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Pour veiller à la santé et au bien-être des aîné·e·s, dans plusieurs municipalités ou MRC du Québec, des organismes communautaires ont commencé à miser sur une nouvelle approche : la gériatrie sociale. Coup d’œil sur un modèle d’intervention qui pourrait faire toute une différence sur votre territoire.
C’est le Dr Stéphane Lemire, gériatre, qui a eu l’idée de cette approche. Lorsqu’on lui demande quelle a été sa source d’inspiration, il parle de sa grand-mère. « Même si elle avait des problèmes de santé, des maladies chroniques et des médicaments, elle a eu une belle vieillesse grâce à un contexte favorable », raconte-t-il.
Or, dans sa pratique, Stéphane Lemire voyait peu de gens dans cette situation et trouvait souvent que ses interventions arrivaient bien tard. « Je me disais que si l’on mettait à profit ce que l’on sait propice à la santé des aînés, on arriverait à améliorer la qualité de vie de ces gens-là », dit-il. Et de faire en sorte qu’ils restent plus longtemps à domicile.
C’est avec de telles idées en tête que, en 2012, Stéphane Lemire a laissé l’hôpital. « Je voulais trouver une façon de faire de la gériatrie autrement, dit-il, l’idée de départ étant de rendre disponible au plus grand nombre l’expertise du gériatre. Je voulais expérimenter sur le terrain, voir s’il était possible de mettre à profit, par exemple, les préposés à domicile, et faire en sorte qu’ils puissent sonner l’alarme lorsqu’il y a un problème. »
C’est au Service amical Basse-Ville, un OBNL situé à Québec, que Stéphane Lemire s’est installé pour observer, construire son projet, puis lancer un premier projet pilote. « Renforcer ce qui se fait déjà dans la communauté, c’est un des trois principes de base de la gériatrie sociale, indique-t-il. Il s’agit d’organiser un réseau qui permet de prévenir les problèmes de santé des aîné·e·s vivant à domicile, de leur apporter l’aide dont ils ont besoin et de faire en sorte qu’ils soient pris en charge lorsque cela s’avère nécessaire. »
Ses efforts n’ont pas été vains. Aujourd’hui, il existe au Québec 16 initiatives de gériatrie sociale dont six projets pilotes. Chaque initiative est portée par un organisme hôte, souvent une entreprise d’économie sociale en aide à domicile (EÉSAD), et est accompagnée par la Fondation AGES, dont Stéphane Lemire est le président fondateur. Le financement provient du gouvernement provincial (pour les six projets pilotes) et de la Fondation Mirella et Lino Saputo (pour les autres initiatives). Notons que la Fondation AGES est un organisme de bienfaisance dont la mission est de soulager les conditions liées à la vieillesse, de faire connaître la gérontologie et la gériatrie sociale ainsi que de soutenir le développement et l’activation de solutions innovantes.
Sonner l’alarme
La première action prévue dans l’approche de gériatrie sociale est le repérage des personnes à risques. Et qui de mieux placé pour ce faire que ceux et celles qui œuvrent auprès des aîné·e·s, que ce soit en faisant de l’entretien ménager ou en aidant à la préparation des repas, par exemple. D’ailleurs, l’intervention de proximité est l’un des principes de base de la gériatrie sociale.
Dans le cadre de différentes initiatives, la Fondation AGES offre aux personnes qui sont près des aîné·e·s une formation leur permettant de reconnaître les situations à risques et de comprendre la différence entre un vieillissement normal et un vieillissement accéléré. Ainsi formées, elles deviennent des « sentinelles » capables de sonner l’alarme. Notons qu’on leur enseigne à utiliser l’outil AINÉS AD-PLUS, un aide-mémoire réalisé sous forme d’acronyme qui liste les éléments à prendre en considération.
La « formation sentinelle » est aussi donnée à d’autres personnes qui côtoient régulièrement une ou plusieurs personnes âgées, comme le bénévole qui apporte le repas du midi ou le livreur de la pharmacie. D’ailleurs, quiconque côtoie régulièrement un aîné peut suivre cette formation. Depuis le début du projet de gériatrie sociale, la Fondation AGES a offert cette formation à quelque 4 500 personnes, dont 1 700 d’entre elles qui l’ont suivie dans le cadre de l’un ou l’autre des projets pilotes.
Offrir des services
Une bonne partie du financement octroyé permet aux organismes participants d’engager des « navigateurs » ou des « navigatrices ». Notre rôle est « d’entendre l’alarme lancée par les sentinelles et, dans certains cas, par les aîné·e·s eux-mêmes ou leurs proches », affirme Marie-Josée Girard, qui est navigatrice au Service amical Basse-Ville.
C’est cette alarme qui conduira les navigateurs à visiter un aîné·e afin de constater de visu ce qui ne va pas et de repérer d’éventuels problèmes. Notons que AINÉS AD-PLUS s’avère être, ici aussi, un outil précieux pour évaluer la situation. La personne âgée se déplace-t-elle de manière sécuritaire ? A-t-elle besoin d’une canne ou d’une marchette ? Auquel cas, on pourra sans doute lui en fournir une grâce à la Fondation AGES. Son alimentation est-elle adéquate et suffisante ? Au besoin, des conseils pourront lui être fournis. Tout problème constaté sur le terrain est susceptible de trouver une solution.
Habiles pour naviguer à travers les différentes ressources – d’où leur nom – les navigateurs peuvent aussi diriger la personne âgée au bon endroit, par exemple vers un programme d’éducation physique ou un ergothérapeute. Les navigateurs peuvent aussi l’aider à prendre un rendez-vous chez le médecin ainsi qu’à se préparer à ce rendez-vous. Notons que cela ne peut se faire qu’avec l’accord de l’aîné·e : le respect des droits et de l’autodétermination des personnes âgées étant le troisième principe qui sous-tend la gériatrie sociale.
Les navigateurs, dont la tâche consiste aussi à former d’autres navigateurs, travaillent en étroite collaboration avec une infirmière ou un infirmier du CISSS ou du CIUSSS. Lorsque cela est pertinent, cette personne du réseau de la santé, présente dans l’organisme quelques jours par semaine, peut évaluer la condition physique et mentale d’une personne âgée et, au besoin, la diriger vers des services ou vers un·e autre professionnel·le. « Ce qui a été fait au préalable par un navigateur facilite son travail », dit Stéphane Lemire.
Coup d’œil vers l’avenir
La Fondation AGES agit aussi sur d’autres axes d’intervention. Ainsi, via le Laboratoire d’Innovation en Santé des Aînés (LISA), qui est financé par des fonds privés, l’organisme met en place des outils et des services – c’est d’ailleurs là que se trouve le service de prêt d’équipement évoqué précédemment. « Lorsqu’il y a, dans les projets de gériatrie sociale, des besoins non comblés, le laboratoire nous permet de remédier à la situation », indique Stéphane Lemire.
Comme si cela n’était pas suffisant, la Fondation AGES donne aussi des midis-conférences sur divers sujets permettant aux aîné·e·s d’acquérir plus d’autonomie et aux proches aidants de mieux les soutenir. Et elle s’apprête à développer son volet autosoins. « Ce volet est important dans le contexte de gériatrie sociale, souligne Stéphane Lemire, car on veut que les gens développent des compétences leur permettant de rester en santé. Comme ça, ils pourront faire le maximum avant de se tourner vers des ressources. »
Stéphane Lemire rêve qu’un jour tous ceux qui prennent soin des aîné·e·s aient suivi la « formation sentinelle ». Au moment d’écrire ces lignes, il se préparait d’ailleurs à l’adapter à la réalité des proches aidants dans le cadre d’une collaboration entre la Fondation AGES et la Fondation de la Fédération des médecins spécialistes du Québec.
Ce grand promoteur de la gériatrie sociale attendait également des nouvelles du gouvernement au sujet d’un plan de déploiement sur cinq ans qu’il a déposé, plan qui pourrait permettre de développer la gériatrie sociale dans les 93 réseaux locaux de services (RLS). « Nous sommes prêts à nous rendre là et nous voudrions pouvoir le faire », dit-il, espérant qu’un jour, la gériatrie sociale sera présente partout au Québec. Nous ne pouvons, collectivement, que l’espérer aussi.
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