Fruit de la mobilisation de citoyens et de groupes communautaires de Pointe-Saint-Charles, le fameux Bâtiment 7 consolide son volet d’agriculture urbaine avec le projet pilote de La Fermette réalisé en collaboration avec l'épicerie à but non-lucratif le Détour, le Club populaire des Consommateurs de Pointe-Saint-Charles et la corporation de développement communautaire Action-Gardien. Visite des lieux en compagnie de Grégoire Dorval.
Vestige industriel du siècle dernier, qui a longtemps servi d’atelier ferroviaire au CN, le Bâtiment 7 a officiellement repris vie en 2018 à titre de centre autogéré par des groupes communautaires. La bâtisse, décrépite à la suite de plusieurs années d’abandon, a partiellement été remise en état. Elle sert déjà de lieu de rendez-vous pour les citoyens du quartier avec, entre autres, sa microbrasserie. Elle offre aussi des locaux pour des ateliers de fabrication, de réparation ou de recyclage, etc. Et, depuis les débuts, le Bâtiment 7 héberge Le Détour, une épicerie à but non lucratif : véritable oasis en plein cœur d’un désert alimentaire. Un désert alimentaire qui était d’ailleurs à l’image du terrain entourant le Bâtiment 7…
« À l’origine, le sol était complètement mort, explique Grégoire (ici, tout le monde s’appelle par son prénom). Il était fait de roches et d’argile. Dès la première année, on a commencé l’aménagement d’une parcelle, pour lui ajouter de la bonne terre et du compost, afin de faire nos plantations. On a pu ainsi se faire la main dans le domaine de l’agriculture urbaine. Et former nos premiers groupes de bénévoles au pouce vert. C’était une petite graine plantée pour que germe un jour le projet de La Fermette. »
Cette première parcelle de jardin collectif est représentative de la philosophie qui anime ce lieu. Plantes nourricières, médicinales, florales et mêmes sauvages se voisinent dans un heureux mélange dont la diversité pourrait être attribuable aux vœux mêmes de la nature. Cette planification « organique » s’explique en partie par le fait que la plupart des plantes ont été données ou même récupérées. Un jardin autonome expérimental, donc, planté un peu au hasard des occasions et des rencontres, mais visiblement entretenu avec amour.
Preuve de concept
La deuxième parcelle qui flanque la bâtisse, en direction de la fermette, et aménagée l’an dernier, ressemble à la première, mais pousse plus loin l’expérience avec la culture en bacs équipés d’un système d’irrigation. « Comme nous n’avions plus d’espace disponible à cet endroit, raconte Grégoire, nous avons installé nos bacs sur le terrain du voisin, qui de toute manière était vacant. On a fait ça au nom du principe de l’appropriation du territoire laissé en friche. C’est comme ça qu’on a fait la preuve qu’on pouvait en faire un meilleur usage et créer un espace de vie agréable. Parce que, sur ce terrain, il était prévu de construire une muraille de condos, à seulement 12 mètres du bâtiment 7. Ça aurait été une catastrophe pour notre développement futur, le quartier et ses résidents. »
Les citoyens l’ont en effet échappé belle… Car, à force de détermination et de pressions politiques, l’impasse s’est récemment dénouée sous la forme d’un échange de terrains orchestré par la ville de Montréal. Ainsi, la rangée de condos tant redoutée sera relocalisée, évitant ainsi d’enclaver le Bâtiment 7. D’autant plus que le Collectif 7 à nous caresse aussi autres projets mobilisateurs, notamment un centre de la petite enfance de 80 places. Et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, Montréal va se porter acquéreur du lot 5, voisin du Bâtiment 7, lequel sera destiné à l’agriculture urbaine !
La Fermette
Après les expérimentations réussies sur les deux premières parcelles, et malgré de nombreuses incertitudes, le projet pilote de La Fermette 2020 était mûr pour aller de l’avant1. « Il y a plus d’une année de planification derrière le lancement de ce projet de ferme urbaine, se remémore non sans fierté Grégoire. Car il fallait mettre en place un système alimentaire local qui intègre toutes les composantes essentielles : de la production, à la transformation, jusqu’à la distribution et la mise en marché. Sans oublier, bien sûr, la gestion des matières résiduelles, en particulier le compostage, afin de boucler la boucle de l’économie circulaire. Le tout dans le but de nous permettre de financer la production de l’année suivante et ainsi de suite. »
On trouve donc à La Fermette une serre trois saisons qui sera utilisée, chaque printemps, par le Club populaire afin de démarrer les semis de 5 jardins collectifs, en plus de faire de l’éducation populaire. L’été, la serre sera placée sous la responsabilité des bénévoles du quartier pour que sa production s’ajoute à celle des jardins extérieurs. Une production que Grégoire prévoit intensive, grâce aux soins des nombreuses personnes qui se relaient sans relâche et avec dévouement.
Le volet animal de la fermette compte actuellement deux poules – il y en avait quatre au départ, mais un grillage les protège désormais des renards… D’autres animaux pourront s’ajouter, comme des lapins. On caresse même le rêve d'installer une petite écurie, entre autres pour des fins éducative. Sinon, on trouve aussi une petite ferme de grillons, appelée à grandir, et une ruche. Mais en ce qui concerne cette dernière, Grégoire est toujours à la recherche d’un apiculteur d’expérience afin de mieux exploiter la ressource. Avis aux intéressés…
Le chantier de la cuisine de transformation, lui, en est à ses débuts. Une fois terminé, il sera composé par l’assemblage de 7 conteneurs de 20 pieds. « On souhaite y faire de la transformation de gros volume, précise Grégoire. Ça veut dire, non seulement les aliments provenant de nos jardins, mais aussi des aliments achetés en fonction des aubaines saisonnières. Par exemple, à l’automne, les choux ne coûtent presque rien. Alors aussi bien les transformer. Parce que notre mission, c’est de nourrir le quartier. »
Bel exemple de cet esprit de débrouillardise qui habite le Bâtiment 7, et qui d’ailleurs compte sur une multiplicité de talents et de savoir-faire, on leur a donné un premier conteneur, mais d’une longueur de 40 pieds ! Qu’à cela ne tienne… Ils ont demandé l’aide de l’Atelier La Coulée, et l’ami Maxime l’a coupé en deux avec une torche. Résultat : deux conteneurs pour le prix d’un. Et en plus, il était gratuit !
Mais l’un des volets qui enthousiasme le plus Grégoire est sans doute le petit laboratoire d’agriculture urbaine et de microbiologie alimentaire qui sera installé au côté de la cuisine de transformation. Microbiologiste de formation, Grégoire rêve déjà de fermentation, de lactofermentation, de cultiver des levures, de produire de la choucroute, du yogourt, du tempeh, du kéfir, du kimchi, du kombucha… Toutes des méthodes de transformation et de conservation qui contribuent à l’autonomie alimentaire.
Structure horizontale
L’autogestion est à la base de l’organisation de toutes les activités qui se déroulent au Bâtiment 7. Chaque groupe de bénévoles gère les tâches nécessaires au travail qui doit être accompli. « Moi, je suis simplement le mobilisateur des bénévoles de La Fermette, explique avec reconnaissance Grégoire. Parfois, je coordonne les coups de main qu’ils viennent offrir, par exemple pour l’installation d’un système d’irrigation. Mais ensuite, c’est au groupe responsable de s’en servir. Et d’autres fois, ce sont les bénévoles eux-mêmes qui proposent leur idée, aussi poétiques soient-elles, comme créer un jardin-table de plantes succulentes. »
« Des groupes autogérés, il y en a pour tous les aspects de la production, poursuit Grégoire. Un groupe serre, un groupe jardins, un groupe grillons, un groupe compost, un groupe poules… Celui-là a d’ailleurs été un succès dès le départ. J’avais 14 personnes dans le groupe poules. Imagine un peu ! 14 humains pour 4 poules. Mais, c’est parfait comme ça. On prouve que ça peut fonctionner. Que notre fabrique d’autonomie collective peut attirer davantage de citoyens, les impliquer, les mobiliser, et animer le lieu par eux et pour eux ! »
« Cette année, enchaîne Grégoire, on expérimente beaucoup de choses en même temps. Et l’année prochaine, on va en faire encore plus. Et on va continuer de s’adapter. Par exemple, la serre est conçue pour être éventuellement déplacée dans le lot 5 où nous prévoyons aussi aménager des jardins productifs. Même principe avec les conteneurs de la cuisine de transformation et du laboratoire qui pourraient changer de lieu, le cas échéant. Tout est possible… Ici, au Bâtiment 7, ça évolue tout le temps parce que c’est un vrai milieu de vie. Parce que, c’est comme ça la vie ! »
1 Le projet pilote de La Fermette 2020 est aussi rendu possible grâce aux contributions financières de l’Arrondissement le Sud-Ouest (32 000 $), l’Université Concordia (30 000 $), Agriculture et agroalimentaire Canada (25 000 $) et la Direction régionale de la Santé Publique (20 000 $).
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