Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, des forêts nourricières commencent à se répandre dans différents milieux : plusieurs municipalités se sont engagées dans ce virage, voici maintenant qu’une école secondaire et l’université emboitent le pas.
L’école Jean Gauthier d’Alma, au Lac-Saint-Jean, est la première école secondaire au Québec à faire pousser une forêt nourricière. En 2016, Annie Boulianne, une dynamique enseignante en histoire et géographie, met sur pied un comité environnement avec quelques élèves de l’école pour gérer le recyclage et le compostage. Puis, en 2017, elle obtient une subvention d’Arbres Canada pour planter des arbres dans la cour de l’école. Lorsqu’elle fait la découverte de l’organisme Eurêko, elle a un véritable coup de cœur pour le concept de forêt nourricière. « Un jardin autonome sans entretien, c’est tout à fait ce dont l’école avait besoin ! » dit l’enseignante.
Eurêko est un organisme environnemental sans but lucratif qui fourmille de projets en agriculture urbaine, en aménagement et en évènements écoresponsables. Gabrielle Filiatrault, chargée de projet en agriculture urbaine, a rencontré Annie Boulianne à plusieurs reprises pour concevoir le plan d’aménagement de la forêt nourricière. « Les différentes couches de végétaux, soit les arbres, les arbustes, les herbacées, sont choisies parce qu’elles s’adaptent bien au sol et au climat de la région. Nous avons même planifié des variétés d’arbres fruitiers qui produisent en juin ou en septembre pour que les élèves puissent y avoir accès ! »
Des élèves et une communauté engagés
Les élèves bénévoles ont participé activement à toutes les étapes du projet. « Ça me tenait à cœur de m’impliquer pour aider l’environnement », dit Olivier Maltais, élève de 3e secondaire, impliqué dans le comité environnement. Les élèves ont été particulièrement sollicités lors de deux journées intensives. D’abord pour la préparation du terrain et l’aménagement des plates-bandes, puis une fin de semaine de septembre pour la plantation. « J’ai été étonné de voir autant de monde venir nous aider », raconte Alex Tremblay, élève de secondaire 3. « La communauté de Saint-Cœur-de-Marie, l’Association des retraités de l’enseignement et des élèves de différents programmes sont venus prêter main-forte aux jardiniers en herbe », ajoute fièrement Annie Boulianne.
Un bar à salade 100 % régional
Le virage vert à l’école Jean Gauthier s’est aussi étendu jusque dans la cafétéria grâce à un projet de bar à salade. Pascal Tremblay est intervenant-conseil et responsable de la cuisine entrepreneuriale. Il a obtenu une subvention de 10 000 $ de l’initiative « De la ferme à l’école — Le Canada : une terre fertile ! », en collaboration avec Équiterre. « Les élèves du cours en entrepreneuriat auront la tâche d’intégrer des produits locaux pour alimenter le bar à salade », explique Pascal Tremblay. Emmanuelle Gauthier et Laura Théberge, deux élèves de secondaire 5, sont très enthousiastes. « Une fois que le jardin-forêt sera productif, nous aimerions faire connaître des fruits régionaux comme les gadelles et la camerise, ainsi que des fines herbes comme la mélisse et la livèche. »
Des municipalités nourricières en expansion
Depuis 2014, Eurêko a contribué à la mise sur pied de quinze forêts nourricières dans la région, en plus de l’implantation de jardins éducatifs et d’aménagements paysagers comestibles. À St-François-de-Sales, la forêt nourricière pousse depuis maintenant quatre ans. Au total, près de 650 m² de terrain ont été aménagés et plus de 700 végétaux ont été plantés. Des fleurs comestibles et médicinales, des fines herbes, des légumes vivaces et de nombreux fruits sont accessibles à toute la communauté.
Même si la forêt nourricière pousse pratiquement toute seule, un certain entretien est nécessaire pour optimiser les récoltes. « Avec les années, nous avons développé plusieurs outils éducatifs accessibles aux citoyens », indique Gabrielle Filiatrault. « Des affichettes explicatives et des panneaux sont installés pour identifier les végétaux. Un guide fournit un calendrier d’entretien et de cueillette et même des idées de recettes. » À la fin de l’été, la municipalité organise une grande fête des récoltes. « Au-delà des pommes, des framboises et de la rhubarbe, les gens de la municipalité n’osent pas toujours cuisiner ce qu’ils ne connaissent pas », souligne Gabrielle. « Cette année, une équipe d’Eurêko a présenté les diverses utilisations du topinambour. Ç’a été un grand succès ! Nous avions aussi installé sur place un pressoir pour faire du jus avec les pommes du jardin. Les familles ont beaucoup apprécié. »
L’attrait de la forêt nourricière passe avant tout par les familles. Un mobilier convivial y est installé pour que tous s’y sentent à l’aise de faire un pique-nique ou de passer un après-midi. Gabrielle Filiatrault est persuadée que c’est par les jeunes qu’on éduque les adultes. Plusieurs fois, elle a vu des enfants montrer à leurs parents ce qu’ils avaient appris dans le jardin lors d’une activité à la garderie ou au camp de jour. « Les enfants sont rarement gênés de cueillir des fruits ou de goûter des plantes comestibles sur un terrain public ; c’est eux qui encouragent leurs parents à oser en prendre l’habitude ! »
Forêt nourricière à l’université
Dans le cadre de son projet de fin d’études en géographie, Gabrielle Filiatrault est aussi devenue l’instigatrice d’une forêt nourricière communautaire sur une parcelle de terrain de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). L’idée était de créer un système alimentaire alternatif durable et d’offrir gratuitement à tous, des fruits et légumes de qualité. La cafétéria, qui appartient aux étudiants, utilisera ces aliments biologiques de proximité, les transformera et les redistribuera. Par la même occasion, le jardin servira à améliorer le milieu de vie des employés et des étudiants.
Grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux, les familles, les écoles et les garderies du quartier ont rapidement répondu à l’appel pour participer à la plantation, en juin 2018. En s’impliquant, les gens de la communauté se sont approprié le jardin et ont envie d’y retourner. La forêt nourricière de l’UQAC constitue maintenant une sorte de laboratoire expérimental, puisqu’elle fera bientôt partie d’un projet de doctorat qui mesurera les retombées économiques, sociales et environnementales des forêts nourricières communautaires en milieu urbain.
Une forêt nourricière, c’est…
Un aménagement de végétaux comestibles vivaces qui se compose de plusieurs couches : les arbres, les arbustes, les herbacées, les plantes grimpantes et le couvre-sol. Ce concept novateur est basé sur le principe de la permaculture et s’inspire des écosystèmes naturels.
Chacun des végétaux est choisi selon sa fonction biologique et son interaction avec les autres végétaux. Par exemple, le trèfle blanc et les légumineuses fixent l’azote contenu dans l’air et le rendent disponible dans le sol. Ainsi, ils enrichissent naturellement le sol et minimisent l’ajout d’engrais azotés. D’autres végétaux, comme la ciboulette, sont des accumulateurs dynamiques. Leurs racines s’enfoncent dans le sol et ramènent le calcium à la surface, le rendant disponible pour les arbres et les arbustes. Le puissant parfum des fines herbes, comme la menthe et l’origan, éloigne les insectes ravageurs et attire les pollinisateurs (les abeilles). En favorisant de bonnes relations entre les végétaux et une grande diversité, cela crée des écosystèmes nourriciers productifs et durables.
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