Ressource
À l’instar d’autres secteurs de Montréal, l’arrondissement de Lachine compte plusieurs déserts alimentaires. Mais des organismes communautaires locaux ont joint leurs forces pour assurer l’accessibilité des produits frais, de provenance locale, et surtout abordables, dans certains de leurs quartiers moins bien desservis. Ce qui a débouché sur la création des P’tits marchés de Lachine, une initiative enracinée dans la solidarité sociale et qui tire profit d’une prodigieuse petite ferme urbaine. Visite des lieux.
Le quartier Duff-Court, situé entre la 14e et la 24e avenue de Lachine, compte de nombreux ménages démunis. On y trouve notamment l’un des plus grands ensembles de HLM au Canada, avec près de 400 unités de logement réparties dans neuf immeubles. C’est là, au centre de ce complexe, que 100º a été accueilli par Elliot Lauzon-Schlachter, adjoint à la coordination du Groupe de Travail en Sécurité Alimentaire de Lachine (GTSAL).
Elliot, avec l’aide de bénévoles, vient tout juste de disposer, sur les étals de son petit marché du jeudi, la cargaison de fruits et légumes qu’il a transportée dans son camion réfrigéré. Il nous présente fièrement ses courgettes coquettes, ses carottes croquantes, ses tomates rutilantes, ses laitues ébouriffées, son kale vert forêt…, mais pas mon meilleur vendeur, lance-t-il dans un éclat de rire.
Un jeu d’équilibriste
Les P’tits marché de Lachine s’écrivent au pluriel parce qu’ils font leur apparition dans cinq lieux différents chaque semaine. Bien sûr, c’est toujours le même petit marché ambulant qui se déplace d’un endroit à l’autre. Aujourd’hui, il stationne sur le territoire du Comité de Vie de Quartier (COVIQ) de la rue Duff-Court. Mais les mardis on le retrouve au parc Ivan-Franko, puis au parc Dixie, et les vendredis il rend visite à l’organisme la Théière 50+, puis il débarque au parc Lasalle.
C’est Elliot qui s’assure de l’approvisionnement des P’tits marchés. Il fait notamment affaire avec des producteurs certifiés biologiques, soit de l’île de Montréal ou de la région. Et même si la machine est bien huilée, il doit jongler avec de multiples fichiers Excel afin de déterminer le juste prix de ses produits. Des prix qui sont souvent inférieurs à ceux des rares marchés d’alimentation que l’on retrouve dans les environs, mais trop distants pour celles et ceux qui voudraient faire leurs courses à pied.
Bien sûr, Elliot s’assure de fixer ses prix en fonction de la capacité de payer de sa clientèle, mais il doit aussi veiller à ce qu’ils soient assez élevés pour ne pas nuire à son principal fournisseur. Un fournisseur vraiment très local, à 100 mètres à peine du marché du jeudi : la Ferme urbaine Duff-Court qui appartient au COVIQ !
Agriculture bio-intensive
Située dans le périmètre du complexe de HLM Duff-Court, cette ferme a d’abord servi de jardin communautaire. Puis, en 2016, le COVIQ en a changé la vocation pour qu’il devienne un jardin collectif. Depuis l’année dernière, il est placé sous la direction d’Erik Chevrier, professeur-chercheur à l’Université Concordia, et, comme il se décrit lui-même, activiste social notamment rompu aux techniques d’agriculture urbaine.
La parcelle couvre une superficie d’environ 750 mètres carrés, à peine un cinquième d’acre. Mais en vertu des principes de l’agriculture bio-intensive, cette ferme produit des quantités phénoménales de légumes bio. Elliot, qui s’étonne toujours d’un tel rendement, ne parvient tout simplement pas à écouler toute la production avec ses P’tits marchés. Mais bien sûr, le COVIQ s’assure de transformer les surplus de production.
Pour Erik Chevrier, la réussite de la Ferme urbaine Duff-Court va bien au-delà de sa remarquable productivité. C’est aussi un exemple patent du « Community campus engagement » que prône Concordia. Dans cette vidéo, il explique que tant par ses activités d’enseignement que par son engagement sur le terrain, il fait le pont entre le savoir académique et la réalité vécue dans la communauté. D’ailleurs, ses étudiants sont eux-mêmes très souvent tenus de faire du « Community service learning » : de s’engager dans des projets de transformation sociale au sein des communautés.
L’une des clés du succès de cette ferme, c’est qu’elle est en production d’avril à décembre. En effet, chaque planchette de culture est surplombée par des arches qui permettent, par temps froids, de tendre des toiles de plastique pour les transformer littéralement en serres passives. Si bien que, au début de l’été, quand les P’tits marchés de Lachine reprennent leurs tournées, ils peuvent déjà compter sur d’abondantes primeurs.
La vie de quartier
La création des P’tits marché de Lachine, en 2018, représentent l’une des initiatives mises sur pied par le GTSAL, en collaboration avec Concert’Action, et qui sont destinées à l’implantation d’un système alimentaire durable à Lachine. Mais si les P’tits marchés ont un rôle à jouer pour l’amélioration de l’accès des Lachinois à une saine alimentation, ils contribuent aussi à retisser les liens de la communauté.
Les P’tits marchés, ce n’est pas simplement un endroit où les gens viennent se procurer des fruits et des légumes frais. C’est aussi un lieu de rencontres où l’on vient échanger des nouvelles, entre amis, entre voisins. Où l’on vient se détendre et s’amuser. Comme cette cliente enjouée qui s’est prêtée au jeu du photographe, en faisant semblant d’acheter un sachet de salade. Car, en réalité, elle était venue pour le kale, au grand bonheur d’Elliot !