L’organisme Vivre en Ville vient de lancer son guide Conception et mise en œuvre de rues apaisées - Outils pour concilier accessibilité, convivialité et sécurité sur les rues partagées et les rues étroites. Un guide plus pertinent que jamais !
Le 15 mars 2020, jour un du confinement, toutes les rues de la province sont devenues soudainement paisibles. Un peu comme si la pandémie avait plongé l’ensemble des Québécois dans un gigantesque projet pilote d’apaisement de la circulation. Puis, au bout de quelques semaines, avec l’arrivée du beau temps et la réouverture des commerces ayant pignon sur rue, il est vite apparu que les trottoirs étaient trop étroits pour que les piétons, toujours plus nombreux, puissent respecter les nouvelles consignes de distanciation physique.
D’autre part, les parcs, même ouverts, ne permettaient pas d’accueillir tous les citoyens à la recherche d’espace pour se dégourdir les jambes et prendre un bon bol d’air. Un air d’ailleurs qui n’avait jamais été plus pur depuis que les voitures avaient déserté les rues. Alors pour donner plus d’espace aux piétons et aux cyclistes, les municipalités ont commencé à multiplier les aménagements-éclairs et ainsi créer des rues partagées, à faible débit, familiales, actives, etc.
Un guide prémonitoire ?
Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, reconnaît que la sortie de leur guide semble être le fruit d’une bien étrange coïncidence, alors que la demande pour les rues apaisées n’a jamais été si forte. Or, effectivement, ce projet était déjà dans leurs cartons avant la pandémie. Et il ne pouvait pas mieux tomber.
« Le guide concerne surtout les rues locales qui, en principe, n’ont pas de fonction de transit pour des volumes importants de voitures, explique Christian Savard. Mais il peut aussi être utile dans le cas de certaines rues commerciales que l’on souhaite transformer en rues partagées. Autrement dit, des rues dans lesquelles peuvent cohabiter différents modes de transport sans l’habituelle ségrégation physique qui confine les piétons sur les trottoirs, les cyclistes sur les pistes cyclables et les véhicules motorisés sur la chaussée. Donc des rues aménagées pour que le piéton ait sa place partout, pas juste sur un petit bout de trottoir. »
Le principe à la base de ce guide, précise Christian Savard, c’est que la chaussée ne serve plus exclusivement aux voitures, mais à tout autre chose, comme jouer, se déplacer à pied ou à vélo ou même la traverser là où on souhaite, et pas seulement aux intersections.
L’effet COVID-19
« La pandémie nous a permis de constater que l’on pouvait vivre la rue autrement, estime Christian Savard. Elle nous a donné l’occasion de voir qu’il n’y a pas de raison pour qu’une rue locale soit configurée comme une infrastructure routière qui rende possible une circulation à 50 km/h. C’est une conception dépassée qui repose sur une logique automobile datée des années 1950, 1960. D’ailleurs, de plus en plus de municipalités limitent la vitesse à 30 km/h dans les rues locales. Pour moi, c’est la moindre des choses et on pourrait même l’abaisser à 20 km/h. Parce que, pourquoi circuler si vite quand on est presque arrivé chez nous ? »
Le problème, bien souvent, c’est que pour bon nombre d’automobilistes, les rues locales représentent en réalité des voies de transit. Ils n’habitent pas le quartier, mais ils les empruntent simplement pour contourner une artère collectrice qu’ils savent congestionnée à l’heure de pointe par exemple. À ce chapitre, Christian Savard applaudit l’initiative de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie qui a divisé son territoire en neuf super-îlots pour éliminer la circulation de transit dans les rues locales.
« L’élimination de la circulation de transit est un excellent moyen d’apaiser les rues locales. Cette mesure a d’ailleurs soulevé peu de polémique. En fait, l’adhésion est plus forte dans ce cas, parce que les gens qui habitent sur la rue profitent d’une amélioration nette de leur qualité de vie. Avec une rue apaisée devant chez eux, c’est comme si leur espace de vie s’agrandissait. Alors que dans le cas des artères c’est plus problématique, car elles sont largement utilisées par des gens qui n’y habitent pas. Donc, à la moindre mesure d’apaisement, on peut s’attendre à une levée de boucliers. »
La post-pandémie
En raison du confinement et des consignes de distanciation physique, de nombreuses mesures d’aménagement temporaires ou transitoires ont ainsi vu le jour un peu partout au Québec. Certaines ont connu du succès alors que d’autres n’auront été qu’un coup d’épée dans l’eau. Et c’est normal. L’urbanisme tactique consiste justement à créer des aménagements temporaires qui, par essais et erreurs, évoluent pour, le cas échéant, devenir permanents.
Et ce nouveau guide de Vivre en Ville offre justement aux municipalités tous les outils nécessaires pour rendre permanentes les meilleures mesures d’apaisement mises en place durant le confinement ou même en créer d’autres. Il propose d’ailleurs un large éventail d’interventions physiques qui correspondent aux différentes typologies de rues. Certaines interventions peuvent se faire rapidement, alors que d’autres doivent se projeter à plus long terme. Dans tous les cas de figure, il faut simplement une volonté ferme de maintenir le cap.
Or, on dit souvent : chassez le naturel et il revient au galop. Une fois la crise sanitaire apaisée, ne risque-t-on pas de retrouver avec des rues locales où les enfants ne peuvent plus jouer ? Christian Savard souhaite, pour sa part, demeurer optimiste. « Il y a 15 ans, explique-t-il, faire une rue à 30 km/h, c’était une mini-révolution. Aujourd’hui, c’est la norme. La prochaine étape, c’est de créer de véritables rues apaisées. Ce qui va demander, oui, des changements d’aménagement autant que de mentalité. Mais nous sommes rendus là. Les rues locales ne doivent plus être des voies de transit, mais devenir un espace social, un espace de vie, où accessoirement passent parfois des voitures. »
Alors, suivez le Guide…