Qui n’a jamais joué à éviter les craques du trottoir ? N’y a jamais tracé un jeu de marelle ? L’imagination s’active sur nos trottoirs ! Le hic, c’est qu’ils sont souvent absents, en mauvais état ou perdus dans des environnements hostiles à la marche. Ils devraient pourtant constituer l’armature d’une ville marchable. Ces rubans de ciment sont des espaces où se met en scène le « ballet de la vie urbaine », tel que le formulait Jane Jacobs.
Les trottoirs, espaces de vie
Les trottoirs sont des corridors de déplacements piétons. Ils créent des espaces de rencontres, d’attente de l’autobus ou d’ombrage sous les arbres en arche. Ils guident les premiers pas vers l’école, ou servent de couloir à la course de dernière minute pour un litre de lait au dépanneur du coin. Ils offrent de l’espace aux bons vivants, attablés à la terrasse, ou aux amoureux sur les bancs publics, disait Brassens. C’est tout ça en même temps, un trottoir. C’est beau, c’est vivant, c’est humain.
Comment se fait-il alors que les trottoirs doivent réclamer le droit à l’existence ? Rappelez-vous le trottoir de la rue Brébeuf, à Montréal, où un 70 cm de largeur de béton a paru suffisant pour assurer des déplacements actifs, sécuritaires et de qualité… Nous avons tous vu des arrêts d’autobus sur des boulevards urbains sans aucun trottoir pour s’y rendre, ou encore un bâtiment dont la porte donne sur une marche infranchissable. Il existe encore des ensembles résidentiels qui se font sans trottoirs et des municipalités qui, l’hiver venu, ne déneigent les trottoirs que d’un seul côté de la rue.
Les trottoirs sont pourtant un maillon incontournable pour faire de nos municipalités des environnements favorables à la santé. Ils offrent des milieux sécuritaires aux déplacements actifs, en termes, par exemple, d’espaces ségrégués de la circulation automobile pour le piéton, de mesures d’apaisement réduisant le temps de traverse ou de refuges à la mi-traverse de larges intersections. La préoccupante augmentation du nombre de décès de piétons sur nos routes doit servir de signal d’alarme pour intensifier ces interventions.
Concevoir la ville active
Ici comme ailleurs, le design actif n’est pas étranger à ces enjeux. Tant l’Ordre des urbanistes du Québec que l'Ordre des architectes du Québec ont consacré un dossier complet sur le design actif, ce dernier plaidant au passage pour bannir les rues sans trottoirs. Plus encore, c’est la manière même de planifier les villes et les bâtiments qui doit dorénavant bénéficier des principes du design actif. L’idée est de concevoir les espaces de manière à offrir des solutions qui font bouger et qui rendent plus facile l’accès à des choix favorables à la santé. Car l’épidémie d’obésité et la tendance marquée à la sédentarité ont des répercussions majeures sur la santé des individus et des communautés, tant aux plans économique, social, environnemental. Au Québec, les coûts directs et indirects de l’obésité se chiffrent à 3 milliards $ par an !
La ville de New York a pris le taureau par les cornes. En créant le Center for Active Design, elle s’est dotée de principes pour l’aménagement d’espaces et la construction de bâtiments qui favorisent l’activité physique. Montréal avance aussi dans cette voie. Bien que forte de ses 6 677 km de trottoir, la connectivité demeure malgré tout, pour la Ville, un défi majeur dans le but d’accélérer l’adoption d’un mode de vie physiquement actif. À preuve, les revendications pour désenclaver les quartiers ceinturés par les voies ferrées. Et ailleurs, les municipalités québécoises multiplient elles aussi les initiatives favorables aux déplacements actifs et au partage de l’espace public. À ce titre, les trottoirs ne sont plus les seuls à réclamer le droit à l’existence ; rues partagées, rues conviviales, road diet » et placettes publiques veulent aussi contribuer à bâtir des villes actives.
Concevoir la ville active implique de s’attarder tant à la conception intérieure du bâtiment, qu’aux interactions entre le bâtiment, la rue et le quartier. Cela signifie également d’inclure les notions de mixité et de densité lors de la planification des milieux de vie. Un trottoir qui traverse une mer de voitures dans un stationnement de grande surface offre certes un espace aux piétons, mais est-ce réellement un environnement invitant pour le marcheur ? Une école primaire bâtie en périphérie d’un boulevard commercial encourage-t-elle les parents à prioriser la marche pour leurs enfants ?
Pour une ville à échelle humaine
Le design actif milite en ce sens pour une ville à échelle humaine qui se planifie d’abord et avant tout en fonction des caractéristiques de l’être humain, cet Homo sapiens qui n’a pas ou peu changé à travers les millénaires ! Un être humain qui marche à plus ou moins 5 km/h, d’une taille moyenne de 1,5 mètre, dont le champ de vision est de 72o, qui recherche les interactions sociales et qui appréhende son environnement par ses sens. C’est ce que nous offre le trottoir : un petit concentré de société sur un espace sécurisé qui permet d’accéder aux services de proximité et de rencontrer nos semblables, en plus de donner un gros coup de pouce à notre santé. Déroulons le tapis rouge en l’honneur des trottoirs !