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Vous êtes curieux de connaître l’impact environnemental des aliments que vous consommez ? Le site Our World in Data a réalisé le tour de force d’illustrer les données d’une très vaste analyse de l’empreinte écologique de la production alimentaire.
Menée par des chercheurs britanniques et publiée en 2018, cette méta-analyse inclut pas moins de 570 études couvrant 38 700 fermes dans 119 pays, et calcule l’empreinte de 40 aliments qui représentent environ 90 % de la consommation globale de protéines et de calories. Un travail colossal
L’empreinte carbone de la production alimentaire
Le graphique interactif créé par Our World in Data permet, par exemple, de visualiser en un coup d’œil l’empreinte carbone de la production d’un kilo d’un aliment, de 100 g de protéines ou de 1000 kilocalories. Quelle que soit la mesure, la production de viande de bœuf arrive largement en tête en matière d’émissions de GES (99,48 kg/kg), tandis que celle du tofu, par exemple, est 31 fois moindre et celle des noix, 231 fois moindre ! Par contre, le chocolat noir arrive à la deuxième place (46,65 kg/kg), juste avant la viande de mouton et d’agneau.
Les autres impacts environnementaux de la production alimentaire
Les résultats sont différents lorsqu’on prend en compte les autres impacts environnementaux de la production des aliments :
- En matière d’utilisation du sol, la viande d’agneau et de mouton est la plus gourmande, suivie de près par la viande de bœuf.
- Quand on mesure la consommation d’eau douce, ce sont le fromage, les noix et les crevettes d’élevage qui arrivent en tête de liste.
- Du côté de l’eutrophisation*, ce sont les troupeaux de bovins, ainsi que les crevettes et poissons d’élevage, qui rejettent le plus d’équivalents phosphates dans les eaux.
Cette vidéo (en anglais) donne des explications sur le classement des différents aliments.
Les végétaux : bons pour la planète et pour la santé humaine
Fin 2019, les auteurs d’une autre méta-analyse ont calculé le ratio santé/environnement de 15 groupes d’aliments : celui des grains entiers, des fruits, des légumes, des légumineuses et des noix est très supérieur à celui des produits d’origine animale.
Dans la même veine, les auteurs de différents rapports dont celui de la Commission EAT-Lancet affirment que notre avenir en matière de santé humaine et planétaire dépend d’une transition vers un régime flexitarien : les produits animaux ne sont pas exclus, mais ils devraient être consommés en très petites quantités, au profit d’aliments végétaux frais, de grains entiers et de légumineuses.
À l’occasion d’une conférence prononcée à Montréal en mars 2019, Brent Loken, un des coauteurs de ce rapport a déclaré qu’un « virage flexitarien permettrait de sauver près de 70 000 vies chaque année au Canada, principalement par la réduction du risque de maladies chroniques non transmissibles causées par l’obésité. » À l’échelle mondiale, ce changement sauverait annuellement 11 millions de vies !
La sécurité alimentaire mondiale dépend d’une alimentation saine
Les pratiques agricoles actuelles sont à l’origine de 80 % de la déforestation globale, ce qui entraîne une perte majeure de biodiversité. En France, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) ont élaboré cinq scénarios d’évolution de l’usage des terres et de la sécurité alimentaire en 2050, en portant une attention particulière aux aspects nutritionnels et à la santé humaine.
Selon la plus récente mise à jour de cette étude intitulée Agrimonde — Terra, le seul scénario susceptible d’assurer la sécurité alimentaire mondiale de façon durable en 2050 est celui des « Régimes Sains », parce qu’il permettrait de préserver les surfaces forestières en limitant l’expansion des surfaces agricoles.
Les auteurs de Food system impacts on biodiversity loss, publié en février 2021, proposent trois leviers qui vont exactement dans le même sens :
- Donner la priorité aux aliments végétaux dans nos assiettes et réduire le gaspillage alimentaire.
- Créer des réserves naturelles protégées et éviter de convertir des espaces naturels en terres agricoles.
- Améliorer les pratiques agricoles en limitant l’usage d’engrais et de pesticides de synthèse et en remplaçant la monoculture par la polyculture.
Le pouvoir des multinationales agroalimentaires mis en échec par la société civile?
En mars 2021, l’International Panel of Experts on Sustainable Food Systems (IPES-Food) a produit un rapport intitulé Un mouvement visionnaire pour une alimentation durable : Transformer les systèmes alimentaires d’ici 2045. Les auteurs ont envisagé deux scénarios sur l’avenir des systèmes alimentaires : quelle serait la situation d’ici 2045 si l’on maintenait le statu quo agro-industriel, ou, au contraire, si la gouvernance était reprise par la société civile et les mouvements sociaux ?
La projection du scénario d’un système alimentaire aux mains des multinationales donne froid dans le dos. Les stratégies de ce secteur pour parvenir à une « résilience climatique » incluraient notamment la production de protéines en laboratoire, une influence insidieuse du comportement des consommateurs et l’élaboration de nouveaux aliments ultratransformés. Bref, des « solutions miracles » extrêmement rentables, mais déconnectées d’une vision à long terme la santé humaine et planétaire.
Les auteurs soulignent toutefois que des points de bascule environnementaux et sociaux pourraient venir contrecarrer le désir de l’agro-industrie de prendre le contrôle de la gouvernance des systèmes alimentaires. Selon eux, la société civile sera soucieuse de développer des collaborations efficaces, susceptibles de constituer un puissant facteur de changement. Ils proposent, entre autres :
- Un ancrage des systèmes alimentaires dans la diversité, l’agroécologie et les droits de l’homme, par exemple en accélérant le passage à des chaînes d’approvisionnement territoriales et à un consumérisme éthique.
- Une transformation des structures de gouvernance, par exemple en luttant contre l’impunité des entreprises et le « solutionnisme » technologique.
- Une réorientation des flux financiers, par exemple en réaffectant à la production alimentaire durable les 720 milliards de dollars annuels de subventions alloués aux producteurs de l’industrie agroalimentaire.
Une version résumée de ce rapport est disponible ici.
Une question de volonté politique
Le scénario des « Régimes Sains » mis de l’avant par l’étude Agrimonde – Terra mentionné plus haut repose sur la prise en compte d’un enjeu majeur, soit le coût réel de la malnutrition (sous-alimentation, alimentation malsaine et suralimentation). Les auteurs soulignent que si tous les acteurs du système alimentaire agissaient en fonction de ce constat, une coopération mondiale et des politiques publiques permettraient de basculer de façon radicale vers des régimes alimentaires sains.
Ils précisent que plusieurs conditions sont nécessaires à la réalisation de ce scénario.
Par exemple :
- À l’échelle mondiale, des mesures ont été prises pour limiter le commerce de produits ultra-transformés à forte densité énergétique et à faible valeur nutritionnelle.
- Les mesures mises en œuvre au niveau national ciblent les acteurs et les produits clés : subvention du prix des fruits et légumes, réduction du gaspillage alimentaire, soutien aux programmes d’alimentation scolaire, taxation des aliments malsains.
Comme le dit si bien le rapport de l’IPES-Food mentionné plus haut « ceux qui œuvrent à la mise en place de systèmes alimentaires justes, équitables et respectueux des limites planétaires ont du pain sur la planche. »
*L’eutrophisation est un apport excessif d’éléments nutritifs dans les eaux, entraînant une prolifération végétale (par exemple des algues), un appauvrissement en oxygène et un déséquilibre de l’écosystème.