Les transports collectifs gratuits font leur chemin, particulièrement en Europe et, dans une moindre mesure, en Amérique du Sud et aux États-Unis. Dunkerque en France, Tallinn, la capitale de l’Estonie, mais aussi Kansas City se sont récemment jointes à ce mouvement de gratuité des transports en commun. 100° s’est entretenu avec Maxime Huré, spécialiste des politiques de mobilité durable, enseignant-chercheur en science politique à l’université de Perpignan et président de l’association Villes innovantes et gestion des savoirs.
« Bien qu’il n’existe pas encore de recension mondiale des villes offrant la gratuité totale des transports, on estime que 120 d’entre elles ont mis cette mesure en place, dont 36 en France », précise d’emblée Maxime Huré qui, avec des collègues belges et luxembourgeois, travaille actuellement sur cet inventaire ambitieux.
Transports collectifs gratuits : une tendance encore marginale, mais en expansion
La très grande majorité des villes et des agglomérations ayant mis en place cette mesure l’ont fait depuis le début des années 2000. Et le mouvement inclut maintenant des villes plus importantes comme Dunkerque en 2018 (population : 200 000 habitants) et Kansas City en 2019 (près de 500 000 habitants). « En 2013, Tallinn, la capitale de l’Estonie, a été la première ville de plus de 400 000 habitants à instaurer le transport gratuit sur son territoire », indique Maxime Huré.
À Tallinn et Kansas City, la gratuité est toutefois réservée aux résidents. En revanche, dans la Communauté urbaine de Dunkerque, qui regroupe 17 municipalités, tous ont accès sans billet aux autobus, même les visiteurs. C’est le cas aussi au Luxembourg depuis mars 2020, d’une façon encore plus radicale. « Le Luxembourg, qui compte 615 000 habitants, a même rendu le train gratuit, ce qui a réduit les frais de transport des quelque 200 000 travailleurs transfrontaliers », souligne Maxime Huré.
Les moteurs de la gratuité des transports en commun : choix politique, transition écologique et équité sociale
« Les élus français qui sont passés à l’action sont historiquement issus tant de la droite que de la gauche, mais plusieurs des maires socialistes et écologistes ayant fait campagne sur cette promesse ont été élus ou réélus en 2020 », mentionne Maxime Huré.
Les partisans de la gratuité considèrent le transport collectif comme un bien public, au même titre que les parcs ou le réseau d’égouts, par exemple. Les motivations des municipalités sont variées, mais tournent souvent autour de trois axes : mobilité et urbanisme durables, revitalisation du centre-ville et accessibilité sociale du transport collectif.
« Bien qu’en France, plusieurs villes offrent le transport gratuit ou à tarif réduit aux plus démunis, on constate que les personnes qui en ont le plus besoin n’y font pas toujours appel, par manque d’information ou en raison de difficultés à fournir les documents requis. On estime le taux de non-recours à ces tarifs spéciaux à 40 %, signale Maxime Huré. C’est une double peine, puisque les billets occasionnels qu’elles achètent sont les plus chers. Avec la gratuité, on renverse la vapeur, car ce sont les personnes et les familles à faible revenu qui en bénéficient le plus. »
« La vision défendue par les élus locaux est que la gratuité des transports permet de répondre aux grands enjeux sociaux, environnementaux et économiques de la mobilité urbaine. » - Maxime Huré
« Les maires font aussi le pari que l’argent économisé par les usagers sera dépensé localement, ajoute-t-il. Et, dans le cas des villes qui réservent la gratuité à leurs résidents, il y a un désir de rétention et même d’attractivité. Tallinn, par exemple, a gagné 25 000 résidents depuis la mise en place de la gratuité en 2015. Les taxes versées par ceux-ci compensent largement la perte de revenus liée à la gratuité. »
Comment financer la gratuité des transports en commun ?
« La gratuité des transports en commun entraîne en effet une perte de revenus pour les villes, reconnaît Maxime Huré, mais aucun réseau de transport n’est financé uniquement par les usagers. En France, par exemple, la part de la contribution des usagers au financement des réseaux varie de 10 % à 30 %. »
« Certains maires font des choix politiques assumés, poursuit-il. À Dunkerque, par exemple, le maire a renoncé à construire une salle de sports et de spectacles planifiée par l’équipe précédente et a plutôt affecté 180 millions d’euros au financement de la gratuité et à l’amélioration du service et du réseau. »
Par ailleurs, en France, les entreprises de plus de 11 employés financent une partie du transport collectif, par ce qu’on appelle le « Versement transport ». Les employeurs payent également la moitié de l’abonnement au transport en commun de leurs salariés. « Avant la mise en œuvre de la gratuité à Dunkerque, la municipalité a augmenté ce montant, mais les entreprises y ont trouvé leur compte puisqu’elles n’ont plus à payer 50 % de l’abonnement de leurs employés », indique Maxime Huré.
« La suppression des titres de transport simplifie les déplacements, ce qui favorise notamment l’autonomie des jeunes. »
On peut aussi faire un calcul différent. Dans l’agglomération d’Aubagne, qui compte 12 communes et 100 000 habitants, l’augmentation de la fréquentation a fait diminuer le prix par déplacement : en 2008, avant la gratuité, la dépense par déplacement était de 3,93 euros. Fin 2011, la collectivité n’avait plus que 2,04 euros à débourser, alors même que le service s’était amélioré.
Des bus gratuits le week-end pour commencer
À Dunkerque, le transport collectif est devenu gratuit la fin de semaine en 2015, soit trois ans avant la gratuité totale. À Montpellier, la 7e ville de France, qui compte 400 000 habitants, la transition sera également progressive. Ainsi, depuis septembre 2020, les habitants de la métropole peuvent se procurer un « Pass week-end gratuit ». Dans la foulée, le prix des abonnements mensuels des résidents a été réduit de 10 %. La gratuité sera ensuite étendue aux personnes âgées et aux jeunes, puis, d’ici 2023, à tous les habitants de la métropole.
Transport collectif gratuit et amélioration du réseau : duo gagnant
« Les détracteurs du transport gratuit affirment que cette mesure risque d’entraîner un mauvais entretien du réseau, faute de fonds, ainsi qu’une augmentation des méfaits, rapporte Maxime Huré. Or, la réalité est tout autre. » Ainsi, à Dunkerque la mesure a été accompagnée d’un renouvellement de la flotte de bus, de la création de nouvelles lignes, mais aussi d’importants travaux de réaménagement et d’embellissement du centre-ville.
« L’augmentation de la fréquentation entraînée par la gratuité est très importante les deux premières années, puis elle augmente légèrement en fonction de l’amélioration du service les années suivantes. »
Les bus gratuits attirent de nouveaux usagers
Quant aux craintes concernant le vandalisme ou l’incivilité, l’argument ne tient pas non plus selon Maxime Huré. « Les autorités ont plutôt constaté une réduction de ces méfaits, qui est attribuée justement à l’augmentation de la fréquentation, notamment le soir et le week-end, indique-t-il. Cette augmentation a d’ailleurs été spectaculaire dans toutes les villes concernées. À Dunkerque, la fréquentation a augmenté de 65 % en semaine et de 125 % les week-ends ! »
Et les citoyens de Dunkerque sont très satisfaits des transports gratuits. « Un an après la mise en place de la mesure, une enquête d’opinion a révélé que 85 % d’entre eux approuvaient ce changement et, en 2020, le maire a été réélu dès le premier tour », souligne Maxime Huré, en ajoutant que si tous les maires ayant fait campagne sur la gratuité des transports réalisent leur promesse, la France pourrait compter 45 villes ayant mis cette mesure en place d’ici 2026.
« Au cours d’une enquête menée après un an de gratuité à Dunkerque, 5 % des nouveaux utilisateurs du transport collectif ont indiqué avoir vendu leur second véhicule motorisé ou repoussé un achat. »
Est-ce que la gratuité des transports collectifs change les habitudes de déplacement des citoyens ? Selon l’enquête menée un an après le début de la gratuité à Dunkerque, 32 % des usagers ont déclaré l’utiliser beaucoup plus et 18 %, un peu plus. « Tout près du quart des nouveaux usagers ont répondu qu’ils prenaient leur auto avant la gratuité », précise Maxime Huré. Le chercheur précise toutefois que peu de recherches ont été faites sur le report modal, excepté à Dunkerque, ce qui ne permet pas de généraliser les données.
« Le succès de l’expérience dunkerquoise a relancé le débat national sur la gratuité des transports, observe Maxime Huré. Le choix politique de la ville remet en cause les approches classiques qui reposent uniquement sur des considérations financières et techniques. Dunkerque est devenu un véritable laboratoire et accueille de nombreuses délégations de villes françaises et étrangères qui viennent observer le fonctionnement de la gratuité des transports. »
Photo de départ : Les passionnés de Dk'bus
Transports collectifs gratuits en France
En date de janvier 2021, 36 villes ou agglomérations françaises offrent le transport collectif gratuit à leur population ; 13 d’entre elles comptent 80 000 habitants ou plus.
VILLE | DATE |
Compiègne | 1975 |
Levallois | 1983 |
Puteaux | 1987 |
Châteauroux | 2001 |
Vitré | 2001 |
Gap | 2005 |
Castres | 2008 |
Aubagne | 2009 |
Gailliac- Grolhet | 2014 |
Niort | 2017 |
Dinan | 2018 |
Dunkerque | 2018 |
Calais | 2020 |
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