Santé et société

Martin Dusseault: plus de 20 ans de basket pour aider les jeunes

Martin Dusseault: plus de 20 ans de basket pour aider les jeunes

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Passionné de basketball et par la jeunesse, Martin Dusseault est travailleur social en milieu scolaire au CIUSS Centre-sud de l’île de Montréal. Fondateur et coordonnateur du programme Bien dans mes baskets, il utilise avec succès le sport comme outil de persévérance scolaire et de développement de compétences socioémotionnelles. Ses pratiques novatrices ont été maintes fois reconnues. Il a notamment reçu la médaille de l’Assemblée nationale du Québec, le Prix d’excellence de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux (catégorie Innovation et entrepreneuriat social) et le Prix coup de cœur de l’Association internationale pour l’éducation par le sport à Paris. La réussite des jeunes qu’il côtoie est néanmoins la plus grande récompense à ses yeux.

Martin Dusseault

Depuis sa mise sur pied en 2005, le programme bien dans mes baskets a suscité beaucoup d’intérêt en raison de son originalité et de son succès. Pourriez-vous nous le décrire en quelques mots ?

Bien dans mes baskets est un programme de travail social qui utilise le basketball parascolaire comme outil d’intervention psychosociale. C’est le cœur de notre approche. C’est comme si on avait tous la main sur le même ballon. À travers le sport, on fait des interventions individuelles, de groupe et même communautaires pour travailler plusieurs problématiques ou besoins. On a commencé à l’École secondaire Jeanne-Mance, située sur le Plateau Mont-Royal, essentiellement avec des jeunes qui avaient des troubles de comportement. Aujourd’hui, il y a 11 groupes qui présentent une mixité intéressante. La clientèle est encore très multiethnique. Autour de 60 % des jeunes présentent de grosses difficultés, tandis que les autres vivent des problèmes associés à l’adolescence qui ne sont pas simples. Ils s’entraident, chacun à leur façon. Ils décident ensemble des règles à suivre et des objectifs à atteindre. Ils aiment être au gymnase, mais on les invite à s’impliquer dans la collectivité.

Dans les dernières années, vous avez tenté de nouvelles expériences à l’extérieur de l’école secondaire jeanne-mance qui permettent au programme d’évoluer. Lesquelles?

Depuis l’automne 2020, nous sommes présents au Centre d’éducation aux adultes Gédéon-Ouimet destiné aux jeunes de 16 à 21 ans. On travaille avec l’équipe de francisation auprès de nouveaux arrivants. Ils doivent apprendre une nouvelle langue et se familiariser avec la vie ici, tout en ayant un bagage parfois lourd. On intervient par le sport afin de favoriser leur intégration, toujours avec une intentionnalité psychosociale. Plusieurs jeunes sont passés par le chemin Roxham et arrivent seuls. En raison des traumatismes qu’ils ont pu vivre, les enjeux de santé mentale sont particuliers.

bien dans mes baskets

Bien dans mes baskets est aussi présent dans les écoles primaires.

Ça fait longtemps qu’on fait du basketball dans les écoles primaires, avec une forme d’accompagnement pour faciliter le passage du primaire au secondaire et éviter toute l’anxiété qui se présente quand tu arrives chez les grands. On veut leur donner le goût de faire du sport et de s’impliquer dans leur école secondaire en leur donnant le plus d’outils possible. On aimerait ajouter une intentionnalité d’intervention plus profonde et adapter les actions sportives pour faire en sorte que ça réponde à une visée psychosociale. On est dans cette réflexion.

Des chercheurs universitaires se sont intéressés à bien dans mes baskets. Selon leurs études et vos observations, quels sont les ingrédients de votre recette gagnante?

Le sport peut être un médium vraiment intéressant et pertinent. En revanche, ce n’est pas vrai que le sport va tout régler. Ce n’est pas que parce que tu fais du sport que tu développeras la communication et l’esprit de groupe. Pour avoir un impact psychosocial, il est très important d’établir d’abord des objectifs psychosociaux intentionnels dans nos actions. Le sport doit être considéré comme un outil qu’on peut moduler et modifier pour atteindre ces objectifs. On peut développer des habiletés de vie par le sport, mais le chemin pour y arriver est très important et on doit le prévoir. C’est souvent l’étape que les gens négligent.

Pour espérer des résultats durables, on doit aussi viser un transfert des habiletés développées en gymnase vers le vécu en classe et à l’extérieur, nous a appris une étude de l’Université de Montréal. C’est donc important de provoquer ces occasions de transfert pour atteindre notre objectif. Veut-on travailler la gestion de conflit ou développer l’habileté d’un élève à construire son horaire et le respecter? Si on travaille la gestion du stress, par exemple, on peut expliquer que les techniques utilisées pour diminuer le stress avant un match s’appliquent tout autant avant un examen de maths.

Bien dans mes baskets fonctionne parce qu’on a une approche intégrée, c’est-à-dire que nous sommes présents dans toutes les sphères de vie du jeune, à l’école, auprès de sa famille, dans la communauté. On a une vision ultra systémique. On peut montrer à un jeune à se nourrir sainement, mais chez lui, ce n’est pas lui qui fait l’épicerie. Quand on fait de la promotion et de la prévention, on tape sur les différents clous, on veut un rayonnement vraiment très large.

On peut développer des habiletés de vie par le sport, mais le chemin pour y arriver est très important et on doit le prévoir. C’est souvent l’étape que les gens négligent.

bien dans mes baskets

Quel impact concret avez-vous sur les jeunes de bien dans mes baskets?

Le sentiment d’appartenance qu’on arrive à créer chez nos jeunes peut favoriser leur persévérance scolaire et développer leurs habitudes de vie, c’est ressorti très fort dans l’étude de l’Université de Montréal. Via notre projet Rebondir au féminin, on a aussi observé que le fait de développer chez les filles un intérêt pour le sport et un leadership qui leur est propre, différent de celui des garçons, permet leur empowerment.

Les premiers résultats d’une étude menée par l’Institut universitaire Jeunes en difficulté du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal montrent par ailleurs que chez les nouveaux arrivants, le programme se présente comme une première ligne d’intervention psychosociale qui était inexistante au Centre Gédéon-Ouimet. On donne des références aux deux bouts du spectre : l’un doit trouver un hôpital pour une évaluation psychiatrique, l’autre aimerait savoir où il pourrait jouer au volleyball. Le lien qui se crée entre l’intervenant et le jeune par le médium sportif enlève beaucoup de barrières. Ça nous permet de jouer un rôle de travailleur social de façon beaucoup plus relaxe et moins suspicieuse pour la clientèle qui pourrait avoir vécu des situations négatives dans leur pays en lien avec le gouvernement. On est dans le gymnase, alors ils nous font confiance.

Le sentiment d’appartenance qu’on arrive à créer chez nos jeunes peut favoriser leur persévérance scolaire et développer leurs habitudes de vie.

Bien dans mes baskets agit aussi comme un filet de sécurité, comme une présence. Même s’il s’agit d’un programme scolaire, on est ouvert à l’année, pendant la semaine de relâche et même l’été. Pendant le temps des Fêtes, un intervenant est présent dans le gymnase tous les jours. Noël peut être extrêmement difficile sur le plan émotif.

Quel retour avez-vous des élèves qui sont passés par le programme ?

Jusqu’à maintenant, on a touché autour de 2 000 à 3 000 élèves. Le programme compte quatre travailleurs sociaux à temps plein et on a 20 entraîneurs-intervenants bénévoles dont la moitié sont des anciens. Ils occupent aujourd’hui différents emplois : comptable, policière ou intervenante, etc. Ils décident de revenir s’impliquer dans le programme. Certains sont devenus des joueurs de basketball professionnels et ils viennent s’entraîner avec les jeunes durant l’été. Ce sont en même temps des modèles positifs.

Les jeunes qui ont quitté viennent nous voir lors des matchs et, dans les premières années de cégep, ils sont toujours les bienvenus. Dans Bien dans mes baskets, on leur dit souvent qu’on est une famille et c’est vraiment ce qu’on veut leur faire sentir. Ils peuvent venir nous voir même d’un point de vue professionnel. On a convaincu le CIUSSS de pouvoir les aider même s’ils ont plus de 18 ans, même s’ils ne fréquentent plus l’école. S’ils ont besoin d’être suivis, on va continuer. Certains nous appellent tous les ans pour nous donner et prendre des nouvelles. On est chanceux d’avoir ces retours.

Avez-vous rencontré des embûches au fil des ans ?

Au début, il y a eu beaucoup d’embûches. Pour l’école, on ne faisait que du sport après l’école, alors que l’important, c’est le français. Pour le milieu du travail social, on ne faisait que s’amuser sur le terrain, ce n’était pas vraiment de l’intervention psychosociale comme dans un bureau. Ça a été difficile de faire reconnaître que le sport est un médium qui peut être efficace. On travaille différemment du milieu scolaire et on tente de leur faire comprendre que le sport peut être gagnant pour tous. Il y a cette vieille conception que le sport parascolaire est un privilège qu’on peut t’enlever pour te faire mal si tu t’égares dans ton parcours scolaire. Si un jeune fait des problèmes au gymnase, je ne lui enlève pas son cours de français! Si un jeune se comporte mal dans ton cours, tu ne peux pas lui enlever son sport. Au contraire, envoie-le-moi!

bien dans mes baskets

Après une vingtaine d’années, plusieurs sont surpris de vous voir encore sur le terrain. Qu’est-ce qui vous motive à rester impliqué dans bien dans mes baskets?

Si je suis encore impliqué, c’est parce que ça m’apporte beaucoup. J’aime voir l’impact chez les jeunes, être avec ceux que l’on croit durs, désagréables. Il suffit juste de savoir comment les prendre et voir au-delà de ce qu’ils démontrent. Ils veulent prendre une distance avec l’adulte, c’est leur rôle d’adolescent. Ils montrent une façade qu’on n’a pas le goût de voir. Il faut prendre quelques pas de recul et si on tente de creuser, on va découvrir des êtres extraordinaires. Au fil des ans, tout plein de moments marquants m’ont nourri. Chaque rencontre est un échange, ça m’amène à être une meilleure personne, à voir mon rôle de père différemment.

Je me rappelle la première année qu’on a remporté un championnat provincial, c’était vraiment marquant. Quand tu travailles sur tes objectifs et que tu es avec une bande de jeunes en troubles de comportements, il y a plein d’embûches que les autres équipes n’ont pas. Après leur victoire, les membres de l’équipe avaient décidé de monter la bannière à l’intérieur de l’école dans un capteur de rêve. C’était vraiment très émouvant. On voyait tous les efforts qu’ils avaient mis pour arriver là. Les élèves de l’école étaient fiers, c’était super beau, un moment très fort.

Selon vous, comment peut-on, comme société, favoriser la santé mentale et l’épanouissement des jeunes d’aujourd’hui ?

On doit créer une ouverture comme adulte et réfléchir différemment à notre façon de donner les services : l’éducation, les services sociaux. Comment peut-on amener nos jeunes à développer leur plein potentiel à travers leur cheminement d’enfant et d’adolescent? Comment va-t-on utiliser tous les acteurs dans leur vie pour être capable de faire en sorte qu’ils soient bien? L’école est un bon milieu pour intervenir.

Avec le niveau d’anxiété qui monte présentement, il faut essayer de leur donner des outils rapidement pour qu’ils puissent gérer ça. Il faut aussi donner des outils aux adultes qui les entourent, les sensibiliser à l’impact qu’ils ont sur les jeunes, tant positif que négatif, et leur faire réaliser qu’ils doivent arriver à se gérer avant de gérer les jeunes. Je pense que c’est une première grosse étape de les aider.

On doit aussi voir comment on peut aider les jeunes à éclore dans chacun de leurs milieux de vie. Il faut tirer le maximum de ce que les milieux peuvent apporter. Par exemple, une école, ce n’est pas juste un milieu où on enseigne le français et les maths, c’est un milieu où on développe des citoyens et il y a une obligation de développer les compétences sociales, une obligation de développer leur intérêt et d’aller chercher le meilleur de ces jeunes. Si c’est trop ardu parce qu’ils sont en difficulté, faisons différemment. Ne faisons pas juste mettre le cadre et les obliger à rentrer dedans. Réfléchissons.

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Pour poursuivre votre lecture sur le sujet, consultez notre dossier spécial « La santé mentale des jeunes : l’affaire de tous », appuyé par les statistiques les plus récentes ainsi que des entrevues avec plusieurs experts. Notre équipe de rédaction y décortique le concept de « santé mentale positive », qui fait l'objet d'un intérêt croissant depuis quelques années. Une attention particulière est également portée à deux problématiques des plus actuelles : l'utilisation des écrans et l'écoanxiété.

Ce dossier spécial invite également les lecteurs à faire connaissance avec deux autres personnes qui, chacune à leur manière, ont créé des programmes exceptionnels et innovants pour encourager le bon développement et le bien-être des jeunes :

  • Mary Gordon, fondatrice du programme scolaire international Roots of Empathy/Racines de l’empathie
  • Jean-Philippe LeBlanc, fondateur de l'organisme Face au vent et du programme H(être)

Une grande série d'initiatives inspirantes, au Québec ou ailleurs, y sont également présentées pour encourager le passage à l'action, dans les différents milieux de vie.

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