La semaine dernière, la Ville de Québec nous annonçait qu’elle allait, dans le cadre d’un projet pilote, tester une nouvelle configuration de traverse piétonne près d’une résidence pour aînés. De telles initiatives en faveur du vieillissement actif sont appelées à se multiplier, car la ville de demain devra répondre aux besoins de cette population grandissante de baby-boomers qui avancent en âge.
L’idée derrière ce nouveau type de traverse, qui mise sur la visibilité, est de réduire le risque réel et perçu par les aînés. En effet, certains résidents ont confié qu’ils s’empêchaient d’aller visiter les commerces, de l’autre côté de la rue, en raison du sentiment d’insécurité que leur inspire cette traversée de la chaussée. D’ailleurs, pour mieux comprendre leur réalité, et c’est la tendance actuelle, il est essentiel de parler avec les aînés ou encore de marcher avec eux dans leur quartier.
Cette imposante cohorte de baby-boomers explique sans doute que de plus en plus de travaux de recherche portent sur cette tranche de la population. Travaillant moi-même sur le sujet des piétons âgés, j’ai commencé, il y a près d’un an, un séjour de recherche au Centre for Hip Health and Mobility à Vancouver, ce qui m’a entre autres permis de rencontrer les membres de l’équipe de recherche Active Aging. Et pour ces raisons, j’aimerais vous faire part de quelques-unes de mes réflexions sur les manières d’aménager la ville pour nos aînés.
Ils ne veulent pas tomber !
La peur de chuter est un sujet récurrent chez les aînés, en particulier ceux ayant des soucis de santé qui nuisent à leur équilibre. J’ai été à même de faire ce constat dans les projets de recherches que j’ai menés ici et en France : certains aînés vont jusqu’à effectuer des détours, qui rallongent leur trajet, simplement pour éviter des trottoirs mal en point ou qui sont trop bondés. Nous, les piétons bien portants et rapides, nous ne pouvons nous imaginer ce que représente un léger coup d’épaule ou une fissure profonde dans la chaussée. Les aînés par contre, appréhendent toutes ces situations potentiellement risquées, ce qui les oblige trop souvent à espacer leurs sorties, tout particulièrement en hiver.
Comment atténuer cette peur de chuter qui, à la longue, peut devenir obsédante et conduire à la solitude ? Je suggère deux pistes de solution. Tout d’abord, on doit s’assurer de la qualité et de l’entretien de nos trottoirs, surtout l’hiver, et en priorité à proximité des lieux fréquentés par les aînés : centres communautaires, services de santé, résidences pour personnes âgées.
D’autre part, il faut leur allouer plus de temps pour traverser la rue ! La vitesse considérée comme « normale » pour un piéton est de 1,2 mètre par seconde. Cette vitesse, que l’on retrouve dans les manuels servant à déterminer le nombre de secondes nécessaires pour traverser une intersection avant l’apparition du feu « main rouge », est maintenant contestée de toute part. Des travaux récents estiment que la vitesse des aînés est plutôt en deçà de 0,9 mètre par seconde, loin derrière la norme. Nos travaux de recherche, ici au Québec, nous ont d’ailleurs permis de constater que près du quart des piétons âgés que nous avons observés terminaient leur parcours sur la main clignotante ou la main rouge. Ces piétons âgés se retrouvent alors, bien malgré eux, en situation de danger, alors que la solution s’avère assez simple.
Ils veulent voir du monde !
Cela vous étonnera peut-être, mais les aînés sont pour la plupart désireux de sortir de chez eux. Ils auront encore plus tendance à sortir, comme l’ont démontré mes collègues de Vancouver, si les membres de leur réseau social sont nombreux et qu’ils demeurent à proximité. Mais pour encourager la vie sociale, cela nécessite des lieux de rencontre. Ce qui peut se traduire par la création de centres communautaires offrant une programmation variée et adaptée aux aînés.
Plus simplement, l’ajout de bancs dans des lieux publics peut jouer un rôle similaire. Nos travaux en France, sur la marchabilité des quartiers pour les aînés, sont éloquents sur ce point : alors que les aînés demandent des bancs pour se reposer ou encore discuter avec leurs voisins ou amis, très peu de rues des quartiers visités en étaient dotées. Ce sont bien souvent, tout particulièrement en Europe, des considérations de sûreté qui motivent l’absence de bancs sur les voies publiques : on souhaite ainsi éviter l’itinérance...
Ils veulent sortir dans des lieux agréables !
Un autre trait commun des aînés, à la différence des adultes plus jeunes, c’est l’appréciation qu’ils ont des lieux dits « naturels ». Comme, le plus souvent, ils ne marchent pas dans un strict but utilitaire (aller au bureau), ils sont mieux à même d’apprécier et de choisir des trajets où la végétation est plus présente ou qui offrent des perspectives intéressantes sur le plan architectural ou encore qui permettent la contemplation d’un plan d’eau.
Nous avons pu constater ce fait lors de nos travaux en région plus éloignée. À Rouyn-Noranda, en Abitibi-Témiscamingue, les parcours des aînés ne suivent pas toujours les critères de marchabilité habituels : ces derniers préfèrent se promener sur des rues sans trottoir si cela leur permet d’admirer les belles maisons et le paysage ! Après tout, ils marchent pour se tenir en forme, mais aussi pour le plaisir des yeux ! L’ajout d’arbres dans nos villes répond en partie à cet appétit de beauté, en plus de satisfaire le souhait d’avoir de l’ombre en été, un besoin qui n’est d’ailleurs pas unique aux aînés. Par ailleurs, la présence d’espaces verts et de végétation engendre aussi plusieurs effets bénéfiques à la santé de tous !
En terminant, je tiens à rappeler que les besoins de nos aînés ne sont pas si uniques que cela, car ils correspondent à une image de la ville où le temps s’écoule plus lentement. Et donc, répondre aux besoins de nos aînés ferait en sorte que la ville devienne accessible au plus grand nombre. D’où l’importance de bâtir une ville à la mesure des plus « sages » d’entre nous !