Sept ans après avoir publié son essai « Perdus sans la nature », le journaliste François Cardinal demeure fort préoccupé par le déclin du jeu libre extérieur chez les enfants.
C’est au cours d’une conférence 100° présentée en plein air hier, aux Jardineries du Parc Olympique à Montréal, que l’éditorialiste en chef du quotidien La Presse a fait part de ses constats.
L’auteur salue les initiatives qui se multiplient pour favoriser le jeu libre, mais la puissante et grandissante concurrence des écrans l’inquiète : « Nous devons accélérer le tempo pour que les jeunes sortent de leur bulle technologique, pour qu’ils jouent dehors le plus souvent possible. »
« Actuellement, pour toute une génération d’enfants, aller jouer dehors est une punition, déplore-t-il. Nous avons coupé nos jeunes de la nature. Ils passent le plus clair de leur temps entre quatre murs, sans bouger. Pourtant, les études sont formelles à ce sujet : jouer dehors est essentiel au développement émotif, neurologique et physique des enfants. »
Malgré une prise de conscience collective et des changements de pratiques dans différents milieux, le conférencier se désole que les activités des enfants à la garderie, à l’école, à la maison soient encore trop encadrées.
« Le temps que nous passions avant à jouer dans la rue, les enfants le passent maintenant au service de garde. »
La culture de la peur et les « parents-curling »
L’absence de jeu libre dans le quotidien des enfants est un problème éminemment complexe, reconnaît François Cardinal, nommant trois facteurs qui y contribuent et qui affectent les familles de façon quotidienne.
« L’expression “parents-curling” désigne les adultes qui balayent avec ardeur toutes les aspérités devant leurs enfants, pour être bien certains qu’ils ne rencontrent jamais d’obstacle dans leur vie. »
« La culture de la peur reste très présente, soutient-il, même si les accidents et la criminalité ont atteint un creux historique ». L’hyperparentalité joue également un rôle : « Comme les parents passent moins de temps avec leurs enfants, ils veulent “maximiser” ces moments. Pas question que les jeunes perdent leur temps à simplement jouer dehors sans but précis. »
« C’est bien beau de faire le constat que nos enfants ont besoin de jouer dehors, mais nous devons aussi être conscients que les facteurs qui contribuent à cette situation sont insidieux, nombreux, et font partie de notre quotidien. »
Des enfants accaparés par les écrans
Mais ce qui nuit le plus au jeu libre, selon François Cardinal, c’est le temps que les enfants et les adolescents passent devant un écran, une situation qui s’est aggravée depuis la publication de son livre en 2010.
« Nos jeunes sont captifs de leurs écrans, tout comme nous le sommes, souligne-t-il. Et ils en sont captifs de plus en plus tôt dans leur vie. Ce phénomène est désormais appelé “vidéophilie” par les chercheurs. La dépendance des adolescents est tellement forte que certains chercheurs explorent même un possible rapprochement entre les effets recherchés par la consommation de drogue et l’utilisation des écrans chez les ados. »
Une prise de conscience qui mène à l’action
Le journaliste constate que la prise de conscience qui était naissante en 2005, au moment de la publication du livre Last Child in the Woods, est maintenant plus généralisée. « Les CPE se sont montrés très intéressés par mes conférences et c’est tant mieux, parce que c’est là que le changement doit commencer », fait valoir François Cardinal en saluant au passage le cadre de référence Gazelle et Potiron, qui a entraîné une grande ouverture d’esprit au sujet du jeu actif et du jeu à l’extérieur dans le milieu préscolaire.
« Les éducatrices voient de plus en plus des tout-petits arriver à la garderie avec des retards de motricité globale, parce qu’ils n’ont pas eu assez d’occasions de bouger librement dehors. »
Le milieu scolaire a réagi de façon plus tardive, selon le conférencier, qui note toutefois que cette année, 26 écoles de l’île de Montréal participent au projet pilote Mon service de garde physiquement actif.
François Cardinal se réjouit aussi que le jeu libre soit spécifiquement nommé dans plusieurs politiques et que des écoles aient ajouté le plein air et la nature à leur programme. « L’école primaire alternative publique Saules rieurs ouvrira ses portes à Verdun en septembre prochain. Le projet éducatif prévoit une heure par jour d’apprentissage à l’extérieur. De plus cet été, 14 cours d’école de la Commission scolaire de Montréal seront verdies. »
Le conférencier invite également les directions d’école et les conseils d’établissement à se tenir debout plutôt que de plier devant parfois un seul parent qui croit que des arbres dans une cour peuvent cacher un pédophile, ou que les grosses pierres prévues dans la création d’un espace extérieur augmentent les risques de blessures. Il souhaite que les parents sensibilisés à l’importance du jeu libre à l’extérieur s’impliquent davantage dans les conseils d’établissement pour réduire le pouvoir des parents hélicoptères qui s’opposent à toute prise de risque de la part de leur enfant.
Aux élus aussi de passer à l’action
« La prise de conscience des villes au sujet de l’importance du jeu libre à l’extérieur est à géométrie variable, constate François Cardinal. Les élus doivent avoir le courage politique d’assouplir ou d’abroger les règlements qui empêchent les enfants de jouer dehors. »
« Il faut encourager les initiatives citoyennes comme les ruelles vertes ou le verdissement des trottoirs, qui ont également l’effet d’augmenter la valeur des maisons d’un quartier. » Le conférencier ne serait d’ailleurs pas surpris que l’on constate, d’ici quelques années, que ces aménagements incitent les familles à rester ou revenir en ville.
« La Cour suprême a rappelé une évidence : le bruit des enfants qui jouent à l’extérieur, c’est normal, ce n’est pas un trouble de voisinage. »
Le journaliste recommande aux décideurs municipaux d’aménager ou de réaménager les rues en tenant compte des usagers les plus vulnérables et en choisissant consciemment de ne plus donner la priorité aux autos dans l’espace urbain. « Réduire la vitesse permise n’est pas suffisant. Il faut forcer les automobilistes à ralentir, par exemple en construisant des saillies de trottoirs et en aménageant des espaces comme le Woonerf Saint-Pierre dans le Sud-Ouest. »
Il fait également valoir que l’aménagement des rues en fonction des besoins des enfants et des aînés profite à tous les citoyens, quel que soit leur âge. « Une ville aménagée en fonction des usagers les plus vulnérables rend les quartiers plus vivants dans la journée, parce qu’elle permet notamment aux aînés de s’approprier l’espace extérieur ».
« La priorité du maire sortant de Gatineau s’il se fait réélire ? L’adoption d’un règlement permettant aux enfants de jouer dans la rue, une promesse électorale inimaginable, il y a quelques années. »
Récréation et réussite scolaire
François Cardinal a offert une primeur aux participants à la conférence : « D’ici quelques semaines, la Direction régionale de santé publique et la Commission scolaire de Montréal vont publier un document intitulé “Pour réussir à l’école, mieux vaut ne pas manquer la récréation” ». De la musique aux oreilles du journaliste pour qui la récréation est une occasion quotidienne de jeu libre et actif.
François Cardinal a accordé une courte entrevue à 100° après sa conférence. Extraits en rafale:
« Les recommandations concernant l’activité physique ont fait l’objet de plusieurs campagnes de sensibilisation. Il faut maintenant mieux sensibiliser les parents au sujet du temps d’écran, mieux diffuser les recommandations. »
« Avant même de favoriser quoi que ce soit, il faut que les élus municipaux, provinciaux et les ministres assouplissent les règles pour permettre aux initiatives, qui sont nombreuses, de voir le jour. Aujourd’hui, c’est difficile d’avoir une plante dans une garderie. Imaginez la réticence des fonctionnaires dans le cas d’une garderie en plein air ! Il faut soutenir ce genre de projet, enlever les obstacles. Actuellement, les projets novateurs qui tirent la qualité de vie vers le haut sont portés par des personnes très volontaires. »
« L’aménagement d’espaces favorables au jeu libre ne doit pas se limiter aux quartiers aisés. Les élus doivent travailler aussi fort à Outremont qu’à Saint-Michel ou Côte-des-Neiges. Il n’y a, par exemple, aucune raison qu’il n’y ait pas de mesures d’apaisement de la circulation en bas de la rue Côte-des-Neiges. Ou encore, qu’il y ait plus d’îlots de chaleur dans Hochelaga-Maisonneuve que dans Outremont. »
« Ce qui est le plus important c’est de jouer dehors. Peu importe que ça se passe dans une entrée de garage, une cour d’école accessible la fin de semaine ou un parc. »
« Les coffres à jouer dans les parcs constituent une initiative remarquable, car même si le parc n’est pas extraordinaire, c’est le fait de jouer à l’extérieur qui est fondamental, de lâcher les écrans et de sortir de la maison. »
Première conférence-réseautage 100° à Montréal
Initiative de Québec en Forme, cet événement a été présenté aux Jardineries du Parc Olympique, à Montréal, grâce à l’implication du Centre d’écologie urbaine de Montréal.