s’est dessiné au fil des expériences que j’ai vécues, au fil des réflexions.
Je tiens à préciser que j’ai été chanceux. Je suis arrivé dans un milieu où, pendant une quinzaine d’années, des intervenants avaient utilisé le plein air pour intervenir auprès des personnes ayant une problématique de santé mentale. On connaissait cette modalité d’intervention, mais ces projets ne se faisaient plus parce que les intervenants professionnels n’étaient plus libérés pour s’en occuper. Donc, quand je les ai contactés, ils étaient ouverts à l’approche. Ça a vraiment facilité l’intégration de l’organisme aux structures hospitalières. Ça a été un gros point positif pour notre entrée en matière.
Qu’est-ce qui vous a surpris lors de votre première sortie en nature avec les patients ?
J’ai compris que sortir ces gens de leur quotidien avait un impact majeur. Est-ce vraiment l’effet du plein air? Je pense qu’à la base, sortir de son quotidien une personne isolée et fermée sur elle-même en raison de la maladie, c’est déjà très positif. À travers le projet, on voit cette personne se redresser, bomber le torse. Elle dit : « J’ai réalisé quelque chose. Je vais revenir chez nous et je vais avoir une histoire à raconter. » La posture change, le regard aussi. Pendant l’activité-pilote, on a fait une activité de canyonisme où l’on descendait en rappel une cascade d’eau. Les yeux des participants semblaient dire : « J’ai réussi à aller au-devant de mes peurs ».
Voir cette fierté marquer le corps… ce n’est pas un formulaire qu’on remplit. J’ai vraiment compris que ma démarche avait un potentiel quand un jeune, après deux ans de cheminement thérapeutique, a mentionné que l’activité de Face aux vents avait été un élément déclencheur dans sa volonté de s’en sortir. Ce genre d’expérience favorise une prise de conscience et les échanges. Ça peut toucher les gens profondément.
Comment le programme (h)être est-il né ?
On a voulu toucher les jeunes autrement, les sensibiliser aux bienfaits de la nature sur leur santé mentale. Qu’est-ce que le plein air peut leur apporter? La pandémie a été le catalyseur de ce projet. On a vraiment vu un besoin chez les jeunes : ils ne faisaient plus de sport, leurs contacts sociaux étaient diminués, il y avait une détresse plus visible chez eux. On a réfléchi à la meilleure façon d’intervenir pour contribuer au bien-être des jeunes, tout en mettant de l’avant la nature et le plein air. C’est là que nous est venue l’idée de concevoir le programme (H)être. C’était en 2020. On a commencé à mettre ce programme en place avec un étudiant à la maîtrise en travail social de l’UQAM.
Le programme a trois volets : le volet universel qui propose des conférences dans les écoles; le volet participatif qui propose aux jeunes intéressés de prendre part à une activité de plein air de proximité dans les parcs urbains; et le volet immersif qui cible des jeunes suivis par les services psychosociaux dans les écoles. On invite ces derniers à vivre une expérience de quelques jours en plein air, dans un mode qui se rapproche plus de l’intervention.
Notre souhait est de pousser davantage le volet universel, d’offrir plus de conférences en milieu scolaire. Le besoin est là. On a testé la formule sous plusieurs angles. En présentiel, par visioconférence, en anglais, en français, dans tous les niveaux secondaires, dans les écoles privées et publiques. Ça fonctionne très bien auprès des élèves du deuxième cycle du secondaire. On voit leur désir de faire du plein air pour se faire du bien. La réponse est forte.
Quelle est cette réponse des élèves?
Jusqu’à maintenant, on a rencontré près de 2 000 jeunes avec le programme (H)être. Autour de 60 % ont envie de se mettre en action pour contribuer à leur bien-être, de participer à une activité de plein air pour se faire du bien. On voit que ça crée un déclic.
Avec les ateliers-conférences, on veut tout simplement les aider à concevoir que le plein air peut leur faire du bien, maintenant ou plus tard, et leur rappeler que le contact avec la nature dans un parc urbain peut diminuer le stress au quotidien. Le taux de satisfaction très élevé. On leur fait vivre des expériences en distribuant des odeurs de nature pour susciter des images, des émotions. On leur fait comprendre que la nature est plus proche qu’ils pensent. C’est beau les grands espaces, mais ce n’est pas accessible à tous et en tout temps. Il faut apprendre à observer la nature et à la vivre dans son quotidien. C’est une réflexion que j’aime aborder avec les jeunes.
Les jeunes d’aujourd’hui souffrent-ils d’un déficit nature ?
Je pense qu’on a plutôt un déficit de perception de la nature. Est-ce que les jeunes manquent de temps d’activité en nature? C’est certain. Est-ce que c’est un déficit de nature? J’ai de la difficulté à me positionner. Il y a un manque de nature, assurément. Comment on l’appelle, je ne sais pas. Avant de parler d’un déficit nature, je parlerais d’un déficit humain avant tout.
Comment voyez-vous la réalité des adolescents d’aujourd’hui ?
L’adolescence est une période charnière. Et aujourd’hui, elle n’a parfois plus de fin! Du temps de nos parents, l’âge adulte commençait plus tôt. Il fallait qu’ils travaillent, ils commençaient jeunes. Aujourd’hui, l’adolescence semble parfois s’étendre jusqu’à 30, 35 ans… Les responsabilités sont moins présentes, on a plus de liberté. Cette période est plus difficile à vivre peut-être parce qu’il y a plus de flottement, on a plus de possibilités qu’avant. Les possibilités sont incroyables et c’est difficile de faire des choix. Ça peut créer un vertige.
Je pense que les jeunes sont actuellement dans un contexte plus difficile qu’auparavant pour prendre soin de leur santé mentale. J’ai la conviction que les technologies ont un grand impact négatif dans leur vie. On est tellement toujours sous les spots, à montrer notre beau côté… Je pense que ça induit une pression et les jeunes peuvent facilement tomber dans la détresse. Cela dit, les technologies ont aussi un impact positif.
Mais je suis optimiste. On parle de plus en plus de santé mentale. Plusieurs organismes travaillent pour les jeunes, mettent de l’avant la santé mentale. Je vois que l’information est plus disponible qu’avant. Il y a un peu moins de stigmatisation. Les jeunes sont plus ouverts à consulter ou à aller chercher de l’information s’ils ont un besoin particulier. C’est un contexte difficile, mais ce n’est pas tout noir. Le fait que la santé mentale soit de moins en moins taboue, ça contribue positivement à l’avenir de leur santé mentale.
De quelle façon la nature peut-elle favoriser une bonne santé mentale ?
Au contact de la nature, on remarque une diminution de la perception du stress et de l’anxiété. Les effets ont été démontrés scientifiquement. La nature est un moyen d’action qui vient répondre aux problèmes de stress et anxiété que vivent de nombreux adolescents. Ce n’est pas magique, mais c’est accessible et ça peut réellement contribuer au bien-être des jeunes pour le reste de leur vie. On note une diminution de la fréquence respiratoire et cardiaque, une possible hausse de la concentration, soit la restauration de l’attention.
La nature n’est pas que loin et sauvage, elle est aussi en ville. Il faut prendre le temps de s’arrêter et de regarder. Une plante qui pousse dans une craque de béton à Montréal, c’est un exemple fort de résilience. La plante pousse dans un milieu difficile. Ça me donne espoir. La nature est forte. Il faut juste s’arrêter, observer, ressentir. C’est le message qu’il faut transmettre aux jeunes : la nature est plus près que vous pensez.
Pendant une marche au parc, je regarde le vent faire bouger les feuilles, j’entends et ressens le vent sur mon corps, j’enlève mes souliers et je mets les deux pieds dans le gazon, je sens l’odeur des feuilles. Je peux vivre tout ça dans mon quotidien. Il suffit de prendre 5-10 minutes pour aller au parc, sur le chemin vers l’école par exemple. Si tu ne prends pas le temps, tu ne verras pas la nature.
L’intervention par la nature et l’aventure a la cote. Face aux vents s’inscrit de quelle façon dans ce courant ?
On fait partie de cette belle vague porteuse qui ne semble pas s’essouffler. Elle prend de l’ampleur et de la force. L’appel de la nature, on le voit à travers les garderies nature de plus en plus nombreuses, à travers l’intérêt pour la pédagogie en plein air. C’est une bonne chose, on se rend compte que la nature a beaucoup à nous apporter. Enfin, on s’en rappelle! Je qualifie souvent notre approche de rétro-innovation. Avant, on faisait ça, mais ça ne portait pas de nom. Cette approche existait, mais j’ai l’impression que l’on contribue à la structurer, à lui donner un nom et à l’étudier. C’est important.
Êtes-vous optimiste face aux jeunes et à leur santé mentale ?
Les enjeux de santé mentale peuvent toucher tout le monde. Personne n’est à l’abri. On est en bonne santé mentale que par sursis en quelque sorte. Il faut aussi comprendre que l’on peut être bien, même si on a un problème de santé mentale. Ce n’est pas parce qu’on a un diagnostic qu’on ne va pas bien, c’est important de le mentionner.
Je suis hyper positif, c’est dans ma nature. Je perçois que, dans les prochaines années, la situation va s’améliorer parce que les outils et les réflexions sont là. Cela dit, la chose la plus importante est d’écouter. Comme intervenant, on peut arriver avec nos gros sabots et dire : « C’est comme ça que ça marche… » L’important, c’est d’écouter. Et pour écouter, il faut qu’il y ait une discussion, un dialogue, une rencontre. Il faut créer ces moments pour qu’on puisse se parler, échanger, pour bien comprendre les besoins des jeunes. Si on tente de répondre à un besoin d’une manière qui n’intéresse pas les jeunes, ça ne fonctionnera jamais. Il faut vraiment le faire avec eux.
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Pour poursuivre votre lecture sur le sujet, consultez notre dossier spécial « La santé mentale des jeunes : l’affaire de tous », appuyé par les statistiques les plus récentes ainsi que des entrevues avec plusieurs experts. Notre équipe de rédaction y décortique le concept de « santé mentale positive », qui fait l'objet d'un intérêt croissant depuis quelques années. Une attention particulière est également portée à deux problématiques des plus actuelles : l'utilisation des écrans et l'écoanxiété.
Ce dossier spécial invite également les lecteurs à faire connaissance avec deux autres personnes qui, chacune à leur manière, ont créé des programmes exceptionnels et innovants pour encourager le bon développement et le bien-être des jeunes :
- Mary Gordon, fondatrice du programme scolaire international Roots of Empathy/Racines de l’empathie
- Martin Dusseault, fondateur et coordonnateur du programme Bien dans mes baskets
Une grande série d'initiatives inspirantes, au Québec ou ailleurs, y sont également présentées pour encourager le passage à l'action, dans les différents milieux de vie.
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