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Initiatrices et auteures du document « Pour réussir à l'école, mieux vaut ne pas manquer la récréation », Marylène Goudreault, du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, et Marie-Hélène Guimont, de la Commission scolaire de Montréal, sont deux jeunes femmes énergiques et de conviction. En pleine rentrée scolaire, entre deux récréations dans la grande cour ensoleillée de l'école primaire Sainte-Jeanne-d'Arc, elles ont accordé une entrevue à 100°.
Viens jouer dans ma cour...
D’entrée de jeu, Marylène Goudreault et Marie-Hélène Guimont font part des liens professionnels et amicaux qu’elles ont tissés au fil de leur collaboration. Respectivement conseillère en promotion de la santé, à la Direction régionale de santé publique et conseillère pédagogique en éducation physique et à la santé, leur rencontre remonte à une dizaine d’années. Elles ont développé ensemble le programme « Ma cour un monde de plaisir » qui visait à outiller le personnel des écoles primaires désirant bonifier l’aménagement, l’organisation et l’animation de la cour d’école afin d’y favoriser une activité physique harmonieuse.
Marie-Hélène Guimont : « Au départ, c'était un programme qui touchait l'organisation et l'animation de la cour d'école. On croyait très naïvement que ça prendrait un mois de travail et finalement quand on s'est mis à travailler sur la cour d'école, on s'est aperçu qu'il y avait un an de travail à faire. »
Marylène Goudreault : « On a fait une revue de toute la littérature au Québec et ailleurs pour créer un programme, mais on a rapidement eu l'idée de développer un projet-pilote pour le tester. Les écoles qui ont mis en place le projet ont observé que les élèves étaient beaucoup plus attentifs au retour de la récréation et que c'était plus facile de transmettre la matière. On a alors pris conscience de l'énorme influence que des récréations bien organisées et planifiées peuvent avoir sur la socialisation et la capacité de concentration des élèves. C'est ce constat qui nous a motivées à poursuivre avec le document "Pour réussir à l'école, mieux vaut ne pas manquer la récréation".»
Marie-Hélène Guimont : « On recevait aussi toutes les deux beaucoup de demandes de directions d'école qui souhaitaient avoir de l'information sur l'importance ou la durée idéale, par exemple, des récréations. Il n'y a aucune étude sur les récréations qui tienne vraiment compte de notre réalité québécoise. Alors, on s'est dit qu'on devait mettre par écrit tout ce qu'on a acquis depuis dix ans pour en faire bénéficier le milieu scolaire. »
La récréation: un complément essentiel à la classe
Depuis dix ans, Marylène Goudreault et Marie-Hélène Guimont n'ont cessé de constater le rôle vital de la cour d'école pour le développement physique, social, émotionnel et cognitif des jeunes. Elles se désolent qu'encore aujourd'hui, des directions d'école leur aient confié vouloir retirer des périodes de récréation de la grille-horaire. Bien qu'elles constatent des progrès, elles souhaitent avant tout que leur document donne aux gens des milieux scolaires tous les outils nécessaires pour saisir pleinement l'importance de la récréation.
Marylène Goudreault : « La récréation doit être perçue comme un complètement essentiel à la classe. Une récréation ne devrait jamais se mériter. Chaque jeune a droit à des moments de pause pour se recréer, pour refaire ses énergies physiques et mentales. »
Marie-Hélène Guimont : « On est encore dans la peur que si on enlève, par exemple, trente minutes de français au détriment de l'activité physique, on va être perdants. Or les études prouvent tout le contraire. Une école du Texas a ainsi décidé de multiplier par trois le temps de récréation, passant de 20 minutes à 60 minutes par jour. Les professeurs qui s'inquiétaient de prendre du retard sur le programme se sont vite rendu compte qu'ils prenaient plutôt de l'avance, parce que les enfants étaient beaucoup plus disponibles et plus concentrés en classe. Les enseignants doivent comprendre que si on fait bouger les élèves, la classe ne va pas se désorganiser. Au contraire, ça va permettre de structurer et de canaliser l'énergie des enfants. »
Marylène Goudreault : « La récréation n'a pas seulement un impact sur la santé physique des jeunes. Son effet est extrêmement grand lorsqu'ils reviennent s'asseoir dans la classe. C'est tout à l'avantage de l'enseignant d'avoir des pauses, des récréations à intervalles réguliers pour les faire bouger, sauter, courir, socialiser, parce que lorsque les élèves reviennent en classe, ils sont beaucoup plus attentifs et prêts à apprendre. »
Des pauses à intervalles réguliers
Marie-Hélène Guimont, qui a été enseignante au primaire pendant plusieurs années, compare la journée de classe à un voyage en voiture. On ne pourrait pas imaginer aller en Floride ou dans l'Ouest canadien avec des enfants sans prévoir des moments de pause pour se délier les jambes, pour bouger, pour manger, pour aller à la toilette. Une journée de classe, précise-t-elle, c'est un voyage en voiture de cinq heures, et même beaucoup plus long pour certains élèves.
Marie-Hélène Guimont : « À la CSDM, on a la chance d'avoir le Conseil des commissaires qui a voté une résolution obligeant les écoles à avoir deux récréations de 15 minutes par jour, mais je sais très bien que ce n'est pas le cas dans toutes les commissions scolaires. Certaines écoles ont une seule récréation de 15 minutes par jour. Selon la Loi sur l'instruction publique, les élèves du primaire doivent bénéficier d'une pause le matin et l'après-midi, mais rien n'en prescrit la durée ni le lieu. C'est pour ça qu'on a jugé nécessaire de publier des recommandations. »
Bouger : encore plus important de nos jours
Kinésiologue de formation et ancienne enseignante en éducation physique, Marylène Goudreault surenchérit sur l'importance d'amener les jeunes jouer dehors pour qu'ils se dépensent physiquement et libèrent leur trop-plein d'énergie. À l'ère des technologies, alors que de nombreux enfants viennent à l'école en voiture et rentrent à la maison à l'heure du souper pour ne plus en ressortir, leurs seules occasions de bouger se passent à l'école, durant la récréation et les périodes au service de garde.
Marylène Goudreault : « Au Québec, la grande majorité de l'année scolaire se passe en automne et en hiver. Si on veut que nos jeunes aient le goût de bouger l'hiver, c'est en grande partie à l'école que ça doit se passer. L'école a une grande responsabilité pour faire découvrir aux jeunes les plaisirs de prendre l'air et de bouger en toutes saisons, au-delà du cours d'éducation physique. »
Des recommandations concertées
Les deux auteures conviennent que les mentalités évoluent et que les récréations sont déjà mieux reconnues qu'autrefois. Mais elles insistent sur la nécessité de mobiliser des ressources pour assurer un encadrement adéquat de ces périodes de jeu et de repos essentielles aux élèves. Aussi elles espèrent que leur document rejoigne tous les acteurs du milieu scolaire et qu'ils se sentent concernés.
Marylène Goudreault : « Il y a eu beaucoup de progrès dans les écoles de la CSDM, mais actuellement plusieurs commissions scolaires ont beaucoup de difficultés à avoir les ressources nécessaires pour sensibiliser et bien accompagner les écoles. »
Marie-Hélène Guimont : « On n'a pas la vérité absolue. Pour rédiger les 40 recommandations, on a fait appel à un comité composé de gens de tous les horizons, des directions d'école, des enseignants, des chercheurs... Notre premier souhait, c'est que notre document soit utile. Si on peut convaincre les écoles et les commissions scolaires de l'importance de la récréation, dans l'ensemble du Québec, je pense que notre pari va être gagné parce que les changements vont suivre. »
Marylène Goudreault : « On sentait le besoin de partager toutes les connaissances qu'on a eu la chance d'acquérir au cours des dix dernières années et on espère profondément que toutes les régions vont pouvoir en bénéficier. »
Les moments privilégiés de la récréation
En fin d'entrevue, alors que Marie-Hélène Guimont évoque la part émotive des récréations dans la vie scolaire, les jeunes femmes échangent quelques souvenirs. On s'en doute, pour elles, les moments passés dans la cour d'école sont aussi positifs que mémorables.
Marie-Hélène Guimont : « Moi, je jouais au ballon chasseur. J'étais pratiquement une des seules filles à jouer au ballon chasseur, mais c'était le bonheur total. J'avais juste hâte d'aller dans ma cour d'école. J'étais une élève très modèle en classe. Dans la cour d'école, c'était vraiment le moment où je pouvais me défouler, lâcher mon fou et être moi-même. »
Marylène Goudreault : « J'étais très active quand j'étais jeune. Mais je me rappelle, quand on ne voulait pas jouer au ballon chasseur, on se promenait avec notre professeur dans la cour. C'était un petit moment privilégié très agréable. J'ai toujours aimé la récréation. »