Dans la foulée de la parution, en traduction québécoise, de l’ouvrage La vie dans l’espace public : comment l’étudier, sa coauteure, Birgitte Svarre, donnait, à l’invitation du Centre d’écologie urbaine de Montréal, une conférence sous les auspices de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal.
Birgitte Svarre est directrice et chef d’équipe de la ville chez la firme d’architectes Gehl, un bureau fondé par nul autre que l’architecte et professeur émérite de design urbain de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark, Jan Gehl, et aussi cosignataire du livre. À l’instar de Jane Jacobs, Jan Gehl appartient à cette génération de penseurs qui se sont donné pour mission de replacer les humains au cœur de la cité.
« On sait beaucoup de chose sur l'habitat du tigre de Sibérie ou celui du gorille des montagnes, mais bien peu sur l'habitat de l'homo sapiens » - Enrique Penelosa, maire de Bogota
New York en 1890
La vie dans les villes
D’entrée de jeu, Birgitte Svarre explique que la préoccupation fondamentale qui les anime, elle et ses collègues, est de concevoir la ville en fonction des personnes. Et pour cela, il faut comprendre comment la ville fonctionne, ou ne fonctionne pas, et comment elle pourrait mieux fonctionner. Autrement dit, on doit s’interroger sur les façons dont la vie se déploie dans l’espace public. Et l’un des meilleurs outils pour y parvenir, c’est l’observation.
« On avait oublié la vie qui se passe entre les immeubles, privilégiant l’automobile, une vision macroscopique et des processus surrationalisés et surspécialisés. » - La vie dans l’espace public : comment l’étudier, page 15
Cela peut paraître évident, mais cette préoccupation avait complètement disparu au tournant des années 1960. Depuis trop longtemps, les villes étaient aménagées par des experts surspécialisés, travaillant en silo, et sans autre vision d’ensemble que de faciliter le trafic automobile. C’est à cette époque que des personnes comme Jane Jacobs, Jan Gehl, Christopher Alexander et William H. Whyte vont constater que la vie a été chassée des villes. Que « l’humain a été oublié dans le processus de planification urbaine », comme on peut le lire, page 59.
Rendez-vous sur place
Voilà le principal message que Birgitte Svarre venait livrer. Au-delà des chiffres, des statistiques, qui bien sûr ont leur utilité, il est essentiel de recueillir des données d’observation sur le terrain. Il faut apprendre à délaisser la planche à dessin pour suivre à la trace les comportements humains. Pour, en quelque sorte, incarner les données statistiques et leur donner vie. Ajouter aux strictes mesures quantitatives des valeurs qualitatives. Et pour cela, il suffit bien souvent d’un crayon, d’un calepin et d’un compteur.
Dans son allocution, Birgitte Svarre a donc détaillé les méthodes d’observations principalement utilisées pour l’étude de la vie dans l’espace public : du dénombrement jusqu’à la cartographie comportementale, en passant par le traçage, le pistage ou la recherche de traces, pour ne nommer que celles-là. À ce chapitre, elle a insisté sur l’importance de la rigueur méthodologique dont doit faire preuve l’observateur, et ce, en dépit du caractère changeant des comportements humains. Elle a aussi rappelé la nécessité de toujours documenter l’avant et l’après d’une intervention dans l’espace public.
Gehl a été conduit à utiliser ses méthodes d’observation et de travail dans près de 250 villes à travers le monde. Parmi les exemples que Birgitte Svarre a cités, nous retiendrons le cas de New York. Les observations menées sur le terrain ont entre autres permis de constater que, sur Time Square, 10 % de l’espace était alloué aux piétons et tout le reste aux voitures, alors que bien souvent, les gens à pied étaient beaucoup plus nombreux que les automobilistes. On connaît la suite. Sur la base de ces observations, la commissaire aux Transports, Janette Sadik-Khan, a convaincu le maire de l’époque, Michel Bloomberg, de piétonniser Time Square !
Du professionnel au simple citoyen
Birgitte Svarre s’est dite particulièrement honorée que la version québécoise de Bylivsstudier ait été conjointement préfacée par les mairesses de Paris et de Montréal : Anne Hidalgo et Valérie Plante. Un signe, selon elle, du réel engouement que suscite l’aménagement des espaces urbains auprès des professionnels et des élus, mais aussi de la population en général. À preuve : cette traduction québécoise, qui s’ajoute aux neuf autres déjà réalisées. Or, pour les deux auteurs, ce succès s’est avéré une surprise puisque, à l’origine, ils croyaient que leur guide n’intéresserait que les spécialistes et les étudiants.
En entrevue à 100º, Birgitte Svarre a confié qu’une des raisons qui, selon elle, explique l’intérêt suscité par ce guide auprès d'un plus large public tient probablement au fait que les outils qu’il propose sont si simples que tous peuvent les utiliser; des planificateurs, aux entrepreneurs, jusqu’au simple citoyen. « Une personne armée de son crayon et d’un calepin peut ainsi comprendre la vie de son quartier, précise-t-elle. Et faire des observations inédites qui permettent de rendre visible le facteur humain. Simples et efficaces, ces méthodes peuvent tout aussi facilement s’appliquer dans les pays en voie de développement. Il suffit d'avoir la curiosité de s'intéresser aux utilisateurs des espaces publiques : les humains »
Mais, du même souffle, Birgitte Svarre tient à spécifier que tout ne dépend pas de ces outils en tant que tels. « Il existe d’autres dispositifs que l’on peut utiliser, bien sûr. Ce qui importe ici, c’est d’avoir pour objectif de redonner leur visibilité aux personnes qui habitent la ville. Et d’utiliser tous les moyens pour y parvenir, quitte à les adapter selon les situations. Mais il est primordial d’aller sur le terrain, à la rencontre des gens, de sortir de nos bureaux et de nos salles de réunion. »
La communication
En matière d’urbanisme et de planification, outre la cueillette de données, Birgitte Svarre considère que la communication est un des éléments clés. « Vous savez, Jane Jacobs était journaliste de métier. Son travail consistait à communiquer ce qu’elle documentait. Et mes collègues et moi-même consacrons justement beaucoup d’énergie à communiquer nos résultats. En matière d’étude de la vie dans l’espace public, vous aurez beau colliger toutes les données possibles, elles ne deviendront pertinentes qui si vous êtes en mesure de bien les communiquer, de bien les traduire pour que le plus grand nombre de gens soit en mesure de se les approprier et ainsi participer à la vie citoyenne. Et c’est exactement la raison d’être de ce livre. »
Quand on demande à Birgitte Svarre si nous possédons enfin tous les outils nécessaires pour réparer les erreurs du passé, elle éclate d’un grand rire. « Je crois que nous devons nous garder de croire en notre capacité de trouver des solutions à tous les problèmes. Il faut, entre autres, accepter le fait que nous avons hérité de formes bâties qui datent de différentes époques, avec leurs forces et leurs faiblesses. Mais, peu importe le lieu, quand on prend la peine d’aller observer comment il fonctionne, on en revient toujours avec de belles histoires. Et c’est cela qu’il faut raconter. Ce sont les multiples expressions de cette vie publique qu’il faut faire connaître et dont on doit favoriser l’épanouissement. »
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