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Quand on pense à la rue, on pense forcément aux automobiles qui y circulent. Dès qu’une situation cause l’arrêt de la circulation automobile, on entend klaxons et automobilistes en rogne face au manque de fluidité du trafic. Nos voies routières sont donc généralement imaginées et conçues afin de répondre à cet impératif de façon prioritaire. Pourtant, cette priorisation du trafic routier ne prend souvent pas en compte les besoins de plusieurs catégories d’usagers·ères, plus particulièrement en milieu urbain et dans les cœurs de village. Alors que le développement de nouveaux liens routiers domine les débats dans le cadre de la prochaine élection provinciale, ne serait-ce pas le moment idéal pour revoir les bases sur lesquelles sont aménagées nos rues?
Des rues qui répondent à tous les besoins
C’est là qu’intervient le concept des rues complètes, qui sont également appelées « rues conviviales » au Québec. De l’anglais complete street, le principe de la rue complète est simple : il s’agit d'une rue aménagée en considérant les besoins de tous·tes ses utilisateurs·trices, peu importe leur mode de transport, leur âge et leur condition physique. Cette voie est sécuritaire, pratique et agréable à utiliser pour l’ensemble des personnes y circulant, puisqu’elle est le fruit d’une démarche participative impliquant les résident·e·s d’un quartier ou d’une municipalité. De plus en plus populaires, on retrouve désormais des rues complètes aux quatre coins du Canada, ainsi qu’aux États-Unis et dans plusieurs pays européens.
Vélo Québec recommande d’ailleurs que ce principe soit systématiquement intégré à tous les projets du ministère des Transports (MTQ) situés à l’intérieur des périmètres urbains et des cœurs de village. Ainsi, les coûts d’aménagement des rues complètes seraient absorbés par les coûts généraux de réfection des rues, et les aménagements conviviaux seraient directement intégrés aux plans de travail du MTQ lorsqu’ils se trouvent dans les zones concernées.
Les rues complètes se déclinent de plusieurs façons selon les besoins des municipalités, mais sont basées sur trois piliers :
● l’apaisement de la circulation
● la multiplication des options de mobilité
● les besoins des personnes à mobilité réduite
Apaiser la circulation
Plusieurs techniques peuvent être combinées afin d’offrir un environnement où la sécurité et le bien-être des utilisateurs·trices qui ne circulent pas en voiture sont priorisés. Cela passe forcément par l’apaisement de la circulation automobile.
Les municipalités optent souvent pour une réduction de la limite de vitesse sur la voie, ainsi qu’un resserrement au niveau de la largeur de la rue. Ces deux pratiques forcent les automobilistes à circuler plus lentement, en portant une attention accrue aux personnes et aménagements qui les entourent, puisque la voiture a moins de marge de manœuvre pour circuler. Cela permet également, dans le contexte d’une rue partagée sans aménagement cyclable séparé, qu’il y ait une différence de vitesse moins importante entre voitures et vélos.
Cet apaisement a un effet positif clair sur le reste de la voie : en rétrécissant la rue, on gagne beaucoup d’espace qu’on peut allouer au reste des usagers·ères. Sur l’avenue Shamrock de l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie, à Montréal, l’élimination du trafic bidirectionnel a permis de créer une avenue conviviale, aux multiples espaces de vie invitants, qui relie l’artère commerçante qu’est le boulevard Saint-Laurent au marché Jean-Talon. Plus qu’une simple rue complète, il s’agit d’une transformation qui permet de favoriser la mobilité active entre deux points névralgiques du quartier, et ainsi créer un dynamisme social et favoriser les achats de proximité.
Multiplier les options de mobilité
Afin de proposer une rue qui répond réellement aux besoins de tous·tes ses utilisateurs·trices, il faut élaborer des infrastructures polyvalentes pour que celles-ci soient accessibles et adaptées à tous les types de personnes. Qu’il s’agisse de voies cyclables intégrées à la rue, séparées ou non du trafic routier, d’arrêts d’autobus dont les aménagements se fondent dans la voie routière, ou encore de trottoirs élargis pour encourager et fluidifier la circulation piétonne, il existe de nombreux moyens de rendre nos rues plus conviviales. En adoptant ce principe, on rend les rues plus attirantes, plus vivantes, et surtout, on crée des milieux de rencontre entre les différents types de personnes qui utilisent ces aménagements au quotidien.
Lors de la présentation d’un projet de réfection de rue, la résistance au changement se manifeste souvent à travers des questions sur la pertinence de créer des aménagements complets sur nos voies routières. Dans le contexte de la rue complète, il faut renverser le fardeau de la preuve, et se positionner en demandant plutôt pourquoi ne devrions-nous pas intégrer ces aménagements. En d’autres termes, au lieu de demander « pourquoi devrions-nous prévoir une voie cyclable, un trottoir, etc.? », la question devient « et pourquoi pas ? ». Cela a pour effet d’intégrer de facto ces aménagements, au lieu de devoir lutter pour l’intégration de quelconque installation dans des plans déjà élaborés.
On retrouve notamment ce genre d’aménagement sur le chemin de la Canardière, dans le quartier de Limoilou, à Québec. Sur près d’un kilomètre, on a droit à une rue plus étroite, où des bandes cyclables unidirectionnelles sont aménagées des deux côtés de la rue. Les trottoirs sont bas, et dotés de plaques podotactiles aux traverses. Tout cela est accompagné de larges trottoirs invitants, d’une ligne d’autobus qui circule sur la rue et d’une petite place publique piétonne au coin de la 6e rue pour offrir un point de convergence au quartier et ainsi créer un lieu de rencontre, de repos, et de plaisir citoyen qui peut profiter à tous les utilisateurs·trices du quartier.
Répondre aux besoins des personnes à mobilité réduite
Pour que les rues complètes soient vraiment complètes, il est nécessaire de prendre en compte les besoins de toutes et tous, et cela inclut les personnes atteintes d’un handicap ainsi que les personnes à mobilité réduite. Il est généralement assez simple d’intégrer les besoins de ces groupes dans l’aménagement d’une rue complète, et ces infrastructures sont également bénéfiques pour le reste des utilisateurs. Cette logique s’inscrit dans le principe du design universel, qui prône la conception d’aménagements et d’infrastructures bénéficiant au plus grand nombre, et plus spécifiquement aux personnes en situation de handicap.
Par exemple, l’installation de traverses de rues surélevées permet aux personnes à mobilité réduite de rester à la même hauteur lors de la traversée, et offre du même coup une expérience piétonne plus agréable à l’ensemble de la population. La surface d’arrêt et de traverse change pour les voitures plutôt que pour les piétons, le court dénivelé étant beaucoup plus simple à franchir pour un véhicule qu’une personne à pied. Des plaques podotactiles peuvent aussi être installées au niveau des traverses afin de prévenir les gens avec des enjeux de vision qu’ils·elles arrivent en bordure d’une traverse.
À Baie-Saint-Paul, une section de la rue Saint-Jean-Baptiste a été revue selon les principes de l’organisation Municipalités Amies des Aînés au Québec (MADA). Cette révision se traduit en trottoirs extrêmement bas, qui permettent d’offrir un parcours sans obstacle à toute personne vivant avec une limitation fonctionnelle. En limitant les dénivelés, on permet d’avoir une expérience piétonne agréable pour tous et toutes, où la mobilité active s’impose comme le choix idéal pour profiter des commerces et aménagements de la rue.
Des rues complètes dans votre quartier
Vous rêvez de rues complètes dans votre milieu de vie ? Parlez-en à votre municipalité! Vélo Québec propose un plan en quatre étapes qui présente un résumé du processus à suivre pour la mise en place et la gestion d’un projet de rue complète. Les projets d’aménagement de ces rues trouvent souvent leur origine dans un mouvement citoyen, ou du moins, suite au constat d’une forte demande pour un réaménagement, alors faites-vous entendre !