Dans un essai qui vient de paraître, l’auteur et chroniqueur Marc-André Carignan brosse un portrait du parc scolaire québécois et propose de nombreuses pistes de solution pour offrir à nos jeunes des écoles du 21e siècle.
Pendant 2 ans, Marc-André Carignan a mené des recherches, parcouru le Québec pour visiter de nombreuses écoles et rencontrer des intervenants du milieu. L’objectif poursuivi avec son essai : interpeller les responsables politiques, les leaders des commissions scolaires, les enseignants et aussi les parents qui ont tous à cœur d’offrir un avenir meilleur à nos enfants.
« Mon livre part de deux constats, explique-t-il en entrevue à 100º. J’ai d’abord été choqué par les reportages montrant des écoles qui tombent en ruine. Vous savez, je suis architecte de formation, et l’architecture, c’est l’art de comprendre les impacts des environnements bâtis sur les individus. Alors j’étais renversé de constater qu’on avait négligé cette variable dans l’équation de la réussite éducative. Et d’autre part, j’ai constaté que même les écoles neuves reprennent encore et toujours la même vieille formule d’aménagement : des rangées de pupitres alignées face au bureau de l’enseignant et à un tableau, quand bien même il serait interactif. »
Un écosystème d’apprentissage
Il faut repenser les espaces dans les écoles, martèle Marc-André Carignan. Il faut les décloisonner. Car, avec le modèle actuel, les enfants passent la plus grande partie de leur temps assis dans la même classe, outre quelques périodes au gymnase ou à la bibliothèque. On doit plutôt concevoir l’école comme un écosystème d’apprentissage afin de le rendre plus stimulant et l’utiliser de manière optimale. Autant pour les enfants que pour les enseignants.
École High Tech Elementary, Denver, Colorado. Design et photo : Kurani
« Des classes sans rangées de pupitres, ça existe. J’en présente de beaux exemples dans le livre, comme l’école High Tech Elementary, au Colorado. On y voit une classe complètement transformée qui se compose désormais de différents îlots, chacun avec sa vocation particulière, mais qui peuvent aussi être reconfigurés en un clin d’œil grâce au mobilier sur roulette. Je sais que l’on cite souvent les pays scandinaves ou même le Japon en la matière, mais tant qu’à chercher des cas exemplaires à l’extérieur de la province, j’ai préféré me tourner vers les États-Unis parce que leur réalité, leurs repères culturels et leurs problèmes sont similaires aux nôtres, et donc leurs solutions sont plus facilement transposables. »
La mutualisation des infrastructures
On doit non seulement décloisonner l'apprentissage à l’intérieur des écoles, mais il faut aussi désenclaver les écoles qui sont trop souvent isolées de leur milieu. Certaines d’entre elles, avec leurs fenêtres grillagées et dont la cour est cernée par une clôture métallique, évoquent plus un établissement carcéral qu’une école. « Pour un enfant, rappelle Marc-André Carignan, l’école c’est sa deuxième maison. Mais si les lieux sont lugubres et vétustes, comment voulez-vous que les jeunes développent un sentiment d’attachement ou de fierté ? Et comment s’étonner ensuite que certains d’entre eux décrochent ? »
Ce sentiment de fierté devrait aussi habiter les gens du quartier, plaide l’essayiste. On doit replacer l’école au cœur de son quartier. Il faut qu’elle devienne le noyau de sa communauté. Et la meilleure manière pour y parvenir, c’est de mutualiser les infrastructures. « L’école doit continuer de vivre, après l’école, après les heures de classe. Qu’il s’agisse de sa cuisine, de ses Fab Labs, son gymnase ou sa cour, toutes les installations qu’elle possède doivent être mises à la disposition des simples citoyens et des groupes communautaires. Pour que, eux aussi, ils développent un sentiment d’appartenance. Et qu’ils s’investissent afin d’en prendre soin. »
École High Tech Elementary, Denver, Colorado. Design et photo : Kurani
Moderniser les règles
La mutualisation des infrastructures, qui conduit au partage des ressources humaines, matérielles et financières, permet certes une gestion plus efficace dans la gestion des fonds publics, mais sa mise en application peut se heurter à de très nombreux obstacles. « Tout le monde travaille en silo et s’en remet à des règles parfois absurdes. Des règles souvent plus vieilles encore que les bâtiments scolaires eux-mêmes. Alors, forcément, les gens sont comme obligés de refaire à l’identique. Ils voudraient bien sortir de la boîte, mais le conservatisme ambiant les en empêche. »
Dans son livre, Marc-André Carignan illustre le type d’embûches bureaucratiques auxquelles les meilleures idées peuvent se buter. Ainsi, le maire du Plateau-Mont-Royal avait besoin de construire une nouvelle bibliothèque, mais pas de terrain pour le faire. Il propose alors à une école, propriétaire d’une très grande cour, d’en utiliser une partie pour construire une bibliothèque adjacente au bâtiment scolaire. L’arrondissement s’engageait ainsi à défrayer les coûts de construction, d’entretien et de fonctionnement de la bibliothèque à laquelle, bien sûr, les élèves et le personnel enseignant auraient librement accès. En échange, l’école n’avait qu’à céder la parcelle de terrain pour une somme symbolique. Un projet gagnant-gagnant, mais qui n’a pas abouti. À cause d’une simple règle stipulant que la commission scolaire doit vendre un terrain à sa valeur marchande.
École High Tech Elementary, Denver, Colorado. Design et photo : Kurani
De l’espoir…
« Mon école serait en forme d’étoile. Dans les pointes, ce sont des chambres où on peut ne rien entendre pour se concentrer, faire de la musique. On peut dormir ou lire. Au centre de l’étoile, on peut se rassembler et danser, parce qu’il y a de la musique. » – River
« Moderniser le parc scolaire québécois pour faire des classes du 21e siècle, ça va prendre du temps, prévient Marc-André Carigan. Mais c’est possible. Pour écrire ce livre, j’ai rencontré une cinquantaine d’experts - psychologues, politiciens, designers, professeurs, architectes - et aussi des élèves qui m'ont décrit leur école de rêve. Or, sur le terrain, c’est palpable : de plus en plus de gens veulent faire les choses autrement. J’ai pu constater qu’il y a une conscience qui se développe, qu’il y a une sorte de réveil collectif. Et qu’une pression populaire commence à s’exercer sur le politique. On a maintenant besoin que cette poussée s’accompagne d’une vision résolument moderne du rôle de l’éducation, d’une volonté de donner à nos jeunes des écoles du 21e siècle ! »
Les écoles qu’il nous faut Marc-André Carignan, Éditions MultiMondes, Montréal, 2018, 215 pages
École Médéric-Gravel, La Baie, Saguenay. Design : Les Maîtres d'œuvres, Photo: Alexandre
Un cas d’école...
Lorsque l’on demande à Marc-André Carignan s’il conserve, de toutes ses visites des écoles de la province, un coup de cœur, il répond sans hésiter : l’école Médéric-Gravel, de La Baie au Saguenay. « Lorsque je suis allé la visiter, raconte-t-il, l’école avait déjà beaucoup fait parler d’elle. Alors, la première chose que j’ai demandée à Chantal Cyr, qui était alors de la Commission scolaire des Rives-du-Saguenay : comment avez-vous réussi ce qu’aucune autre école n’a pu faire à ce jour ? Elle m’a expliqué que, dès son entrée en poste, la visite des écoles sous sa responsabilité l’avait complètement traumatisée. Elle s’est dit que ça n’avait aucun sens et que les choses devaient changer. »
« Pour le résumer, explique Marc-André Carignan, Chantal Cyr a mis en place une cellule de réflexion qui avait carte blanche. En naviguant sur le Web, les membres de l’équipe se sont inspirés des meilleures pratiques, y compris de milieux de travail comme ceux aménagés chez Apple, Google ou Facebook. Ensemble, ils ont repensé les classes, non pas pour que l’enfant s’adapte aux espaces, mais pour que les espaces s’adaptent à l’enfant, à sa personnalité et à sa volonté d’apprendre en fonction de ses forces, ses faiblesses et ses intérêts. L’objectif était de sortir l’élève du modèle "pupitre, livres et crayons" pour qu’il puisse apprendre différemment, à son rythme et à sa façon. »
École Médéric-Gravel, La Baie, Saguenay. Design : Les Maîtres d'œuvres, Photo: Alexandre
« Le résultat est frappant, s’enthousiasme Marc-André Carignan. On ne trouve, dans cette école, aucune classe traditionnelle. Chaque salle est plutôt dotée de sa propre signature, inspirée de thématiques régionales et des valeurs éducatives qu’elle véhicule. Chacune des classes est organisée autour de petits îlots pour favoriser le travail collaboratif et aussi permettre de varier les apprentissages. De plus, des murs coulissants leur offrent la possibilité de s’agrandir sur des espaces auxiliaires. Et bien sûr, l’école a sa propre cuisine, un petit magasin général, pour que les enfants se procurent les ingrédients nécessaires à leur recette, ainsi qu’une serre aménagée dans la cour d’école. Bref…, quand je vous disais qu’il y a de l’espoir ! »
Les photos de la galerie sont de l'école Médéric-Gravel, La Baie, Saguenay. Design : Les Maîtres d'œuvres, Photo: Alexandre