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Ce qui intéresse les enfants, quand ils jouent, diffère assez souvent de nos perceptions d’adultes. Or, une approche importée d’Angleterre fait la démonstration que les enfants s’amusent volontiers lorsqu’on les laisse jouer avec toutes sortes d’objets hétéroclites dans une cour d’école.
Nos aires de jeu modernes, la plupart du temps équipées de modules préfabriqués, offrent peu d’occasions d’aventure et de création pourtant propices au développement global des enfants[1]. Ces derniers ne demanderaient pas mieux, car ce qui compte à leurs yeux, c’est de vivre une « expérience dont la signification est définie à l’intérieur de leurs propres activités[2] ». Alors, pourquoi ne pas mettre à la disposition des enfants, dans la cour d’école, du matériel de jeu qui sort des conventions, comme des boîtes de carton, des caisses de lait, des tuyaux de plastique, des pneus, des cordes, des planches, des branches, des roches… ? Bref des matériaux naturels ou récupérés qui sont tous facilement manipulables et transportables.
C’est justement ce que propose le programme d’origine britannique Outdoor Play and Learning (OPAL) que le Jour de la Terre Canada (Earth Day Canada) vient de déployer en Ontario, avec le soutien de la Fondation Lawson. Déjà, plusieurs écoles prennent part à un projet pilote qui vise à mobiliser l’ensemble de l’équipe-école autour de l’importance du jeu libre et actif à l’extérieur. Voici une petite visite guidée de ces étonnantes cours de récré.
Temps, espace et permission
Lorsqu’on additionne les minutes avant le début des cours, à celles des récréations, de l’heure du lunch et de la période après l’école, cela représente environ 25 %[3]du temps de la journée scolaire d’un enfant. Les enfants passent donc plus d’une journée chaque semaine dans leur cour d’école ! Voilà une belle occasion de laisser place au jeu libre et actif ! C’est pourquoi le programme OPAL invite les équipes-écoles à se doter d’une vision et d’un plan qui vise à enrichir la qualité de ces périodes de jeu si bénéfiques au développement global de l’enfant et à sa réussite éducative.
OPAL offre donc du soutien et de l’accompagnement auprès des différents intervenants en milieu scolaire, afin qu’ils puissent mettre en place trois conditions essentielles : donner du temps, offrir un espace favorable au jeu actif et accorder la permission de jouer librement. C’est dans cette optique que les intervenants sont aussi encouragés à faire confiance aux compétences des enfants qui explorent et expérimentent, de manière à prendre conscience que l’anticipation du risque et la multiplication de règles de sécurité sont autant de freins au jeu actif.
Et le matériel recyclé dans tout ça ? C’est le moyen mis de l’avant par OPAL en raison de son accessibilité, de son côté écologique, mais aussi pour son efficacité à inciter garçons et filles à se lancer dans l’aventure du jeu libre et actif !
Des résultats prometteurs
Une évaluation longitudinale a été réalisée par un groupe de chercheurs du laboratoire TransForm-Transportation and Land Use Planning Research de l’Université Ryerson auprès des six écoles de la région de Toronto participant au projet-pilote.
L’étude a d’abord permis de mieux connaître la pratique du jeu libre et actif à l’extérieur avant le début du programme. Il en est ressorti, entre autres, que même si une forte majorité d’enfants vivait des expériences de jeu extérieur positives à l’école, ce n’était pas le cas de presque 18 % des élèves. Aussi, 7 % des enfants ne jouaient pas dehors lors des récréations. Ce pourcentage s’élevait à 12 % durant la période du dîner. Les enfants ont également pu se prononcer sur les conditions de jeu offertes dans leur milieu scolaire : qualité de la supervision, des équipements et de l’environnement. Ces derniers les avaient alors qualifiées comme étant « moyennes ».
Quelques mois après l’implantation du programme OPAL dans les écoles, les chercheurs ont réalisé des entrevues auprès d’intervenants afin qu’ils puissent témoigner de ses impacts. Ces derniers ont rapporté que les jeunes sont plus engagés dans leur jeu et manifestent davantage de plaisir à jouer dehors depuis qu’ils ont accès à une variété d’objets transportables et qu’ils peuvent utiliser librement. Les intervenants ont aussi observé une diminution des conflits dans la cour d’école, une meilleure communication entre les élèves ainsi qu’une amélioration de leurs habiletés motrices.
De plus, l’offre variée de matériel récupéré semble avoir eu un effet rassembleur et inclusif, car les intervenants ont souligné le fait que les enfants de différents âges jouaient davantage ensemble qu’à l’occasion de jeux plus conventionnels. Enfin, en observant les élèves empiler des objets, les faire rouler, s’inventer des leviers ou des poulies avec le matériel mis à leur disposition, les intervenants ont constaté avec satisfaction que les enfants, placés en situation de résolution de problème, expérimentent spontanément des notions, de mathématiques et de physique dans l’univers qu’ils cherchent à créer.
Quant aux résultats obtenus auprès des élèves, un seul établissement, parmi les six, avait complété l’implantation du programme auprès de chaque cycle, condition nécessaire pour réaliser cette portion d’évaluation. En dépit de ce petit échantillon, les résultats n’en demeurent pas moins intéressants. En effet, on a pu constater que les élèves sont plus nombreux à jouer dehors sur l’heure du lunch et qu’ils y jouent plus longtemps. D’autre part, le niveau de bien-être rapporté par les enfants s’avère beaucoup plus élevé qu’auparavant.
À la lumière de ces résultats, le programme OPAL semble vraiment complémentaire à l’offre actuelle dans les cours d’école et contribue à enrichir les expériences de jeu extérieur des élèves et des intervenants. Et, en guise de clin d’œil à l’actuelle thématique 100°, cette approche du jeu m’amène à penser que, en bonifiant le type de matériel mis à la disposition des enfants, nous leur offrons, à eux aussi, la possibilité de « Bâtir différemment ».
Et vous, qu’en pensez-vous ?
[1]Garder les enfants à l’intérieur : un plus grand risque!, Projet Espace
[2]Les préoccupations parentales concernant le jeu actif des enfants de 3 à 12 ans à l'extérieur
[3]Grounds for Action, TOPO juillet 2011
Ici au Québec
Bien que l’utilisation de matériel recyclé pour favoriser le jeu libre et actif à l’extérieur demeure encore méconnue au Québec, on en trouve déjà quelques exemples. C’est le cas de l’organisme communautaire montréalais Le lion et la souris qui offre divers programmes pour les écoles ou les familles, par exemple les Terrains d’aventure éphémères (Pop-Up Adventure Playgrounds). Dans le cadre d’événements rassembleurs en plein air, des objets disparates sont mis à la disposition des enfants afin qu’ils puissent créer leurs propres jeux, explorer, expérimenter et prendre des risques selon leurs aptitudes. Allez jeter un œil sur leurs photos partagées dans Instragram; elles nous donnent vraiment envie d’aller jouer dehors avec eux !