Voilà maintenant plus de deux ans que la pandémie est devenue notre principal sujet de préoccupation. Mais cette crise sanitaire trahit aussi l’état de santé précaire de la planète. Plus que jamais, il y a urgence d’agir pour se porter à son chevet. À ce chapitre, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans son sixième et plus récent rapport, ne laisse place à aucune interprétation: il est minuit moins une.
En 2020, à l’occasion de son 50e anniversaire, alors que près de la moitié de la population mondiale était placée en confinement, nous avons dû célébrer le Jour de la Terre, chacun chez soi, bien loin des grandes manifestations qui, l’année précédente, avaient mobilisé plus d’un milliard de personnes. Deux ans plus tard, malgré de nombreuses mesures sanitaires et des campagnes de vaccination, nous sommes de nouveau dans l’obligation de souligner modestement cet événement. L’organisation du Jour de la Terre, qui a choisi cette année l’écoanxiété comme thématique, nous enjoint d’ailleurs tout simplement de nous déclarer malade…
Or, justement, si l’on doit retenir une leçon de cette pandémie, qui dure et perdure, c’est bien que la santé de nos collectivités et la santé de notre planète demeurent étroitement tributaires l’une de l’autre. Tandis que la première vague venait de frapper nos sociétés, nous n’avions qu’une idée en tête : aplatir la courbe pour sortir au plus vite du confinement et reprendre une vie normale. Pourtant, c’est notre vie normale, et en apparence banale, qui a précipité cette catastrophe annoncée.
Depuis des décennies, les épidémiologistes tirent la sonnette d’alarme afin de nous prévenir de l’imminence d’une pandémie. Car toutes les conditions sont réunies pour que survienne ce genre de catastrophe sanitaire. Et la cause principale, c’est la destruction accélérée des écosystèmes, en particulier dans les zones tropicales. D’où la multiplication des contacts entre humains et animaux sauvages, et donc les chances pour un virus de se propager dans les populations humaines.
Destruction des environnements naturels = pandémie
Dès juin 2020, un rapport percutant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reprochait aux différents gouvernements d’avoir ignoré les multiples impacts du commerce illégal des animaux sauvages et de la dévastation des écosystèmes, en particulier forestiers. En résumé, la pandémie démontre que nos systèmes économiques sont incapables de prendre en compte le fait que la santé humaine est indissociable de la santé environnementale. Il est urgent de revoir nos pratiques en profondeur et, dès maintenant, investir massivement dans la protection de l’environnement.
Selon une étude, parue en juillet 2020, il était déjà possible de commencer à chiffrer les coûts de notre inaction en matière environnementale. En excluant bien sûr du bilan le nombre de victimes, la COVID-19 avait déjà coûté plus de 2,6 millions de milliards de dollars à l’économie mondiale. En contrepartie, cette même étude évaluait que des investissements de 30 milliards de dollars par année suffiraient à prévenir l’émergence d’un nouveau virus. Ce qui, admettons-le, paraît presque trop beau pour être vrai…
Le poids de notre assiette
Bien sûr, on peut reprocher aux gouvernements d’avoir sous-estimé la menace qui planait sur nos têtes. Ce qui explique, entre autres, que nous n’étions pas préparés à affronter cette inévitable pandémie, comme nous en prévenait, dès 2015, un certain Bill Gates. Or, chacun d’entre nous fait partie du problème, et donc de la solution. Une solution qui, en partie, se trouve au bout de notre fourchette.
En effet, personne n’ignore plus que l’agriculture exerce une pression sans cesse grandissante sur les écosystèmes naturels. Ce que l’on sait moins, c’est qu’environ 80 % des surfaces cultivables sont uniquement consacrées à l’alimentation des animaux d’élevage. Autrement dit, notre appétit pour la viande, notamment la viande bovine, se place au rang d’un des grands responsables de la perte de biodiversité, en plus de générer d'énormes quantités de gaz à effet de serre. Or, comble de gaspillage, toute cette viande, qui occupe une si grande place dans notre assiette, ne fournit que 18 % des calories et 37 % des protéines que nous ingérons !
Le gaspillage alimentaire
Le suspect numéro deux dans cette équation a pour nom : gaspillage alimentaire ! À supposer qu’il soit un pays, ce serait le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre. Car les aliments que l’on met à la poubelle ont exigé beaucoup de carburants fossiles pour les produire, et donc l’émission de grandes quantités de CO2. De plus, en se décomposant, ils vont produire d’importantes quantités de méthane, un puissant gaz à effet de serre.
En fait, s’attaquer au gaspillage alimentaire est susceptible de générer de nombreux bénéfices. On économise de l’argent. On émet moins de gaz carbonique et de méthane dans l’atmosphère. On diminue les quantités de matière enfouies. On contribue à la sécurité alimentaire. Et, si nous étions en mesure de consommer tout ce que nous achetons, l’impact se ferait sentir sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. À commencer par une production moins intensive, à des supermarchés stockant moins de nourriture, avec donc moins de camions en circulation et une chaîne de froid nécessitant moins d’appareils de réfrigération. Mais surtout, beaucoup moins d’animaux dans les parcs d’engraissement, et bien sûr moins d’acres de terres cultivables pour les nourrir.
L’organisation à but non lucratif Rare a analysé un vaste ensemble de stratégies que peuvent adopter les ménages pour lutter contre les changements climatiques. Par exemple, ils peuvent se convertir au recyclage, utiliser des ampoules DEL, conduire une voiture hybride et couvrir leur toiture de panneaux photovoltaïques. Or, dans ces conditions, la diminution de leur bilan de carbone serait deux fois moindre que s’ils mettaient tout simplement fin à leur gaspillage alimentaire. CQFD.
Santé environnementale et santé humaine
La production alimentaire représente environ un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour ainsi dire, il sera impossible de limiter le réchauffement climatique sans apporter des changements significatifs à nos manières de consommer la nourriture. Or, en même temps, les changements climatiques, qui entraîne la multiplication des événements météorologiques extrêmes, menacent déjà le système de production alimentaire mondial. La nécessité d’agir devient donc doublement urgente.
Avant même la COVID-19, il était devenu clair que notre alimentation est indissociable de la santé de la planète. L’OMS recommandait, en 2019, que les guides alimentaires tiennent compte, dans leurs recommandations, des impacts environnementaux de la production, la transformation et la distribution des aliments. Recommandations qui par la suite ont été réaffirmées dans le volumineux rapport EAT-Lancet ainsi que par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Les preuves ne sont plus à faire. Notre planète est malade, ce qui met en péril notre santé collective. Et, alors que la sortie de crise sanitaire liée à la COVID-19 semble se profiler à l’horizon, il sera crucial de résister à la tentation d’un « retour à la normale ». Car pour éviter la catastrophe climatique comme une prochaine pandémie, nous devrons impérativement modérer nos transports, réduire notre consommation et cesser surtout de piller et gaspiller les richesses naturelles de la Terre.
Publié le 20 avril 2021, modifié le 20 avril 2022