Aménagement urbain

Iniquités territoriales : des leçons à tirer du Grand Montréal

Iniquités territoriales : des leçons à tirer du Grand Montréal

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Quels sont les endroits du Grand Montréal où la nature, les espaces publics et les infrastructures collectives sont les moins accessibles et où, très souvent, la pauvreté, l’exclusion et l’isolement sont les plus répandus ? Comment cartographier ces disparités pour, à terme, réduire les iniquités territoriales qui en découlent et surmonter les défis à venir ? Le plus récent rapport Signes vitaux du grand Montréal brosse un portrait de la situation, tout en offrant des pistes de solutions susceptibles d’être aussi fort éclairantes pour les autres municipalités du Québec.

Ce rapport, qui se penche sur le rôle de l’aménagement du territoire en faveur d’une meilleure justice sociale, représente sans doute l’un des premiers portraits consolidés des iniquités territoriales offrant une aussi large couverture. Ce qui le rend d’ailleurs propre à nourrir les réflexions de nombreux acteurs du monde municipal. Et pour le produire, Fondation du grand Montréal s’est adjoint l’expertise et les ressources de Vivre en Ville. Afin de présenter un survol de cet important document, 100º s’est entretenu avec l’une de ses autrices, Florence Desrochers, coordonnatrice - Équité territoriale, chez Vivre en Ville.

D’entrée de jeu, souligne-t-elle, l’équité territoriale s’est toujours trouvée au cœur des activités de Vivre en Ville. Or, ces dernières années, les enjeux que soulève cette notion ont pris une importance plus grande que jamais. Avec la crise climatique qui se profile à l’horizon, et la crise de l’habitation qui frappe de plein fouet, on peut dire que nous sommes parvenus à un moment charnière de notre histoire. Et qu’il faut commencer à planifier dès aujourd’hui pour que demain soit meilleur.

Iniquités territoriales

L’urgence d’agir en matière d’iniquités territoriales

« Il y a urgence d’agir, plaide Florence Desrochers, parce que les décisions qu’on prend maintenant en aménagement auront des impacts pendant des décennies. Donc, si on ne se pose pas les bonnes questions afin d’agir en faveur de l’équité, eh bien, on va manquer le bateau. Il faut réfléchir à ce qui doit être fait sur la base d’une minutieuse analyse des faits. »

Florence Desrochers nuance d’ailleurs en faisant remarquer que les situations d’iniquité ne résultent pas nécessairement de décisions conscientes prises à l’époque. Cela dit, nous avons le devoir de chercher à poser un bon diagnostic, avant d’agir ou non, même s’il n’est pas toujours possible de prévoir l’ensemble des effets de nos actions à long terme.

« En remontant dans l’histoire, souligne Florence Desrochers, on a pu constater que, si Montréal se distingue aujourd’hui des villes nord-américaines, c’est notamment en raison de la mise en place, dans les années 1960, du filet social québécois. En effet, l’État providence a joué un rôle marquant dans l’atténuation de la pauvreté au sein de nos villes québécoises. »

Ainsi, au chapitre de la « santé de proximité », le rapport constate une répartition plutôt équitable des équipements publics sur le territoire. Et c’est principalement attribuable à l’implantation du réseau des CLSC, au début des années 1970, qui visait, entre autres, à desservir les quartiers défavorisés. On peut établir un constat similaire quant aux bibliothèques et aux centres culturels. Le rapport note ainsi que les secteurs défavorisés de Montréal sont plutôt bien desservis en infrastructure culturelle de proximité.

Iniquités territoriales

Une pauvreté concentrée, mais aussi diffuse

Tout n’est donc pas sombre dans ce portrait. On note par exemple que : « Le Grand Montréal se distingue […] d’autres métropoles nord-américaines par sa diversité et sa mixité socioéconomique. Les milieux défavorisés y côtoient les milieux mieux nantis sur la majorité du territoire. Certains qualifient cette distribution de pauvreté en “motif de léopard”. ».

En effet, si 58 % des ménages à faible revenu vivent dans un secteur moins bien nantis, ce qui témoigne d’une certaine concentration de la défavorisation, il n’en demeure pas moins que 42 % des ménages à faible revenu vivent dans d’autres types de secteurs, ce qui traduit aussi une défavorisation de nature plutôt diffuse. Bref, la pauvreté existe dans le Grand Montréal, mais selon un moindre degré de ségrégation que dans les grandes agglomérations américaines, ou même canadiennes.

Caractéristiques du cadre bâti et de l’espace public

Afin de brosser un portait des injustices de distribution observables sur le territoire du Grand Montréal, ce rapport étoffé s’est donc concentré sur des indicateurs concrets répartis selon quatre dimensions.

Habitation
Conditions de logement- Logements locatifs - logements sociaux et communautaires - Itinérance visible et cachée.

Ressources de proximité
Commerces et services- Environnement alimentaire - Services de santé - Organismes communautaires - Arbres et les parcs - Infrastructures culturelles - Écoles.

Mobilité
Sécurité des déplacements actifs - Environnement routier des écoles primaires - Réseau structurant de transport en commun - Équipements cyclables.

Risques environnementaux
Chaleur accablante – Inondations - Pollution de l’air - Bruit environnemental.

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Un rapport inédit sur les iniquités territoriales

Florence Desrochers, rappelle, non sans fierté, que cette édition des Signes vitaux présente l’un des portraits les mieux consolidés et les plus ambitieux portant sur les iniquités territoriales en Amérique du Nord. Et pour cause, car un tel travail représente tout un défi. D’ailleurs, souligne-t-elle, le portrait n’est, à ce jour, pas complet. Certes, la plus grande partie du travail est accomplie, mais ce n’est pas fini.

« Bien sûr, raconte-t-elle, nous avions accès à une multitude de données déjà existantes. Et nous avons puisé dans la littérature scientifique pour mieux les analyser. Nous avons même fait nos propres calculs, quand c’était possible, afin de préciser des relations qui n’avaient pas été explorées auparavant. Par exemple on a évalué l’environnement routier aux abords des écoles primaires pour déterminer le niveau de sécurité des déplacements actifs. Ce qui nous a permis de constater que seulement 6 % des écoles défavorisées se retrouvent dans un environnement exempt d’axes routiers majeurs alors que cette proportion est de 20 % pour les écoles considérées comme non défavorisées. Un portrait inquiétant. »

Toutefois, certaines données sont manquantes, ou alors, si elles existent, elles ne sont pas accessibles. On pourrait par exemple chercher à mettre la main sur une carte du grand Montréal où sont recensés tous les parcs et espaces verts. Or, une telle carte n’existe pas, encore... Pour la créer, il aurait fallu que Vivre en Ville prennent contact avec l’ensemble des 82 municipalités de la grande agglomération métropolitaine. Un travail qui donc reste à faire.

« C’est pourquoi, dans le rapport, souligne Florence Desrochers, on trouve, selon les indicateurs retenus, certaines cartes qui portent seulement sur l’île de Montréal, ou sur d’autres territoires, parce qu’on ne dispose pas encore de l’ensemble des données pour établir un portrait plus global. On a d’ailleurs indiqué, à chaque occasion, là où de meilleures données sont requises pour réaliser une analyse plus fine de la situation. »

Le cumul des iniquité territoriales

Certains secteurs du grand Montréal cumulent plusieurs iniquités territoriales. L’analyse des données disponibles permet de dégager deux types de profils qui présentent des lots de problèmes similaires. Ce qui offre par ailleurs de bonnes indications sur la marche à suivre pour les résoudre.

On distingue d’abord des secteurs moins bien pourvus en équipements, infrastructures et services. Ils ont en commun un faible accès aux ressources de proximité (commerces et services, équipements de santé, infrastructures culturelles, etc.) et présentent une situation défavorable sur le plan de la mobilité (faible accès au transport collectif et aux équipements cyclables, insécurité routière). Ce sont souvent des secteurs excentrés : l’est, le nord-est et l’ouest de l’île de Montréal, Laval, la Couronne Nord, la Rive-Sud.

On trouve ensuite des secteurs plus exposés aux risques et nuisances induits par les activités humaines. Leur profil commun est surtout préoccupant sur le plan des risques environnementaux (forte présence d’îlots de chaleur, pollution de l’air, bruit environnemental, pression routière autour des écoles primaires). Ce sont souvent des secteurs plus densément peuplés, notamment au centre de Montréal.

Enfin, certains secteurs combinent ces deux profils d’iniquités territoriales. C’est notamment le cas de Montréal-Nord, ainsi que du quartier Saint-Michel. Des endroits où il faudrait intervenir en priorité.

Globalement, la réduction des iniquités territoriales requiert les actions suivantes :

  • Faire de l’habitation une priorité d’action
  • Améliorer l’accès aux ressources de proximité
  • Faire de la mobilité un vecteur d’équité
  • Renforcer la résilience face aux risques environnementaux
  • Améliorer, partout, les caractéristiques du cadre bâti et de l’espace public
Iniquités territoriales

Agir en faveur de l’équité territoriale

« Pour exercer des choix éclairés, ça prend toujours de bonnes données, martèle Florence Desrochers. C’est pour ça que notre rapport a aussi été conçu dans l’espoir de profiter, un jour, d’un meilleur accès à ces données, qu’elles proviennent des municipalités ou des organismes sur le terrain. C’est d’ailleurs un de nos messages : rendez vos données publiques. »

« Notre annexe méthodologique, enchaîne-t-elle, peut même servir à d’autres personnes ou organismes qui souhaiteraient poursuivre notre travail, et même le reproduire ailleurs, ou autrement. On voulait que des gens puissent se dire : “OK, moi, je veux reprendre cette démarche de Vivre en Ville, mais à l’échelle de ma petite municipalité ou de mon quartier”. C’est un peu un appel à l’action ! »

Et il y a urgence d’agir, surtout en matière d’habitation. D’ailleurs, le rapport est explicite. « Les dysfonctionnements du système d’habitation constituent un facteur aggravant des iniquités territoriales ». Bien sûr, si d’autres indicateurs, comme la présence d’arbres, les environnements routiers des écoles primaires publiques, les îlots de chaleur et de fraîcheur, la pollution de l’air ou le bruit environnemental témoignent d’une distribution inéquitable généralisée, la crise du logement représente tout de même le problème de l’heure.

« Les personnes en situation de défavorisation sont très dépendantes du marché locatif, insiste Florence Desrochers. Personne ne décide d’habiter aux abords de l’autoroute 40. Ce n’est pas un choix que les gens veulent faire, mais certains n’ont pas le choix de faire autrement. On a calculé la part de logements sociaux et communautaires dans le Grand Montréal : c’est à peine 4 %. Ce qui est nettement insuffisant pour répondre aux besoins des personnes en situation de précarité. »

Outre leur nombre insuffisant, c’est aussi la distribution de ces unités de logement qui est inéquitable, puisqu’elles se concentrent seulement dans certains secteurs. « On a par exemple examiné l’ouest de l’île à Montréal, et il n’existe aucun HLM pour familles et personnes seules de moins de 60 ans. C’est comme dire à ces personnes : “vous n’avez pas le droit d’habiter dans cette portion du territoire parce qu’il n’y a pas de place pour vous”. Présentement, on compte environ 300 ménages qui sont inscrits sur la liste d’attente. Donc, quand ils vont recevoir la lettre qui leur dit : “C’est à votre tour d’avoir accès à un logement social”, eh bien, ces ménages-là vont devoir quitter l’ouest de Montréal. »

Et Florence Desrochers de conclure : « Dans ce rapport, on ne propose pas de recette magique. C’est tellement plus complexe que ça. Mais on a tenté d’ajouter une pierre à l’édifice. C’est certain que bien d’autres facteurs, comme les structures politiques, économiques et sociales, jouent aussi un rôle déterminant. Mais nous sommes convaincus qu’il est possible d’aménager des milieux de vie susceptibles d’atténuer les conséquences des inégalités ou, à tout le moins, d’éviter de les accentuer, surtout dans le contexte de la nécessaire transition socioécologique. Il faut poursuivre, tous ensemble, le travail. »

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