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Les pluies diluviennes, de plus en plus fréquentes, coûtent cher aux citoyens, aux municipalités et aux milieux naturels. Basé sur l’innovation et la participation citoyenne, un projet pilote de ruelle bleue-verte prend forme au Bâtiment 7, à Montréal. Objectif : évaluer de façon rigoureuse un concept de gestion durable des eaux pluviales qui réduirait la facture globale tout en verdissant les milieux de vie. Notre journaliste a assisté à une rencontre d’information qui a eu lieu le 30 août dernier au Bâtiment 7.
Un peu de contexte. Une gestion plus efficace et plus durable des eaux pluviales est devenue une nécessité pour les villes et les municipalités aux prises avec des inondations et des refoulements d’égout qui surviennent lors d’épisodes de plus en plus fréquents de pluies particulièrement intenses. Si ces deux inconvénients sautent aux yeux en milieu urbain, une autre conséquence reste « invisible » : lorsque les stations d’épuration ne suffisent plus à la tâche, parce que le système d’égout est en surcharge, elles relâchent dans les milieux naturels des eaux de ruissellement chargées de polluants urbains.
Or, selon les récents bilans du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, entre 50 000 et 60 000 surverses se produisent chaque année, principalement en contexte de pluie (63 %) et de fonte (22 %).
Gestion locale des eaux pluviales
Il y a donc urgence d’agir, et, depuis une dizaine d’années, plusieurs villes du Québec se sont inspirées des pratiques en cours ailleurs au Canada et dans le monde, pour se doter d’infrastructures vertes. Ces dernières sont conçues pour capter les eaux pluviales, les retenir et permettre leur infiltration dans le sol, ce qui évite de surcharger brusquement le système d’égouts et les stations d’épuration. L’idée est de contrer l’imperméabilité des sols urbains en créant des aménagements « éponges ».
Parmi ces infrastructures de gestion durable des eaux pluviales existantes, on compte les saillies de trottoirs drainantes, les bassins de biorétention construits le long de tronçons de rue et dans certains parcs, ainsi que des jardins de pluie dans certains stationnements.
Comme le montre la photo ci-dessus, l’aménagement de rétention temporaire du parc Pierre Dansereau a très bien fonctionné lors des fortes pluies du 16 juin 2022. De plus, cette zone de jeu libre redevient disponible par temps sec. Un autre exemple de réussite est celui du réaménagement d’un tronçon de la rue Papineau à Montréal : en 2020, au moins 10 000 m³ d’eau de pluie ont été déviés du réseau de la ville, et n’ont donc pas été traités par l’usine d’épuration.
En plus de délester le système d’égout, la végétalisation d’espaces auparavant asphaltés ou bétonnés permet de réduire les îlots de chaleur, d’améliorer la biodiversité urbaine et d’embellir le cadre de vie.
Premier projet pilote au Bâtiment 7
Porté depuis 2016 par l’Alliance Ruelles bleues-vertes, le projet est né il y a une dizaine d’années lorsque le Service des eaux de Montréal s’est questionné sur l’impact des toits plats sur le système d’égouts. La première ruelle bleue-verte est maintenant en cours de construction sur le site du Bâtiment 7 à Pointe-Saint-Charles, dans l’arrondissement montréalais du Sud-Ouest. Ce bâtiment industriel autrefois désaffecté a repris vie en 2018. Il est fréquenté par les citoyens du quartier qui profitent de sa microbrasserie coopérative et de différents ateliers de fabrication, de réparation et d’art autogérés par des groupes communautaires. On y trouve également l’épicerie à but non lucratif Le Détour et le projet pilote d’agriculture urbaine La Fermette.
La mutualisation de la gestion des eaux de pluie
« Ce qui différencie la ruelle bleue-verte des autres infrastructures de gestion durable des eaux pluviales, c’est qu’elle repose sur l’idée de détourner les eaux pluviales des toits résidentiels vers la ruelle, où différents aménagements favorisent l’infiltration naturelle de l’eau dans le sol », a expliqué Pascale Rouillé, urbaniste et présidente des Ateliers Ublo, lors de la soirée d’information du 30 août qui a eu lieu au Bâtiment 7.
« Cette mutualisation de la gestion de l’eau est une approche gagnant-gagnant, explique au téléphone Corinne Laforce, l’architecte paysagiste chargée du projet de la ruelle du Bâtiment 7 à l’arrondissement du Sud-Ouest. L’organisme propriétaire du Bâtiment 7 aurait eu à réaliser de coûteux travaux pour assurer sa mise à niveau en matière de gestion des eaux pluviales. Parallèlement, la ville aurait elle-même entrepris des travaux majeurs sur le système d’égout municipal. Le concept de la ruelle bleue-verte permet de respecter les normes à moindre coût pour les deux parties. »
L’arrondissement du Sud-Ouest a investi 1 200 000 $ pour réaliser les travaux sur la partie publique, mais aussi sur la partie privée. « Nous nous assurons ainsi que les infrastructures sont parfaitement fonctionnelles et qu’elles sont bien connectées au réseau municipal, précise Corinne Laforce. De plus, nous les avons conçues pour que les deux parcs et de l’espace public à venir y soient connectés. Cette mutualisation de la gestion de l’eau entraîne une diminution des coûts pour la ville puisqu’il y a moins d’eau à traiter. »
« L’Alliance Ruelles bleues-vertes a joué un rôle important pour que la nouvelle mouture du règlement municipal 20-030 permette cette mutualisation de la gestion des eaux pluviales », a mentionné Pascale Rouillé lors de la présentation.
La participation citoyenne
Lorsque les travaux seront terminés, l’entretien de la ruelle bleue-verte sera partagé entre l’arrondissement, les membres du Bâtiment 7 et les citoyens pour que les infrastructures soient durables et que leur fonctionnement soit optimal. « L’arrondissement va entretenir les infrastructures grises, comme les regards, les puisards, les drains, les conduites et le trottoir de béton, tandis que l’entretien des plantations sera assuré par la communauté, a précisé Pascale Rouillé. Cette participation citoyenne et communautaire, qui va bien au-delà d’une simple consultation, fait d’ailleurs partie intégrante du projet depuis sa conception. »
Au printemps 2023, les citoyens seront invités à participer à la plantation de quelque 3000 végétaux. Ils veilleront ensuite à leur entretien selon un plan spécifique au projet.
Un partenariat multidisciplinaire pour un suivi serré
Dès sa conception, le projet de la ruelle bleue-verte a bénéficié du soutien de plusieurs acteurs multidisciplinaires et équipes de recherche, qui assureront également le suivi postconstruction en analysant différents aspects, notamment :
- L’adaptation des plantes dans les biorétentions et leur évolution dans le temps.
- L’efficacité des infrastructures : mesure de la quantité d’eau détournée du réseau municipal et l’effet des biorétentions sur la qualité de l’eau.
- L’interaction entre les différents partenaires à travers les réussites et les défis liés au fonctionnement et à la gouvernance.
« Pour atteindre un seuil de rentabilité écosystémique, il faut convaincre les décideurs de multiplier les projets de ruelles bleues-vertes, a souligné Pascale Rouillé. Les suivis postprojets de ce laboratoire à ciel ouvert permettront de confirmer que la gestion des eaux pluviales coûte vraiment moins cher lorsqu'on ajoute des infrastructures végétalisées aux infrastructures grises. »
« De plus, la ruelle bleue-verte présente un avantage énorme : elle est conçue pour être intégrée au cadre bâti existant, a-t-elle ajouté. Or, c’est en réaménageant ce cadre bâti qu’on trouve des solutions à la gestion actuelle des eaux pluviales et non pas en attendant de nouveaux projets de construction. »
La ruelle bleue-verte de Pointe-Saint-Charles est le résultat d’une co-réalisation entre le collectif 7 À NOUS (gestionnaire du Bâtiment 7) et l’Arrondissement du Sud-Ouest, en partenariat avec l’Alliance Ruelles bleues-vertes, constituée des Ateliers Ublo, du Centre d’écologie urbaine de Montréal, du collectif 7 À NOUS, de la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal et de Vinci Consultants.
Le projet est actuellement soutenu par la Fédération canadienne des municipalités à travers son programme Municipalités pour l’innovation climatique (MIC) financé par le Gouvernement du Canada, et par le Gouvernement du Québec à travers son Fonds d’initiative et de rayonnement de la métropole (FIRM), ainsi que son programme de soutien aux municipalités dans la mise en place d’infrastructures de gestion durable des eaux de pluie à la source (PGDEP).