Ressource
La grossophobie est omniprésente dans notre société, ont souligné les cinq expert·e·s qui ont pris la parole lors d’un symposium virtuel suivi en direct par 1 600 personnes. La norme de la minceur est le moteur principal de cette discrimination, ainsi que les données scientifiques mal comprises, mal rapportées et, parfois même, inexistantes. Il existe cependant des pistes de solution pour contrer les fausses croyances. Extraits de conférences passionnantes.
Un peu de contexte. Intitulé « Grossophobie et image corporelle : S’informer pour mieux intervenir », ce symposium virtuel* s’est tenu le 16 février 2023. Il s’adressait plus particulièrement aux professionnel·le·s de la petite enfance, des milieux scolaires, de la santé et des services sociaux, des loisirs et des sports.
Une définition. Officiellement entré dans les dictionnaires Le Robert, en 2019, puis dans l’édition 2023 du Petit Larousse, le terme « grossophobie » désigne l’ensemble des attitudes et comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes grosses, en surpoids ou obèses. Cette hostilité, dont on connaît la prévalence dans les réseaux sociaux, est aussi bien ancrée dans la vie quotidienne, de façon moins directe, mais tout de même néfaste.
Les effets pervers des préjugés
Dans son allocution d’ouverture, Dr Horacio Arruda, sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux, a mis la table en citant les résultats d’un sondage mené auprès de 1 808 personnes en août 2022**.
- 62 % des adultes et 40 % des jeunes souhaitent maigrir, peu importe leur poids.
- 44 % des adultes et 35 % des jeunes affirment que leur poids les rend malheureux.
- 36 % des adultes et 29 % des jeunes affirment que le contrôle du poids les obsède.
Toutefois, comme l’a souligné Dr Arruda, les personnes sondées ont aussi affirmé que les médias parlent trop du poids (57 %) et qu’il y a trop de commentaires sur le poids et l’apparence dans les réseaux sociaux. « Ces chiffres confirment que, comme société, nous sommes prêts à revoir nos préjugés et à graduellement cesser de mettre l’emphase sur le poids, une attitude qui a des effets pervers sur la santé psychologique et physique, a-t-il déclaré. D’autant plus que l’indice de masse corporelle (IMC) et le poids ne sont pas des mesures directes de la santé. Soyons honnêtes et prenons conscience de nos propres préjugés à l’égard du poids et des personnes grosses. »
Une industrie de l’amaigrissement inefficace et culpabilisante
Pour Andrée-Ann Dufour Bouchard, nutritionniste et cheffe de projet chez ÉquiLibre, les résultats du sondage mené auprès des jeunes sont préoccupants. « L’adolescence est une période où le corps change très rapidement et durant laquelle les jeunes sont particulièrement vulnérables au chapitre de leur image corporelle, rappelle-t-elle. Et ils n’ont pas toujours la maturité nécessaire pour remettre en question le modèle unique de beauté qui leur est présenté ».
La nutritionniste soutient également que la croyance voulant qu’être insatisfait de son corps puisse être une bonne motivation pour maigrir et se sentir mieux est en fait toxique. En effet, une telle insatisfaction peut conduire, entre autres, à une relation malsaine avec la nourriture, un entraînement excessif, une prise de suppléments inefficaces ou une faible estime de soi.
« Ce qui me désole le plus, c’est que les gens qui essaient de perdre du poids vont s’attribuer l’échec en pensant qu’ils ont manqué de volonté, alors qu’on sait qu’il est très difficile d’y arriver et que c’est la méthode d’amaigrissement qui est inefficace. Les études montrent que la majorité des personnes qui suivent une diète reprennent le poids perdu dans les semaines ou les mois qui suivent l’abandon de ce régime. »
Oui, il est possible d’être gros et en santé
Le professeur Benoit Arsenault s’intéresse depuis longtemps à cette question, bien mal traitée par les médias. « Oui, le poids est un déterminant de la santé, mais il faut l’inscrire parmi un vaste éventail d’autres comportements beaucoup plus faciles à modifier, comme l’alimentation, l’activité physique, le statut tabagique et les heures de sommeil », spécifie le chercheur au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec.
Dans notre société, souligne l’épidémiologiste, une croyance persistante veut que si les personnes grosses mangeaient mieux et bougeaient plus, elles seraient en meilleure santé. Pourtant, les études montrent que la localisation de la graisse est beaucoup plus importante que le poids pour prédire le risque d’accidents cardiovasculaires ou vasculaires cérébraux, tout comme la capacité cardiorespiratoire.
« Le lien entre l’alimentation, l’activité physique, le poids et les maladies est beaucoup plus complexe que ce que les médias rapportent, ajoute-t-il. Les facteurs biologiques, environnementaux, psychosociaux et politicoéconomiques influencent aussi nos habitudes de vie. Les principaux déterminants de notre santé cardiométabolique reposent sur notre code génétique et notre code postal. »
« L’activité physique offrent de multiples bénéfices qui n’ont rien à voir avec le poids ou la dépense énergétique, affirme le chercheur. Contrairement aux régimes amaigrissants, elle permet de maintenir la masse musculaire, d’augmenter ses interactions sociales, de diminuer son stress ou encore de contrôler sa glycémie. »
De plus, si de nombreux essais cliniques randomisés ont démontré qu’une alimentation de type méditerranéen est associée à une réduction de 25 % de l’incidence des maladies cardiovasculaires, la perte moyenne de poids observée dans ces études est de… 0 kg.
Un parcours du combattant pour une chaise de la bonne taille
Sarah Wickert est créatrice de contenu et activiste. Présente sur les médias sociaux sous le nom de « corpsgros », elle raconte avec authenticité les multiples obstacles rencontrés dans son milieu de travail pour obtenir une chaise à sa taille.
Après avoir obtenu un poste à temps partiel, elle se rend compte qu’aucune chaise libre ne lui convient. Un collègue, travaillant lui aussi à temps partiel, lui propose de partager la seule chaise du bureau à sa taille. Durant la pandémie, elle obtient un poste permanent, mais le retour au bureau la met dans une situation intenable. La chaise acceptable a disparu… Au cours d’une conversation qui lui demande beaucoup de courage, son supérieur se montre compréhensif, mais cette démarche d’accommodation est régie par un protocole.
Pour accéder à sa demande, le service des ressources humaines exige en effet un certificat médical. « Je n’ai pas de médecin de famille, indique-t-elle. Il a fallu que je dise à un étranger, juste pour une signature que je n’étais pas certaine d’obtenir, que mes fesses sont trop grosses pour les chaises du bureau. »
Une fois le certificat médical fourni, le service des ressources humaines lui demande de remplir un formulaire d’évaluation de son poste de travail. « J’indique que je ne peux pas remplir ce formulaire, puisque je ne suis pas en mesure de m’asseoir à mon bureau », relate-t-elle. Le dossier se rend au service d’évaluation ergonomique, qui exige qu’elle remplisse le même formulaire… Elle explique à nouveau sa situation, mais, à ce jour, elle n’a pas de nouvelle et travaille donc de chez elle.
Compréhension et accommodements raisonnables demandés
Édith Bernier, à l’origine du site d’information grossophobie.ca, est autrice et consultante. Au fur et à mesure du témoignage de Sarah, elle mentionne plusieurs façons de mieux répondre aux besoins des personnes grosses. « Dans un premier temps, il ne faut surtout pas sous-estimer le courage dont fait preuve une personne qui formule une demande basée sur son poids », signale-t-elle.
« À l’embauche, quand il est évident que la personne ne rentrera pas dans les chaises disponibles, l’employeur peut ouvrir la porte sans créer de malaise. Par exemple en demandant si la personne pense qu’une chaise plus grande serait plus confortable pour elle. »
Édith Bernier recommande de faire preuve de compréhension. « Le processus pour obtenir un certificat médical, alors que bien des personnes grosses sont stigmatisées par le corps médical, peut être éprouvant, d’autant plus lorsqu’on craint que le médecin ne coopère pas. »
La conférencière propose également d’inclure spécifiquement la discrimination basée sur le poids dans les politiques de bien-être au travail et de protection contre le harcèlement. « Dans un monde idéal, ce point ferait déjà partie des politiques. »
Comment bien intervenir pour favoriser une image corporelle positive
Psychologue clinicienne, Dre Stéphanie Léonard est la fondatrice de l’OBNL, Bien avec mon corps, qui s’adresse principalement aux jeunes. Dans sa présentation, elle a proposé des pistes de réflexion importantes à l’intention des intervenant·e·s de la petite enfance, des milieux scolaires, de la santé et des services sociaux, des loisirs et des sports.
En réponse à une question souvent posée, elle explique que, pour bien accompagner les jeunes et les adultes qui ont des enjeux d’image corporelle, il n’est pas nécessaire d’être soi-même parfaitement à l’aise avec son corps. « En revanche, il est essentiel de reconnaître que le développement d’une image corporelle saine et positive est un défi pour plusieurs, y compris nous-même. Cette prise de conscience rend nos interventions plus authentiques et efficaces, car elle nous permet de nous positionner comme allié au sein de cet enjeu de société. »
La psychologue recommande également de demander de l’aide et de prendre les mesures nécessaires lorsqu’on se rend compte que nos enjeux personnels en matière d’image corporelle interfèrent avec nos interventions. En cas d’incertitude ou d’ambivalence, elle conseille aux intervenant·e·s de demander des conseils à leurs pairs. « Dans un milieu de travail bienveillant, aborder ce point peut créer de belles discussions d’équipe. »
« Il faut reconnaître et dénoncer la grossophobie entretenue dans notre société de méritocratie où la minceur devient le symbole de notre réussite et de notre valeur en tant qu’individu. » C’est tout un programme, reconnaît Stéphanie Léonard, mais chaque geste, petit ou grand, compte.
Visionner les conférences en ligne
Les quatre conférences font partie de la nouvelle boîte à outils gratuite et accessible à toutes et à tous sur le site web de la Table québécoise sur la saine alimentation. Elle contient également des infographies, des bandes dessinées, des capsules vidéo, ainsi qu’un modèle de résolution pour le développement d’une image corporelle positive.
- Andrée-Ann Dufour Bouchard : Image corporelle et grossophobie
- Pr Benoit Arsenault : Démystifier les effets du poids, de l’activité physique et de l’alimentation
- Édith Bernier (grossophobie.ca) et Sarah Wickert (@corpsgros) : Pour un milieu de travail inclusif et non grossophobe
- Dre Stéphanie Léonard, psychologue (Bien avec son corps) : Des pratiques favorables au développement d’une image corporelle positive.
Banque de photos d’ÉquiLibre : Place à la diversité corporelle!
* Ce symposium a été offert par la Table québécoise sur la saine alimentation, en partenariat avec l’Association pour la santé publique du Québec, ÉquiLibre et le gouvernement du Québec.
** Léger pour le compte d’ÉquiLibre. Préoccupations envers le poids, l’alimentation et la pratique d’activité physique. Sondage réalisé du 2 au 21 août 2022 auprès de 1 808 Québécois.es âgé.e.s de 14 ans et plus.
Image en Une : Crédit photo - Julie Artacho / ÉquiLibre