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L’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) vient de publier un document majeur, le Livre de la réduction de la maladie au Québec. Fruit de la collaboration d’une trentaine de personnes contributrices et spécialisées dans le domaine, ce livre détaille toutes les facettes d’une vision sociétale élaborée dans le but de garantir notre qualité de vie ainsi que la survie de notre réseau de santé et de services sociaux. 100º s’est entretenu avec Thomas Bastien, directeur général de l’ASPQ, pour qu’il nous présente cet important jalon en matière de santé publique.
D’abord, à qui s’adresse votre livre ?
Aux décideuses et décideurs de tous les paliers politiques dans le but de les inviter à gouverner la santé globale des Québécoises et Québécois, et non la maladie ! Et aussi à toutes les personnes qui s’intéressent à ces enjeux de société. Nous souhaitons leur offrir une vision d’avenir viable du système de santé québécois. Mais, je l’avoue, notre vœu le plus cher serait qu’il soit épluché par Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux. Et que le premier ministre, François Legault, en fasse sa lecture de chevet.
Parce que le problème de la santé au Québec, c’est la maladie ?
Pour accompagner les patients de notre système de santé de la meilleure manière possible, en vertu du Plan santé 1.0 du ministre Christian Dubé, il faut qu’il y ait moins de patients qui engorgent nos établissements. Donc, la première chose à faire pour améliorer la qualité de vie des patients, c’est de diminuer l’afflux de malades. Et pour diminuer cet afflux, il faut agir en amont; en matière de prévention et de promotion de la santé.
Que faut-il faire pour favoriser la prévention et la promotion de la santé ?
Investir considérablement dans ces domaines. À l’heure actuelle, la prévention ne représente, au Québec, que 2 % du budget de la santé, alors que la moyenne canadienne est de 5 %. Considérant que notre budget de la santé se chiffre à 53 milliards de dollars, il nous faudrait donc 1 milliard de plus, ce qui permettrait à la prévention de produire des effets réels, tangibles. Mais, pour le moment, c’est comme si le gouvernement nous disait : vous pouvez souffrir d’une maladie évitable, ne soyez pas inquiets… nous allons être capables de vous traiter. D’une certaine manière, c’est le message qui est envoyé ! Alors que de notre côté, on voudrait que cette souffrance - car toute maladie cause de la souffrance - soit évitée, ou qu’elle soit minimale.
J’ajoute que ce changement de paradigme est nécessaire, maintenant, car se profilent déjà à l’horizon les impacts du changement climatique, l’émergence accrue de problématiques de santé mentale, le creusement des inégalités sociales, le vieillissement de la population, l’apparition de nouvelles maladies chroniques… Si on ne prévient pas ces situations dès aujourd’hui, alors, dans 5, 10 ou 15 ans, le système de santé sera frappé par des vagues d’hospitalisation qu’il sera incapable d’endiguer.
Concrètement, cela se traduit par quel type d’interventions ?
Il existe déjà des plans d’intervention et des spécialistes en place, mais qui ont besoin d’un meilleur soutien financier pour aller au bout de leurs initiatives. On peut penser à la Politique gouvernementale de prévention en santé (PGPS), aux directions régionales de santé publique qui n’ont pas les moyens de leurs ambitions.
D’autre part, il existe de nombreux organismes sur le terrain pour aider les populations plus vulnérables, mais qui peinent à œuvrer faute de financement conséquent.
Il faut aussi mettre en place des stratégies de transition, se doter d’indicateurs et de toutes les technologies de pointe, non pas pour traiter la maladie, mais pour la réduire.
Enfin, cette vision doit être portée par des lois, des règlements et aussi des analyses économiques qui vont permettre d’évaluer les gains majeurs en matière de qualité de vie, ainsi que leurs retombées sur la société.
C’est un vaste programme !
Oui, mais, les changements sociétaux, ils s’effectuent une étape à la fois. Et la première étape, c’est de provoquer un changement de vision au sein même du ministère de la Santé. Or, nous sommes justement parvenus à un moment décisif qui rend possible un tel changement. Et c’est grâce à la création de Santé Québec, dont le rôle sera de gérer la maladie. Alors, une fois libéré de ce fardeau, que va donc faire le ministère de la Santé ? Nous, on pense qu’il doit se consacrer à la réduction de la maladie. Et ainsi renouer avec sa mission première : être justement un ministère de la Santé.
Il faut aussi savoir que la moitié du budget de la province est accaparé par le traitement des maladies. Si le ministère de la Santé réoriente sa mission en faveur de leur réduction, cela va engendrer d’énormes économies qui pourront être redistribuées dans d’autres secteurs de la société : éducation, habitation, monde municipal, immigration, etc. En retour, de tels investissements vont eux-mêmes favoriser la réduction de la maladie. C’est un cercle vertueux ! Et, le fer de lance de cette transition nécessaire, c’est le ministère de la Santé.
Tout ça, grâce à la création de Santé Québec ?
Imaginez si Hydro-Québec n’existait pas. Ça voudrait dire que le ministère de l’Énergie serait responsable de l’ensemble des employés que gère actuellement Hydro-Québec. Ce ministère devrait alors consacrer la plus grande partie de ses ressources pour opérer cet énorme réseau. C’est pour ça qu’Hydro-Québec a été créé : afin qu’il gère la production et la distribution de l’énergie électrique. Tandis que le ministère, lui, s’occupe de la « vision » de l’énergie.
Cette analogie permet de mieux comprendre la position dans laquelle se trouve, à l’heure actuelle, le ministre de la Santé. Tous les jours, on l’interpelle parce que les urgences débordent, parce que les chirurgies en attente s’accumulent, etc. Son travail se résume donc à gérer, au jour le jour, ce complexe système de soins de santé, ce qui accapare toutes ses énergies. Avec la création de Santé Québec, il sera affranchi de ce fastidieux travail de gestion pour se consacrer à son travail de « vision ». Il n’aura qu’à fixer des objectifs à Santé Québec dont le mandat sera de les atteindre.
Et il pourra travailler sur une vision de la réduction de la maladie…
Exact. L’arrivée de Santé Québec change complètement la donne ! Ça veut dire, pour le ministre, que 90 % de son temps va se libérer. Et nous, on pense qu’il devrait le consacrer, de manière prioritaire, à la réduction de la maladie. Ce qui serait d’ailleurs l’aboutissement logique du Plan santé qu’il a présenté en 2023 afin que le Québec se dote d’un système de santé résilient et efficace…
On ouvre donc un tout nouveau chapitre en matière de santé publique…
C’est fondamentalement la raison d’être de ce livre. Car, d’ici le mois de juin, de nombreuses décisions vont être prises. Des décisions qui seront déterminantes pour l’avenir de la santé au Québec. C’est pour ça qu’on redouble d’efforts à l’ASPQ : parce que nous sommes habités par ce sentiment d’urgence. Nous sommes parvenus à un moment charnière en matière de prévention et de promotion de la santé par la réduction de la maladie. Jamais, au cours des 30 dernières années, une situation plus favorable ne s’est présentée. Il faut donc saisir cette occasion afin de contribuer à l’avenir de la santé globale des Québécoises et des Québécois ! Et sauver du naufrage annoncé notre réseau de santé et de services sociaux.
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