Santé et société

Double regard : un guide de collaboration entre Autochtones et allochtones… et les autres!

Double regard : un guide de collaboration entre Autochtones et allochtones… et les autres!

Ressource

Vous êtes engagé dans un projet qui demande la collaboration entre Autochtones et allochtones ? Vous souhaitez adopter au sein de votre organisation une approche décolonisation-réconciliation-autochtonisation ? Un nouveau guide, publié par l’Association pour la santé publique du Québec, vous invite à découvrir le concept de « Double regard » afin de soutenir vos démarches.

Ce Guide d’accompagnement pour un Faire ensemble de l’Etuaptmumk/Double regard (ou Two-Eyed seeing) repose sur le principe de l’égalité des savoirs. D’ailleurs, sa conception même incarne cette approche du Double regard, à la fois principe de vie et liant du vivre ensemble. 100º vous en offre un aperçu dans la foulée d’un entretien avec deux de ses cosignataires.

Double regard

L’idée de ce guide a germé dans le cadre d’efforts de décolonisation des cours et des programmes de l’Université de Montréal. Comme l’explique Carine Nassif-Gouin, une allochtone présentement conseillère et conceptrice pédagogique agréée au Cégep du Vieux Montréal, il était prévu, au départ, de publier une feuille de route de deux ou trois pages… « Rapidement, se souvient-elle, le projet a pris de l’ampleur, surtout quand nous avons découvert ce concept de Double regard. Des étudiants, notamment des Autochtones, se sont joints à nous, ainsi que plusieurs autres collaborateurs. Et puisque nous étions à la recherche d’exemples pour étayer la démarche, on contactait alors différentes personnes qui souvent nous disaient : est-ce que je peux rester dans votre projet, est-ce que je peux poursuivre le travail avec vous ! »

Double regard

Johnny Boivin, qui à l’époque était technicien de recherche, s’est joint à ce projet dès ses tout débuts. Innu par sa mère, et Atikamekw par son père, il est notamment le coordonnateur des communications au RÉSEAU de la communauté autochtone à Montréal. Près de 20 ans plus tard, non sans fierté, il porte un regard à la fois lucide et nuancé sur ce travail. « L’approche Double regard, à elle seule, ne peut pas suffire à notre décolonisation. À mes yeux, c’est plutôt une étape qu’une solution. Une étape qui conduit à mieux comprendre les réalités autochtones, à mieux collaborer avec elles. Toutefois, en tant qu’Autochtone, je trouve aussi que ce guide représente vraiment un outil précieux permettant d’établir un certain équilibre entre les deux parties. »

Et Johnny Boivin d’enchaîner : « Quand je dis que c’est une étape ou un outil, c’est parce qu’on peut vraiment l’utiliser dans la vie de tous les jours. On ne parle pas ici d’un cadre institutionnel. Ce n’est pas super formel en tant que tel. Double regard, c’est se mettre à la table ensemble, puis écouter les points de vue de chacun. Et ça, on peut le faire tous les jours, avec n’importe qui. »

À l’origine, le concept de Double regard (Two-Eyed Seeing en anglais, ou encore Etuaptmumk en mi’gmaw) a été élaboré, en Nouvelle-Écosse, par Murdena et Albert Marshall, deux personnes aînées de la Nation Mi’gmaw, ainsi que la professeure Cheryl Bartlett. C’était dans le but de concilier la vision de la santé dite conventionnelle allochtone avec celle de la santé traditionnelle autochtone. Un travail qui s’inscrivait dans la foulée des approches de décolonisation-réconciliation-autochtonisation (DRA).

Le meilleur des deux mondes

Bien sûr, ce guide s’adresse d’abord à toute personne qui souhaite initier, participer ou mener une démarche décolonisante, dans le respect des droits des peuples autochtones et surtout de leur autodétermination. Or, sa réalisation en tant que telle représente une remarquable preuve de concept. Puisqu’il a justement été élaboré selon l’approche Double regard. Il en est une manifestation réelle. Une concrétisation. Et quand on fait remarquer à Carine Nassif-Gouin que, si le guide existe, c’est donc la preuve que l’approche fonctionne…, elle répond du tac au tac : « En fait, c’est parce que le Double regard existe que nous avons maintenant ce guide. »

« Dans nos réunions de travail, se souvient-elle, le “nous” prenait toujours une place prépondérante. Parce que tout le monde adhérait à l’égalité des savoirs. Pour moi, qui suis allochtone, la personne autochtone à mes côtés est mon égale. Elle détient des savoirs qui sont égaux aux miens. Si, au contraire, on vise l’intégration, alors il y a déséquilibre. Car intégrer, c’est chercher à tirer l’autre vers soi. Mais, comme le dit si bien Johnny, il faut qu’il s’établisse un équilibre entre les deux. C’est d’ailleurs une expression que j’utilise maintenant tout le temps. On va trouver l’équilibre ensemble ! »

Double regard

Un double regard, une même vision

Cette quête d’un équilibre ne signifie pas pour autant la perte de l’identité de l’un ou de l’autre. La perte du qui nous sommes. « Il ne s’agit pas d’épouser étroitement l’autre, insiste Carine Nassif-Gouin. Ce n’est pas parce que j’adopte l’approche du “faire ensemble” que je vais devenir Autochtone. Pas plus que la personne des Premières Nations ou Inuit n’est tenue, parce qu’elle travaille avec nous, de devenir allochtone. »

De son côté, Johnny Boivin tient à rappeler que le Double regard n’est pas non plus un simple outil de consultation. Il ne s’agit pas de cocher une case puis de se dire : « OK, on a consulté les communautés. Maintenant on peut aller de l’avant avec notre projet ». L’approche Double regard, c’est faire preuve d’ouverture pour être capable de travailler, de collaborer avec l’autre. « Chacun d’entre nous est expert de sa réalité, soutient-il. C’est ça le Double regard : demeurer soi-même tout en restant ouvert et bienveillant à la différence, à autrui. »

Double regard

La force du nombre

L’élaboration de ce guide a mis à contribution de nombreuses personnes et plusieurs institutions, provenant aussi bien de la Saskatchewan, l’Ontario, la Nouvelle-Écosse que de l’Australie. « Parfois, on avançait des points de vue divergents, on voyait les choses différemment, se souvient Carine Nassif-Gouin, mais sans jamais de tensions ou de conflits entre nous. Comme si la perspective d’égalité, de respect mutuel… et le fait, comme dit Johnny, de reconnaître l’expertise de la réalité chez l’autre, suffisait à garantir nos échanges, à discuter sereinement, à travailler ensemble, sans que s’établissent des jeux de pouvoir, d’autorité, etc. »

Il est intéressant de noter que, au-delà des nécessaires efforts de décolonisation-réconciliation-autochtonisation à la source de ce travail, se dégagent aussi des approches de conciliations dont les enseignements peuvent bénéficier à tous les autres membres de la société. Ce guide marque probablement un important jalon sur le chemin du vivre-ensemble.

« Quand on travaille sur un gros projet comme ça, ajoute Johnny Boivin, on veut que ça aille le plus loin possible. Surtout quand c’est quelque chose qui peut vraiment créer du changement. Et en particulier, rétablir l’équilibre pour être plus fort en nombre ! Si on est plusieurs d’un côté et plusieurs de l’autre, alors il faut se rassembler. S’efforcer de partager un Double regard pour établir un même point de vue. Et, tous ensemble, travailler à un plus gros changement que si on était juste tout seuls, chacun de notre côté. »

« Je pense, poursuit-il, que ce guide, c’est vraiment un outil génial pour favoriser des collaborations dans tous les domaines de la société. J’espère que ça va générer des discussions, des conversations, que je souhaite même parfois inconfortables… pour que les gens puissent réaliser qu’ils ont besoin de ce Double regard. Pour mieux voir la réalité des autres. C’est aussi un guide qui offre des exemples concrets, vécus, pour que les gens comprennent mieux ce qu’on peut accomplir ensemble. Parce qu’il faut le voir pour le croire ! »

Double regard

Un guide doublement utile

Quelles sont les qualités, les dispositions requises pour adopter ce Double regard ? Quels sont les nécessaires prérequis de cette bienveillance, de cette ouverture à l’autre, et de cette absence de confrontation ?

D’abord, Carine Nassif-Gouin insiste pour dire que l’absence de confrontation est simplement la conséquence de la bienveillance. « À partir du moment où tu reconnais l’égalité, dit-elle, ça minimise les risques de conflit. Être égal, c’est être à l’écoute de l’autre. Et, en venir à se reconnaître dans l’autre. Ce qui demande tout simplement de l’humilité, du respect, de l’ouverture d’esprit et la volonté de “faire ensemble”. D’ailleurs, notre guide ne se veut pas prescriptif. C’est plutôt un témoignage du contraire. »

En effet, l’approche Double regard n’a pas à être codifiée. D’abord, elle n’appartient à personne, même si elle fait partie de notre héritage. Tout comme elle préexistait à l’élaboration du guide. D’ailleurs, Johnny Boivin fait remarquer que certaines personnes appliquent le Double regard sans même en connaître le nom. « Pour elles, explique-t-il, le Double regard fait déjà partie de leurs principes de vie. Donc, avec ce guide, ces personnes vont pouvoir se reconnaître dans ce qu’elles font, et en mesurer les impacts. Et pour les personnes qui ne connaissent pas le Double regard, qui ne savent pas comment l’appliquer, mais qui souhaitent faire preuve de cette ouverture d’esprit, alors le guide est tout désigné pour les aider à comprendre comment le conjuguer dans leur vie. »

Double regard, donc, entre ceux qui découvrent ce qu’ils n’ignoraient pas et ceux qui désirent apprendre ce qu’ils ne savaient pas. Ce qui multiplie les possibilités de « tressage » entre bonnes volontés…

En plus de l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) et du Réseau francophone international pour la promotion de la santé (RÉFIPS), ce projet a également été rendu possible grâce au soutien financier apporté par le ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi que le Secrétariat aux relations avec les Premières Nations et les Inuits.

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