Surprotéger les enfants peut nuire à leur développement et à leur santé. Après des années de sécurité extrême, tous reconnaissent aujourd'hui les bienfaits du jeu libre en extérieur et l'importance pour les enfants de tester leurs limites en prenant des risques. Mais qu'en pensent les parents ? Une chercheuse québécoise a sondé les parents pour comprendre leurs préoccupations.
Réalisé en collaboration avec Kino-Québec, le rapport « Les préoccupations parentales concernant le jeu actif des enfants de 3 à 12 ans à l’extérieur » vient d’être publié. Réalisée par Guylaine Chabot, professeure en sciences de la santé à l’Université du Québec en Outaouais, cette étude est la première à aborder de front ce sujet d’actualité, dans un contexte où l’hyperparentalité est de plus en plus dénoncée.
Des parents tolérants au risque = des enfants plus actifs
La tendance de notre société à vouloir protéger les enfants de tous les dangers et l’appréhension des blessures ont contribué à créer une génération de jeunes qui sont de moins en moins actifs et qui jouent de moins en moins librement à l’extérieur. Mais qu’est-ce que les parents interdisent ou permettent à leurs enfants ? Et quels sont les facteurs qui influencent leurs préoccupations ? Plus de 2000 parents de toutes les régions du Québec ont accepté de participer à l’enquête menée par Guylaine Chabot, qui visait entre autres à déterminer leur degré de tolérance à l’égard du jeu actif comportant un élément de risques.
« Les parents sont la première source de référence pour les enfants de 3 à 12 ans et ceux qui balisent leurs jeux, précise Guylaine Chabot. Les chances qu’un enfant participe à toutes formes de jeu libre sont significativement plus grandes chez les enfants de parents qui ne sont pas intolérants au risque. »
Entre l'intention et la réalité...
Bien que la tolérance au risque varie fortement en fonction du type de jeu proposé, la grande majorité des parents reconnaissent les bénéfices du jeu actif et estiment que les enfants devraient être autorisés à s’engager dans des jeux qui permettent de tester leurs limites.
- 95,3 % des parents considèrent qu’il est important que leur enfant vive des expériences qui représentent un défi physique et 82 % croient que le risque que celles-ci comportent favorise la confiance en soi de leur enfant.
- 64,2 % des parents sont d’avis que les enfants doivent être exposés à des risques sur une base régulière afin de développer leurs compétences en gestion du risque dans leurs jeux et leurs déplacements à l’extérieur.
- Près de la moitié des parents considèrent qu’il y a trop de règles de sécurité qui régissent le jeu des enfants au Québec.
Comme la chercheuse Guylaine Chabot a pu le constater, il existe toutefois un décalage entre les bonnes dispositions des parents et les pratiques réelles. Par exemple, si la majorité des parents estiment que les enfants devraient être autorisés à grimper aux arbres, la proportion de ceux qui laissent leur progéniture réellement grimper aux arbres est en réalité beaucoup plus faible. 61 % des parents se disent par ailleurs préoccupés par ce qu’ils ne peuvent pas contrôler et qui pourrait causer des blessures à leur enfant. De façon générale, les enfants des répondants participent rarement à des jeux risqués.
- 11,6 % grimpent régulièrement aux arbres.
- 25,5 % jouent régulièrement à des jeux de chamaille.
- 32,6 % conduisent régulièrement un véhicule non motorisé avec des amis comme un vélo, une planche à roulettes ou une trottinette, sans supervision, et 22,3 % le font seuls.
- 6,5 % utilisent régulièrement des outils sans supervision.
« Jouer dehors, avec les risques que cela comporte, fait partie du processus évolutif normal de l’enfant et est essentiel à son développement physique, psychologique et social, rapporte Guylaine Chabot. Mais les parents d’aujourd’hui ont moins de tolérance au risque qu’avant. »
La liberté de déplacement des enfants
La chercheuse s’est également intéressée à la question de la mobilité indépendante des enfants. Depuis les 50 dernières années, on observe en effet une réduction marquée de la liberté de déplacement des enfants. Encore une fois, si la plupart des parents croient que les enfants plus âgés devraient avoir le droit de sortir seuls dans leur voisinage pour développer le sens des responsabilités, seulement le quart des parents autorisent leur enfant de 10 ans ou plus à revenir seul de l’école à pied ou à vélo et la majorité des déplacements scolaires des jeunes qui habitent entre 1 et 2 km de leur école — une distance tout à fait praticable à pied ou à vélo — sont faits en voiture.
La rencontre d’adultes mal intentionnés (57,7 %) et l’exposition à des risques d’accident de la route (55,5 %) sont les principales préoccupations invoquées par les répondants lorsqu’ils envisagent de laisser un enfant de 9-10 ans explorer seul le voisinage. Les statistiques montrent pourtant que ces craintes sont non fondées. Au Canada, les enfants ont huit fois plus de risques de décéder en étant passager dans une voiture qu’en se faisant heurter par un véhicule lorsqu’ils sont à pied ou à vélo. Les probabilités d’enlèvement par un adulte mal intentionné sont par ailleurs de 1 sur 14 millions.
Pistes d’action
Dans le cadre de cette étude, des groupes de discussion ont également été organisés avec les parents. Comme en témoignent les propos recueillis lors des travaux de ces groupes, on assiste actuellement à un changement de culture au Québec au regard du jeu actif et libre des enfants à l’extérieur. Malgré l’insécurité qu’ils manifestent, les parents reconnaissent en effet l’importance de reconnecter les enfants avec la nature et de les sensibiliser au risque. Ils souhaitent entre autres que l’école et les municipalités permettent un meilleur accès aux espaces verts, favorisent les activités extérieures et rendent les environnements propices au jeu libre et aux déplacements sécuritaires.
« Mais il y a encore du travail à faire, tient à préciser Guylaine Chabot. La relation entre les scores de tolérance au risque des parents et la pratique du jeu libre par leurs enfants montre la nécessité d’intervenir pour augmenter la proportion de parents tolérants au risque, afin de permettre à un plus grand nombre d’enfants québécois de jouer librement dehors. Au Québec, on est retard par rapport aux provinces canadiennes et à beaucoup d’autres pays. »
Pour relever ce défi, le rapport propose plusieurs pistes d’action, parmi lesquelles des campagnes de marketing social qui prônent un équilibre entre la sécurité des enfants et leur droit de relever des défis à leur portée dans leurs jeux à l’extérieur. Ces messages devraient mettre de l’avant les avantages du jeu actif sur la santé à long terme des enfants et démontrer aux parents comment ces bienfaits l’emportent sur les risques de blessures mineures. Il importe enfin d’encourager ces derniers à adopter une approche dosée dans l’actualisation du jeu libre, actif et risqué, afin de ne pas soumettre l’enfant à une pression indue au nom de sa santé et de son développement.
La principale recommandation du rapport met l’accent sur l’implantation de programmes de pédagogie par la nature. Malgré leur popularité auprès des jeunes et de leur famille, ils tardent à être proposés au Québec. En plus d’avoir l’avantage d’intervenir tôt dans la vie des enfants, d’agir globalement sur leur santé et de stimuler leur créativité, les approches éducatives préconisées dans ces programmes favorisent la participation significative des parents. Ce type d’intervention est donc idéal pour un travail de fond sur les préoccupations parentales.
« On sait que l’influence familiale est déterminante sur le type de vie des enfants, dont le jeu, conclut Guylaine Chabot. C’est pourquoi il importe de connaître les préoccupations des parents face au jeu de leurs enfants à l’extérieur, afin de développer des interventions qui, au final, contribueront à perpétuer le jeu, le plaisir et les saines habitudes de vie dehors, dans les quartiers et dans la nature. »
Pour consulter le rapport complet