Pédagogie plein air

Éducation par la nature: une recherche québécoise démontre des bienfaits remarquables pour les tout-petits

Éducation par la nature: une recherche québécoise démontre des bienfaits remarquables pour les tout-petits

Sur le terrain, l’éducation par la nature suscite un engouement certain. Mais que démontre la recherche ? Afin de faire des choix pédagogiques cohérents avec les connaissances et les observations scientifiques, l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) a initié, en 2018, un projet de recherche ambitieux dans le cadre du projet Alex-éducation par la nature.

Pilotée par Caroline Bouchard, professeure titulaire au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, et menée en étroit partenariat avec l’AQCPE, cette recherche a permis d’explorer l’influence de l’éducation par la nature sur l’engagement des enfants de 3 à 5 ans, ainsi que la qualité des interactions dans le groupe en contexte d’immersion en nature. Menée de 2019 à 2020, cette étude combine des sondages auprès des parents, des entretiens avec les éducatrices et des observations sur le terrain. Les résultats convergent pour démontrer les bienfaits de l’éducation par la nature sur l’enfant.

enfant sur un rocher

L’éducation par la nature favorable au développement cognitif des enfants

Dans un premier volet, l’équipe de recherche a voulu sonder les parents quant à leur perception des effets de l’éducation par la nature sur le développement physique et moteur, social et affectif, langagier et cognitif de leur enfant. Comme le relate Caroline Bouchard, ces premiers résultats l’ont à la fois surprise et enthousiasmée. « Je me serais attendue, dit-elle, à ce que les parents perçoivent surtout des effets positifs sur le développement moteur ou affectif. Or, les deux tiers des parents considèrent aussi que les expériences d’immersion en milieu naturel ont particulièrement favorisé le développement cognitif de leur enfant et contribué positivement à sa capacité d’apprendre et d’approfondir sa pensée. »

Ces résultats, très significatifs, ont par ailleurs été corroborés par des entretiens menés auprès d’une vingtaine d’éducatrices qui estiment que l’approche d’éducation par la nature développe la créativité et la curiosité des enfants qui se posent des questions, émettent des hypothèses et démontrent une « attitude de chercheur ».

« Il n’y a pas de matériel imposé en milieu naturel. Branches, sable ou neige, le matériel est libre et polyvalent. L’enfant se l’approprie et doit en faire quelque chose. En ce sens, l’approche de l’éducation par la nature est une source intarissable d’interrogations et d’apprentissages. Ça foisonne de possibilités sur le plan cognitif ! » - Caroline Bouchard

caroline bouchard université laval Caroline Bouchard

Une pédagogie émergente qui favorise la qualité des interactions

La qualité des interactions constitue une des pierres d’assise d’un milieu éducatif à la petite enfance. Aussi l’équipe de recherche a-t-elle tenu à observer sur le terrain la qualité des interactions entre l’adulte et les enfants dans les groupes participants au projet. Comme le raconte Caroline Bouchard, au détour d’un sentier, un grand arbre gisait sur le sol, obstruant le passage. Les enfants se sont immobilisés et l’éducatrice en a profité pour favoriser cette attitude de chercheur. Pourquoi l’arbre est-il tombé ? Peut-on le déplacer ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? « J’ai été témoin de cette scène-là, poursuit madame Bouchard. C’est très riche parce que ces situations réelles et spontanées permettent à l’adulte de s’intéresser de manière authentique aux questionnements de l’enfant, ce qui favorise la création et le maintien d’une relation significative avec lui, tout en soutenant le développement de sa pensée. »

« Pour nous, c’est plus qu’un contexte, c’est une approche, une façon d’intervenir auprès des enfants et de considérer son rôle d’éducateur ou d’éducatrice auprès d’eux. On va saisir ce qui se passe, capter ce qui vient des enfants ou du milieu naturel et ensuite intervenir en mettant en place des pratiques de grande qualité. Donc, on est vraiment dans une pédagogie émergente. » - Caroline Bouchard

enfant et tronc arbre

Comme le précise Michèle Lebœuf, coordonnatrice du projet Alex à l’AQCPE et membre à part entière de l’équipe de recherche, l’objectif de l’AQCPE était entre autres d’étudier la qualité des interactions éducatrices-enfants, tant en contexte d’immersion en nature qu’en installations de CPE. Les données ainsi recueillies à l’automne 2019 montrent que la qualité des interactions est plus élevée en milieu naturel qu’en milieu traditionnel. Madame Lebœuf, qui est également coauteure du Cadre de référence sur l’éducation par la nature, se réjouit de ces résultats. « Le contact avec la nature permet de transformer et d’enrichir l’expérience éducative, précise-t-elle. En outre, c’est grâce aux interactions avec son éducatrice que l’enfant va se développer et apprendre par la nature. »

michele lebœuf Michèle Lebœuf

Au printemps 2020, les observations en CPE ont dû être interrompues à cause de la pandémie. Mais loin de se laisser démonter par ce contretemps, l’équipe de recherche a décidé de comparer les résultats obtenus en CPE avec les données recueillies en milieu naturel en pleine pandémie. À leur grand étonnement, malgré les mesures sanitaires mises en place, comme la distanciation et le port du masque chez les éducatrices, la qualité des interactions est demeurée plus élevée en milieu naturel qu’en installation avant la COVID-19.

Alors que partout dans le monde, on cherche actuellement à bonifier le soutien offert aux enfants en matière d’apprentissages et à identifier les conditions les plus favorables à leur développement, les constats de la présente étude incitent Caroline Bouchard à penser que l’éducation par la nature pourrait constituer un levier extraordinaire pour améliorer la qualité des interactions et, surtout, le soutien à l’apprentissage. « L’éducation par la nature libère l’adulte de certaines tâches et lui offre un autre rapport au temps, ajoute-t-elle, ce qui le rend pleinement disponible pour interagir avec les enfants. »

« La qualité des interactions constitue un des meilleurs prédicteurs de la réussite éducative de l’enfant et nous avons observé qu’il y a beaucoup d’interactions en milieu naturel, non seulement entre l’adulte et les enfants, mais aussi entre les enfants eux-mêmes. En ce sens, c’est un milieu très riche pour favoriser le développement cognitif. » - Caroline Bouchard

enfants en foret

Des enfants plus engagés dans leurs apprentissages

Un autre volet du projet de recherche, intitulé « Alex — éducation par la nature. Une approche innovante pour favoriser la réussite éducative des jeunes enfants » s’est attardée à évaluer l’engagement des enfants dans leurs apprentissages. L’étude, qui a permis d’observer 160 enfants de 3 à 5 ans participant au projet Alex, démontre un niveau d’engagement supérieur par rapport à des enfants évalués dans un contexte plus traditionnel. « L’écart est considérable, précise Caroline Bouchard. Lorsqu’ils sont en milieu naturel, ces enfants ont tendance à s’investir davantage dans leurs apprentissages. Ils vont manifester de l’intérêt, de la persévérance, de l’enthousiasme. Ils vont également faire preuve d’autonomie et tenter de trouver par eux-mêmes des façons de résoudre les problèmes. »

« On sait que ce qui se passe avant l’entrée à l’école est déterminant. À travers l’étude de l’éducation par la nature, nous sommes en train de générer une meilleure compréhension de la contribution de l’environnement éducatif au développement de l’enfant. » - Michèle Lebœuf

Comme l’explique Caroline Bouchard, l’enfant de 0 à 5 ans est particulièrement sensible et apte à capter ce qui vient de son environnement pour se développer. Cette période déterminante doit permettre d’offrir à l’enfant de riches opportunités d’apprentissages. « C’est là où tout converge, ajoute madame Bouchard. La perception des parents voulant que c’est riche pour soutenir le développement cognitif de leur enfant est confirmée autant par les entretiens avec les éducatrices que par les données observées en milieu naturel. »

Un éveil de la sensibilité écologique

Pour l’AQCPE, en plus d’offrir une voie prometteuse au développement de l’enfant, l’éducation par la nature se veut une avenue intéressante pour que les services de garde éducatifs et les jeunes familles contribuent à répondre aux enjeux écologiques contemporains et aux défis considérables que la communauté humaine doit relever dans les prochaines années. Aussi l’équipe de recherche a voulu sonder les perceptions des parents sur l’éveil de la sensibilité écologique de leur jeune enfant en contexte d’éducation par la nature. Chez les 250 parents qui ont participé à l’étude, 8 sur 10 considèrent que leur enfant a développé sa sensibilité écologique, particulièrement sa conscience de la nature et le plaisir en nature.

Michèle Lebœuf souligne que ces résultats correspondent à ce qui est mis de l’avant dans le Cadre de référence sur l’éducation par la nature à travers le 8e principe, qui mise sur l’éveil de la sensibilité et l’émerveillement pour la nature, plutôt que sur une responsabilisation ou une mobilisation précoce des enfants envers l’environnement.

Un arrimage pratique-recherche enrichissant  

Caroline Bouchard, qui ne cache pas son enthousiasme pour les résultats de cette première étude financée par le ministère de l’Économie et de l’Innovation, tient à préciser que la clé du succès tient particulièrement à l’alliance entre la recherche et la pratique. « L’arrimage entre les milieux de pratique, l’expérimentation et la recherche, poursuit-elle, bénéficie autant aux chercheuses qu’aux éducatrices. C’est un enrichissement mutuel qui est très fécond. »

Alors que le projet Alex entre dans une deuxième phase, au cours de laquelle plusieurs CPE participants s’engagent dans une démarche d’approfondissement sur la qualité des interactions et le soutien à l’apprentissage, l’AQCPE souhaite que le dialogue avec les chercheuses se poursuive, et même s’intensifie. Un nouveau projet de recherche qui compte s’attarder de manière plus spécifique au développement professionnel entourant le soutien à l’apprentissage a déjà été initié avec l’équipe de recherche, afin de voir de quelle manière les éducatrices peuvent rehausser le soutien à l’apprentissage qu’elles offrent aux enfants en contexte d’éducation par la nature.

Pour Michèle Lebœuf, qui demeure une pionnière de l’éducation par la nature au Québec, ces résultats encourageants ne sont qu’un premier aperçu documenté des bénéfices que cette pédagogie émergente peut avoir sur toutes les facettes du développement de l’enfant. Bref, l’éducation par la nature est encore loin de nous avoir livré tous ses secrets !

Crédits photos: AQCPE 

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