Au cœur de l’Arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal, des éducatrices passionnées ont choisi de miser sur la pédagogie en plein air pour mieux soutenir les familles du quartier durement touchées par la pandémie. Incursion dans une halte-garderie où ni les éducatrices ni les enfants n’ont froid aux yeux : à un point tel qu’ensemble ils ont pratiquement passé tout l’hiver dehors.
Le matin, l’accueil des bouts de choux à la halte-garderie Répit-nature se fait dehors, même en plein hiver ! Inutile de les faire entrer à l’intérieur de l’Oasis des enfants puisque, en compagnie de leur éducatrice, Josiane Gagnon, ils vont passer toute la matinée à jouer en plein air, et peut-être même en profiter pour pique-niquer !
Depuis octobre dernier, nous raconte Josiane, c’est arrivé une seule fois qu’un de ses trois groupes ait dû entrer à l’intérieur pendant 10 minutes pour se réchauffer les pieds et les mains. Bien sûr, les parents ont tous reçu un guide sur la manière de bien les vêtir selon la météo, de sorte que les enfants sont toujours parés pour affronter n’importe quelle température. Leur petit sac à dos doit d’ailleurs contenir mitaines et tuque de rechange. Ce qui n’empêche pas Josiane d’en trimballer une réserve avec elle dès qu’ils vont au parc.
« Ce qui change dans mon travail, c’est la gestion du matériel, explique Josiane. En plus des vêtements de rechange, je dois traîner les jeux, mais aussi les collations et même les thermos si on décide de pique-niquer au parc pour que les enfants profitent d’un repas chaud. Mais, en tant qu’éducatrice, à l’extérieur, j’ai beaucoup moins de conflits à régler. En fait, ça n’arrive pratiquement jamais. Tandis qu’à l’intérieur, avec moins d’espace pour bouger et une certaine compétition pour les jouets, il y a plus de frictions entre les enfants. »
Parmi les autres défis de « gestion » propres à la pédagogie par le plein air, il y a bien sûr les « petits besoins ». Mais Josiane est prête à toute éventualité. « J’ai un petit pot, souligne-t-elle. Et aussi des sacs de plastique. Parce que tout doit se passer dehors. Autrement, ce serait trop compliqué de revenir à l’intérieur. D’ailleurs, pour tout dire, ça n’arrive jamais quand il fait froid. On dirait que les enfants s’adaptent. Qu’ils savent que, une fois rentrés à l’Oasis, ça va être le temps. D’ailleurs, c’est un peu la raison pour laquelle mes jeunes ont de trois à cinq ans, parce que, à cet âge, ils sont déjà propres. N’empêche… les parents sont souvent surpris d’apprendre que leurs enfants sont capables de passer plus de trois heures dehors sans demander d’aller au petit coin. »
La pédagogie en plein air comme réponse à la pandémie
Le Répit-nature est le plus récent projet mis sur pied par l’Oasis des enfants. Cet organisme communautaire pour les familles existe depuis 25 ans. Il offre un lieu d’écoute et d’accueil aux enfants de 0 à 12 ans, ainsi qu’à leurs parents. C’est donc un milieu de vie où les jeunes peuvent venir librement, comme dans une deuxième maison. Des animateurs-intervenants sont là pour les recevoir et leur offrir des activités de toutes sortes : cuisine, improvisation, arts, etc. Le tout en mode découverte. Mais, tient à préciser Geneviève Bouchard, coordonnatrice de l’Oasis, ce n’est pas un centre de loisirs. L’approche est centrée sur les besoins des enfants. Pour leur offrir du soutien et de l’accompagnement.
« L’ensemble des services que nous offrons rejoint environ 250 familles vulnérables, précise Geneviève, notamment notre halte-garderie régulière et le service de garde après l’école. Mais la pandémie nous a obligés de réduire la capacité d’accueil de la halte-garderie pour répondre aux consignes de la santé publique. »
Capacité réduite, donc, mais besoins tout aussi criants, sinon plus. Et c’est à ce moment que l’idée du Répit-nature s’est imposée comme une manière de s’agrandir par l’extérieur. « Josiane et moi, en tant que mères de jeunes enfants, nous partagions la même sensibilité, le même intérêt pour éduquer les petits autrement, raconte Geneviève. Pour qu’ils renouent avec la nature. Et pour les préparer au siècle dans lequel ils vont vivre, et affronter les défis environnementaux auxquels ils devront faire face. »
Pédagogie par la nature
« C’est vrai que l’idée nous trottait dans la tête depuis longtemps, se remémore Josiane. La COVID-19 a servi de déclencheur, parce que le Répit-nature facilitait la gestion des mesures sanitaires. Alors j’ai suivi la formation AsSOIFfés de Nature, que donne Amélie Monette, sur la pédagogie par la nature. Et j’ai rapidement découvert qu’on peut se contenter de se réapproprier de simples petits bouts de nature. Pas besoin de se rendre dans une forêt. Chaque espace vert possède son charme, son cachet. C’est assez pour émerveiller les enfants, ce qui va contribuer à renforcer leur lien avec le milieu et surtout la nature. Ils vont apprendre à mieux l’apprécier et surtout vouloir la protéger. »
En temps normal, Josiane se rend au parc avec ses bouts de choux. Une marche de 1,5 km, aller-retour. « Cet hiver, on rentrait de midi à 14 h pour le dîner, mais depuis une semaine, on a commencé à dîner à l’extérieur, explique-t-elle. On fait des pique-niques au parc. J’apporte le dîner dans des thermos. Les jeunes sont très contents, car ça leur donne plus de temps pour jouer. Pas besoin de tout serrer avant de rentrer pour dîner. Et c’est naturel pour eux de manger dehors. Ils ne se plaignent jamais. »
Toutefois, le jour de notre visite, le groupe est exceptionnellement demeuré sur le terrain de l’Oasis, qui loge dans un ancien presbytère à l’ombre de pins magnifiques. Car les enfants tenaient à voir les animaux qu’une animatrice d’Éducazoo était venue présenter. Et ce n’est pas plus mal, comme le fait remarquer Josiane, car, sur le terrain de l’Oasis, ils ont leur petit bout de nature qu’ils s’amusent à explorer. Ils peuvent passer un temps fou à ramasser toutes les cocottes qu’ils trouvent sans se lasser de les manipuler.
Une vision d’avenir
« Non seulement le Répit-nature nous a permis d’augmenter notre capacité d’accueil, mais, en quelque sorte, il concrétise notre vision, souligne Geneviève. Comme l’évoque notre nom, l’Oasis, c’est un lieu agréable dans un écosystème, disons, menaçant… Alors, le Répit-nature ancre notre mission. C’est un peu la signature de ce que nous souhaitons être comme organisme communautaire. Faire les choses autrement et innover ! »
« Nous avons heureusement été soutenus par Centraide dans le cadre du Fonds d’aide à l’action communautaire autonome, détaille Geneviève. On nous a accordé une subvention pour mener ce projet pilote d’une durée prévue de 6 mois. D’ailleurs, l’entente se termine aujourd’hui, 31 mars. Mais nous avons décidé de maintenir le projet jusqu’en juin. En le finançant nous-mêmes tout en travaillant à trouver de nouveaux bailleurs de fonds. »
« Diminution de l’activité physique, augmentation du temps-écran, confinement à la maison, déficit nature : notre projet répond à de nombreux enjeux que la pandémie a largement exacerbés. » - Geneviève Bouchard
« Non seulement nous voulons continuer à faire vivre notre Répit-nature, enchaîne-t-elle, mais on souhaiterait aussi que ça fasse des petits. Car c’est notre responsabilité, en tant qu’adultes, d’offrir à nos enfants ce contact avec la nature pour leur en inculquer l’amour et le respect. C’est possible même si c’est en milieu urbain. Afin qu’ils grandissent en ayant à cœur de la protéger, l’embellir et l’habiter. D’être des citoyens actifs. Et ça, ça commence dès la petite enfance, lorsque les jeunes apprennent à s’approprier leur espace, leur parc, leur ville. »
Plaidoyer pour une pédagogie extérieure inclusive
Geneviève ne cache pas que, parmi leurs objectifs, ils souhaitent aussi démocratiser la formule du Répit-nature. Car il existe d’autres garderies dont la philosophie repose sur la pédagogie par la nature. Mais, rares sont celles qui demeurent abordables pour les familles plus vulnérables. À l’Oasis, il en coûte aux parents seulement 10 dollars pour la journée. Ce qui inclut les deux collations et le repas que Josiane prépare chaque lundi. De la nourriture végane, provenant dans la mesure du possible de circuits courts, et dont les enfants se régalent. Bref, tous les jeunes devraient avoir la chance de profiter des bienfaits de la pédagogie par la nature.
Bénéfice nature
Le Répit-nature convient tout particulièrement aux familles plus vulnérables qui n’ont pas accès à un milieu de garde à temps plein, faute de moyens ou pour d’autres raisons. Des familles dont les horaires parfois atypiques ou dont les modes de vie s’accommodent mal d’un service de garde à temps plein. En effet, rares sont les milieux de garde conventionnels qui offrent du temps partiel. Qui plus est, en plein air !
« Nous rendons un précieux service aux parents, note Josiane. Ils profitent d’une journée de répit, alors que les enfants, de leur côté, en retirent plusieurs bienfaits. Par exemple, pour environ la moitié de mes 3 à 5 ans, le répit-nature représente leur première occasion de socialisation en dehors de leur famille. Et c’est très bon pour eux. Ça leur permet de graduellement se préparer à l’école. Ça répond à un besoin essentiel. »
« Et les études le montrent, insiste Josiane. Les enfants bougent plus lorsqu’ils sont à l’extérieur. Ils dépensent plus leur énergie. La pédagogie par la nature et le jeu libre leur apporte aussi de nombreux bénéfices sur les plans du développement moteur, de la confiance en soi, de la prise de risque… Quand on leur laisse la bride sur le cou, ils peuvent faire preuve d’une créativité stupéfiante. Je m’en émerveille constamment. Ils possèdent un imaginaire qui s’épanouit merveilleusement bien à l’extérieur. C’est naturel pour les enfants d’être dans la nature ! »
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