Santé environnementale

Carbone riverain: séquestrer le carbone et rétablir les écosystèmes des cours d'eau en milieu agricole

Carbone riverain: séquestrer le carbone et rétablir les écosystèmes des cours d'eau en milieu agricole

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Forte de son succès en matière de reboisement social et d’écoéducation, la coopérative Arbre Évolution innove à nouveau avec un programme d’implantation de bandes riveraines élargies en milieu agricole. Zoom sur une initiative financée par l’achat de crédits carbone.  

Un peu de contexte. Bien des cours d'eau du Québec finissent leur course dans le fleuve Saint-Laurent, mais l’eau qu’ils y déversent est polluée. Voilà pourquoi la réglementation québécoise exige une bande de protection d’au moins 3 mètres de chaque côté du cours d’eau, qui peut être laissée à l’état naturel ou aménagée. Ce sont les municipalités et les MRC qui ont le pouvoir de faire respecter cette zone tampon et de donner des constats d’infraction. Les inspections montrent toutefois que les agriculteurs ne respectent pas toujours cette obligation légale, notamment parce qu’ils estiment que la bande riveraine les prive d’une superficie cultivable. D’autres respectent la largeur de la bande riveraine sans pour autant chercher à en optimiser l’aménagement, à cause des coûts liés à la végétalisation de cet espace et à son entretien.

bande riveraine
Crédit photo : MRC des Maskoutains

La bande riveraine : un aménagement gagnant-gagnant selon l’UPA et le MAPAQ

Pourtant, selon l’Union des producteurs agricoles (UPA), qui a mis en place le site Opération bandes riveraines, les inconvénients liés au respect de la largeur d’une bande riveraine et à son amélioration « ne font pas le poids face à ses nombreux avantages », tant pour l’environnement que pour les agriculteurs eux-mêmes, sur le long terme. L’UPA affirme, par exemple, que cette zone tampon :

  • Stabilise et solidifie les berges en freinant leur érosion.
  • Minimise la perte de sol (et de fertilisants), qui est estimée à 3 millions de tonnes par année au Québec !
  • Retient les sédiments et filtre les polluants, ce qui améliore la qualité de l’eau des cours d'eau et, ultimement, la qualité de l’eau du Saint-Laurent.
  • Permet aux pollinisateurs de continuer leur travail crucial pour la santé des écosystèmes.
  • Crée des habitats propices à l’établissement d’une faune aquatique diversifiée.
  • Agit comme corridor faunique, facilitant ainsi la connectivité des habitats.
  • Fait office de haie brise-vent lorsqu’elle comporte des arbres et des arbustes. Le couvert de neige est alors plus abondant, ce qui améliore la survie des cultures hivernales, réduit l’érosion éolienne et la dérive des pesticides.

De son côté, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) considère que « l’aménagement optimal de la végétation de la bande riveraine et son élargissement de quelques mètres augmentent son efficacité et offrent plusieurs autres bénéfices. » Même son de cloche de la part du site collaboratif Agri-Réseau, qui a mis en ligne, en avril 2021, un simulateur de coûts de bandes riveraines.

bande riveraine
Crédit photo : MRC de Drummond

Le financement, nerf de la guerre

Plusieurs programmes offrent du financement pour la conception et l’aménagement des bandes riveraines en milieu agricole, comme :

bande riveraine captation carbone
Crédit : Carbone riverain

Carbone riverain: un programme unique

Conçu par la coopérative Arbre-Évolution, Carbone riverain se distingue des autres programmes de financement de plusieurs façons :

  • La bande riveraine est élargie à 8 m, soit 5 m de plus que le minimum exigé.
  • Elle est végétalisée en trois bandes qui favorisent l’infiltration de l’eau de ruissellement et captent le carbone, tout en ayant chacune un avantage spécifique: les plantes herbacées attirent les pollinisateurs, tandis que le système racinaire des arbustes et des arbres réduit l’érosion du sol.
  • Le coût de ces travaux et le montant de la compensation sont financés par l’achat volontaire de crédits carbone (aussi appelés crédits compensatoires) par des entreprises qui souhaitent réduire leur empreinte écologique.
  • Une fiducie d’utilité sociale et agroécologique (FUSA-CR) administre les fonds provenant de la vente de ces crédits compensatoires. Elle signe avec chaque agriculteur participant un contrat de servitude à perpétuité et lui verse en échange une redevance de 22 000 $ par hectare (ha).
  • Cette servitude permet à une tierce organisation d’avoir accès à la bande riveraine pour réaliser les opérations de suivis et de vérification de la séquestration de CO2 sur un horizon de 40 ans.
  • Carbone riverain verse 3 % des ventes de crédits carbone à un département de recherche dédié à mesurer les impacts sociaux et écosystémiques des implantations.
  • La captation du carbone de l’aménagement type réalisé par Carbone riverain a été mesurée par l’organisme à but non lucratif Coop Carbone, qui offre du soutien aux entreprises souhaitant décarboner leurs activités.
carbone riverain
Simon Côté, Coordonnateur général d’Arbre-Évolution

Un programme longuement réfléchi pour éviter les angles morts

« Nous réfléchissons à ce projet depuis que nous avons lancé notre coopérative en 2013, relate le coordonnateur général d’Arbre-Évolution, Simon Côté. Nous voulions combiner notre expertise en marché volontaire du carbone et en implantation de projets agroforestiers pour en faire profiter les agriculteurs. Nous connaissons très bien le milieu agricole, où nous avons aménagé plus de 200 bandes riveraines, ce qui nous donne une bonne perspective de ce qui fonctionne ou pas. »

« Par exemple, le MAPAQ a financé beaucoup de projets d’aménagement de bandes riveraines, mais très peu de fonds ont été alloués à l’entretien, notamment à la taille des arbres, poursuit Arnaud Le Chatelier, co-concepteur du programme Carbone riverain et chargé de projets spéciaux chez Arbre-Évolution. Ce manque de suivi a nui à la croissance des arbres et au travail des agriculteurs lorsque des branches accrochaient la machinerie, ce qui a contribué à la dépréciation des arbres en milieu agricole. »

Pour éviter cet angle mort, la fiducie conserve les sommes récoltées non seulement pour payer la redevance agricole, mais aussi pour assurer l’entretien des plantations et le suivi des projets sur un horizon de 40 ans. « En signant le contrat de servitude, l’agriculteur s’engage à ne plus jamais cultiver cette zone tampon et à ne pas en couper les arbres, sauf dans le cas où certains tomberaient et empiéteraient sur la surface cultivable », indique Simon Côté. 

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Ferme Le Ruisseau Fleury

1500 arbres et 660 arbustes plantés sur deux terres agricoles

Financée par des crédits compensatoires provenant de cinq entreprises et organisations, la première bande riveraine signée Carbone riverain a vu le jour en 2021, sur les terres de la ferme laitière du Ruisseau Fleury, située à Val-Alain dans la MRC Lotbinière (225 ha).

« Nous avons planté 757 arbres et 324 arbustes sur 4 tronçons de champs, décrit Simon Côté. Le ruisseau Fleury se jette dans la rivière du Chêne, un important affluent de la région, qui, à son tour, se jette dans le fleuve Saint-Laurent. Nous avons également ensemencé la bande herbacée avec un mélange de plantes mellifères et fourragères spécifiquement conçu pour accentuer la pollinisation. » La superficie aménagée est de 0,649 ha et séquestrera un peu plus de 1000 tonnes de CO2 sur 40 ans.

Cet aménagement a reçu le Prix d’excellence 2022 de la Société québécoise de phytotechnologie pour le meilleur projet québécois en phytotechnologie. Les propriétaires avaient déjà fait planter une rangée d’arbres, grâce à une subvention du programme Prime-Vert. « L’option offerte par Carbone riverain nous a permis d’élargir nos bandes riveraines en ajoutant une rangée d’arbres sans frais, avec une redevance à la clé, se réjouit Matthieu Giroux, copropriétaire de la Ferme le Ruisseau Fleury. C’est important de garder le sol à la bonne place et de créer des îlots de diversité biologique. On veut avoir plus d’oiseaux, plus de petits animaux et de la beauté dans nos champs ! »

Réalisé en 2022, le second projet a pris racine sur les terres de la ferme laitière HLR Faucher (223 ha), située à Saint-Ludger, en Estrie. L’aménagement de 0,685 hectare est situé le long de la rivière Chaudière. « C’est avant tout l’incitatif financier qui m’a convaincu de sacrifier une superficie cultivable, souligne Guillaume Faucher, un des propriétaires de la ferme. Mais selon mon grand-père, on pêchait à la fourche dans cette rivière avant, alors qu’aujourd’hui rien ne garantit que tu vas ramener même un seul poisson. L’aspect écologique est donc un plus. »

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Arnaud Le Chatelier, chargé de projets spéciaux chez Arbre-Évolution

Des contraintes réglementaires plus sévères en vue

Un troisième agriculteur, dont la ferme est située dans la MRC de Joliette, s’est montré intéressé. « Ça chauffe un peu dans le milieu agricole, indique Arnaud Le Chatelier. La réglementation sur les bandes riveraines risque de se resserrer. Nous offrons aux agriculteurs la possibilité d’aller au-delà des exigences actuelles, plutôt que d’être contraints d’en faire plus dans quelques années, sans compensation financière. C’est un pensez-y-bien. »

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Ferme HLR Faucher

10 entreprises partenaires

Actuellement, 10 entreprises achètent des crédits carbone par l’intermédiaire du programme Carbone riverain. C’est le cas des Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ), un organisme qui distribue chaque année des bourses à des milliers de jeunes de 18 à 35 ans dans le but de favoriser la solidification et le rayonnement de leurs projets. « Les activités de soutien à la mobilité des participants entraînent annuellement quelque 5000 trajets en avion, décrit Steven-Paul Pioro, directeur général de la Fondation LOJIQ. En 2019, alors que nous réfléchissions à cet enjeu, nous avons invité nos participants à consacrer volontairement un montant ou un pourcentage de leur bourse dans le but de contribuer à la décarbonation de nos activités d’ici 2030. La moitié d’entre eux ont dit oui ! »

« La Fondation LOJIQ s’est alors associée au programme de Reboisement social mis en place par Arbre-Évolution, poursuit-il. Toutefois, dès que Simon Côté nous a parlé de Carbone Riverain, nous avons été séduits par le fait que l’implantation de bandes riveraines élargies, en plus de séquestrer du CO2, améliore la qualité de l’eau et rétablit des écosystèmes sains en milieu agricole. »

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Ferme le Ruisseau Fleury

Du bonus après 40 ans

« La beauté de Carbone riverain, c’est que le carbone séquestré après la période de 40 ans est un bonus, car il n’est pas monnayé, explique Arnaud Le Chatelier. L’aménagement continue à séquestrer du carbone, tout en étant également un site de renaturalisation de la bande riveraine. » 

« Je pense que les agriculteurs ont faim d’initiatives qui leur permettent d’être des acteurs positifs de la lutte aux changements climatiques, conclut Simon Côté. Nous valorisons leur contribution grâce à une stratégie destinée à changer la donne en matière de qualité de l’eau au Québec. »

Photo de départ : bande riveraine sur les terres de la Ferme Loiselle, à Saint-Marc-sur-Richelieu. Crédit photo : UPA

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