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De plus en plus de CPE et de garderies au Québec expérimentent et reconnaissent les bienfaits de l'éducation par la nature sur le développement et la santé des jeunes enfants. Mais qu'en est-il des enfants ayant des besoins particuliers? Alors qu'on pourrait craindre que les défis de la marche en forêt découragent les enfants avec un handicap moteur ou que les comportements problématiques augmentent chez les plus impulsifs, ces derniers pourraient bien être les premiers à bénéficier des sorties en nature.
Pour Marie-Josée Tremblay, directrice adjointe à la pédagogie au CPE Passe-Partout, la question ne se pose plus. Tous les jours, elle est à même d'observer ce qu'elle appelle de véritables « petits miracles », tellement l'éducation par la nature transforme positivement le parcours des enfants ayant des besoins particuliers. De l'estime de soi à l'optimisation de leur potentiel, chacun trouve au sein de l'environnement naturel l'occasion de se développer de la manière qui lui convient le mieux.
« Depuis que nous allons en forêt de façon assidue avec les enfants, nous avons pu constater l'apport monumental que ça apporte aux enfants qui ont des besoins particuliers. Quand on arrive dans la forêt avec ces petits cocos, c'est d'une surprise et d'une beauté incommensurables! » -Marie-Josée Tremblay
L'inclusion au cœur du CPE Passe-Partout
Le CPE Passe-Partout, qui gère deux installations dans la région de Québec, l'une à Stoneham et la seconde dans l'arrondissement de Charlesbourg, se distingue par l'adoption d'une politique inclusive visant l'accueil de tous les enfants sans distinction. « Actuellement, précise Marie-Josée Tremblay, on considère que 15 % à 20 % de la population a des besoins particuliers. On tente d'avoir cette représentation-là dans notre CPE. » Dédié à sa mission, le CPE engage par ailleurs des éducatrices spécialisées à temps complet afin d'offrir à chaque enfant une attention privilégiée adaptée à ses capacités.
Située dans le quartier Saint-Rodrigue, où l'indice de défavorisation est élevé, l'installation de Charlesbourg relève particulièrement de nombreux défis. Sur les 62 enfants de 18 mois à 5 ans qu'elle reçoit quotidiennement, plusieurs sont issus de l'immigration et un bon nombre d'entre eux, bien qu'âgés de 4 ou 5 ans, en sont à leur première expérience en garderie. Parmi les enfants avec des besoins particuliers, certains ont tout simplement été exclus de milieux de garde incapables de composer avec eux. « Ils arrivent chez nous comme des oiseaux blessés, avec les ailes cassées, confie madame Tremblay. Ils ont été un peu étiquetés et leur estime de soi en a pris pour son rhume. Ce sont des enfants perturbés qui bougent souvent beaucoup. »
On s'en doute, lorsque Marie-Josée Tremblay a proposé à son équipe d'éducatrices d'embarquer dans une expérience d'éducation par la nature, les craintes n'ont pas tardé à se manifester. « Les éducatrices étaient très inquiètes, raconte-t-elle. Comment vais-je faire dans la forêt avec mon petit qui court partout et qui a tendance à fuguer ? Et avec cette petite fille qui a du mal à marcher ? On avait beau les rassurer et les soutenir, c'était vraiment la peur qui habitait les éducatrices. » Or, quelques semaines seulement après le début des sorties en forêt, toute l’équipe n’a pu que constater les effets positifs de l’environnement naturel sur les comportements des enfants et leurs interactions avec les autres. L’approche de l’éducation par la nature n’a pas tardé à faire consensus au sein du personnel.
Les miracles de l’éducation par la nature
Après quelques mois d’expérimentation, le CPE Passe-Partout a eu la chance de se joindre au projet Alex mis en place en 2019 par l’Association québécoise des centres de la petite enfance pour accompagner 15 CPE engagés dans une démarche d’éducation par la nature. Depuis un an, fort de cette formation, le CPE Passe-Partout va fidèlement deux fois par semaine dans le boisé du Domaine de Maizerets et les bienfaits sur les enfants ayant des besoins particuliers ne cessent de grandir et de se multiplier.
« C’est extraordinaire comment la nature répond aux besoins de tous les enfants. Les enfants impulsifs qui ont du mal à écouter les consignes peuvent tout à coup grimper aux arbres, faire des choses que les autres sont parfois moins capables de faire et ils se retrouvent à devenir des leaders positifs en forêt. Ceux qui souffrent au contraire de l’agitation et du bruit à l’intérieur de la garderie en profitent pour décompresser et vivre un moment de calme qui leur fait du bien. Chacun trouve en forêt ce dont il a besoin pour se développer. » - Marie-Josée Tremblay
Madame Tremblay raconte entre autres l’histoire d’une petite fille avec des difficultés motrices pour qui les promenades en forêt semblaient un défi insurmontable. Mais peu à peu, son intérêt et sa curiosité pour les végétaux et les animaux de la forêt l’ont poussée à avancer, à enjamber les troncs d’arbre et à gravir les rochers. Sa force, ses muscles et sa coordination se sont ainsi développés tout naturellement au gré de ses découvertes. Une autre enfant avec un retard langagier important allait simplement se coucher sous un arbre et regarder le ciel. Bientôt, une éducatrice l’a rejointe et ensemble elles se sont mises à échanger sur ce quelles voyaient entre les branches.
Loin de l’agitation redoutée, les éducatrices ont par ailleurs eu la bonne surprise de voir à quel point les comportements des enfants les plus perturbateurs à l’intérieur de la garderie disparaissent en forêt. Libres de bouger, de courir et d’explorer dans un environnement où ils peuvent être eux-mêmes, ces enfants se révèlent souvent les compagnons de jeux les plus collaborateurs et les plus appréciés des autres.
Une transformation positive et durable
Le développement de la confiance en soi et de l’estime personnelle est au nombre des effets positifs de l’éducation par la nature unanimement reconnus. Ces bienfaits transforment littéralement le parcours des enfants avec des besoins particuliers. Comme l’explique Marie-Josée Tremblay, « les enfants qui sont très agités sont fréquemment rejetés par le groupe. Mais en forêt, ce sont souvent les plus habiles et les premiers à foncer, ce qui suscite l’admiration des autres. Cela les rend fiers et comme ils ont une image plus positive d’eux-mêmes, leurs relations avec les autres s’améliorent d’autant. »
Plutôt que de mettre l’emphase sur les limitations des enfants qui ont des besoins particuliers, l’approche de l’éducation par la nature fait en quelque sorte ressortir tout le potentiel et les aptitudes de ces enfants qui ont souvent plus de difficultés à vivre en groupe entre quatre murs. Et ce qui se crée doucement en forêt, précise Marie-Josée Tremblay, se transpose à l’intérieur de la garderie. « La transformation qui s’amorce, ajoute-t-elle, est lente, mais durable. »
«C’est toute la beauté de l’éducation par la nature et des sorties régulières en forêt. Quand on arrive à remettre en place l’estime de soi de l’enfant et à faire en sorte que les relations sociales de l’enfant soient positives, c’est certain que ça maximise tous les gains que nous aurions pu faire dans un autre contexte.» - Marie-Josée Tremblay
De la pratique à la recherche
Si les bienfaits pour la santé de même que les bénéfices psychologiques et sociaux de la pédagogie par la nature sont amplement confirmés dans une foule d’études, peu de chercheurs se sont intéressés à ses impacts sur les enfants ayant des besoins particuliers. Mais Justine Boquart, qui entreprend un mémoire en psychopédagogie à l’Université Laval sur les enfants à besoins particuliers dans un contexte d’immersion en nature, espère que son travail encouragera plus de services de garde à privilégier cette approche.
Cette jeune chercheure, qui a travaillé en France auprès d’enfants présentant des troubles du spectre de l’autisme et d’enfants polyhandicapés, a déjà recueilli plusieurs témoignages d’éducatrices qui ont à leur tour remarqué à quel point les comportements indésirables de certains enfants changeaient du tout au tout en forêt ou qui ont observé des améliorations fulgurantes des capacités motrices d’enfants affectés d’un retard moteur. « Sachant que l’éducation par la nature favorise le développement cognitif, moteur, affectif et social des enfants, souligne Justine Boquart, il me paraît évident que les enfants avec des besoins particuliers ont tout intérêt à en bénéficier. »
L’avenir en forêt
Pour le CPE Passe-Partout à Charlesbourg, aller en forêt entraîne de grands défis, dont celui de faire monter les bambins dans un autobus deux matins par semaine ou celui de devoir se munir d’une garde-robe complète de vêtements adaptés à la forêt. « Il y a bien des difficultés associées à ces sorties en nature, précise Marie-Josée Tremblay, mais on voit tellement les bienfaits que ça apporte aux enfants qu’il n’est pas question que ça nous empêche de poursuivre. L’équipe est vraiment mobilisée et, pour nous, il n’y a pas de retour en arrière possible. »
Stimulée par les progrès accomplis depuis deux ans par ceux qu’elle appelle « ses petits cocos », Marie-Josée Tremblay n’a qu’une aspiration, celle de continuer à faire grandir l’approche de l’éducation par la nature pour que tous les enfants, particulièrement ceux qui en ont le plus besoin, puissent développer leur plein potentiel dans un environnement où ils se sentent reçus et accueillis sans distinction. Sans aucun doute, c’est dans la nature que ça se passe !
Crédits photos: CPE Passe-partout
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