À quel point l’utilisation des écrans par les enfants et les jeunes a-t-elle des effets néfastes sur leur santé ? Les risques sont-ils identiques pour chaque utilisateur ? S’agit-il de risques physiques, psychiques ou sociétaux ? Comment développer les compétences numériques des jeunes et de leurs parents ? Voilà les questions auxquelles le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) français tente de répondre dans son récent rapport sur l’exposition aux écrans.
À la suite d’une revue exhaustive des études scientifiques, le HCSP a fixé à 3 ans l’âge adéquat pour laisser un enfant seul devant un écran. Malgré cette différence d’un an par rapport à la recommandation de la Société canadienne de pédiatrie (SCP) publiée en 2017, sur le fond, la position des deux organismes est la même : le temps d’écran doit être limité en tout temps et les parents doivent montrer l’exemple, quel que soit l’âge de leur enfant. Toutefois, quelques points abordés dans l’avis et l’analyse du HCSP ont particulièrement attiré mon attention.
Des associations, mais pas de lien causal
Les recommandations du HCSP s’appuient sur les données scientifiques, mais, lorsque ces dernières font défaut, sur le principe de précaution. En effet, après avoir scruté 52 synthèses d’études, les auteurs soulignent que les informations actuelles sont insuffisantes pour établir un lien causal entre l’exposition aux écrans et des effets néfastes spécifiques. Toutefois, ils sont en mesure d’affirmer que :
- l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans comporte des risques de modification des comportements alimentaires, d’activité physique et de sommeil ;
- quel que soit l’effet ou le risque étudié, les études observent que plus le temps passé devant l’écran est élevé et plus le risque est élevé et/ou l’effet est important ;
- une augmentation significative du risque est observée dès deux heures d’exposition par jour pour certains paramètres tels que l’obésité, certaines composantes de la qualité de vie et pour les symptômes dépressifs ;
- l’effet néfaste des écrans sur le sommeil n’est plus à démontrer.
Sur ce dernier point, les recommandations du HCSP sont d’ailleurs plus restrictives que celles de la SCP : en plus de recommander d’éteindre tout écran 1 heure avant le coucher, l’organisme français y va d’une interdiction sans détour, mais qui me semble très difficile à appliquer : quel que soit l’âge de l’enfant et de l’adolescent, la présence d’écran(s) dans la chambre est à interdire.
L’impératif de l’accompagnement de l’enfant
Le libellé des deux premières recommandations/interdictions du HCSP souligne clairement qu’il ne faut pas laisser un tout-petit seul devant un écran :
- Avant l’âge de 3 ans, les écrans sont à proscrire si les conditions d’une interaction parentale ne sont pas réunies, et même dans ce cas, le temps d’utilisation doit être faible et délimité (limite de début et de fin).
- Avant l’âge de 3 ans, l’enfant ne doit pas être exposé à un écran, c’est-à-dire que l’enfant ne doit pas être installé devant un écran allumé servant de distraction.
Si le HCSP fait cette deuxième recommandation, c’est que des enquêtes révèlent que les enfants sont souvent exposés aux écrans à un très jeune âge, un point que relève également la SCP. Or, même si l’interactivité des écrans et de leurs contenus augmente sans cesse, elle ne peut en rien compenser l’interaction avec le parent, qui est essentielle au développement des tout-petits.
Un autre enjeu réside dans le niveau de compétence numérique des parents. Connaissent-ils bien les risques et les bénéfices potentiels des écrans ? L’analyse détaillée des données scientifiques faite par le HCSP mentionne qu’une enquête menée en Europe auprès de 57 familles laisse plutôt croire que les parents d’enfants de 4 à 7 ans sous-estiment les risques liés à une surexposition aux écrans.
L’impératif de l’accompagnement… des parents
Dans un monde où nous, les adultes, avons beaucoup de difficulté à réguler notre propre utilisation des écrans, le HCSP recommande aux autorités sanitaires de construire un plan national de formation au numérique destinée à tous les intervenants sociaux auprès des familles.
« Il est nécessaire d’apporter un réel soutien, sous toutes ses formes, aux parents afin qu’ils puissent exercer leur rôle d’accompagnement des enfants. »
L’objectif est de transmettre des compétences numériques aux enfants, mais les auteurs du rapport précisent que ce plan national devrait être accompagné de mesures de soutien aux habiletés parentales, afin que les parents soient capables de :
- Reconnaître les signes avant-coureurs d’un usage excessif et inapproprié des écrans chez les enfants et les adolescents.
- Savoir où trouver de l’aide en cas de besoin.
- Gérer les autorisations et les interdictions d’utilisation des écrans.
- Comprendre les risques des écrans sur la modification des comportements alimentaires, d’activité physique et de sommeil.
C’est un ambitieux programme, mais développer les habiletés parentales est fondamental, souligne le HCSP, car les déterminants principaux des effets néfastes des écrans sont le niveau de compétence numérique des parents et des enfants, le contexte socio-économique et le niveau d’éducation des familles. Il existe donc un risque d’aggravation des inégalités sociales de santé. Cet enjeu inquiète également la SCP : dans son récent avis concernant les enfants d’âge scolaire et les adolescents, on peut lire que « Dans l’ensemble, les élèves et les familles défavorisés sur le plan économique ou issus de minorités consomment beaucoup plus de médias. »
Avoir un objectif et… apprendre à perdre
Parmi les conseils de régulation de l’utilisation des écrans du HCSP, celui qui me semble le plus difficile à suivre, même pour les adultes, est le suivant : l’utilisation d’un écran doit avoir un objectif identifié, c’est-à-dire que l’enfant, ou l’adolescent doivent être capables de dire pourquoi il utilise un écran. Nous le savons tous trop bien : l’utilisation distractive des écrans joue un rôle majeur dans la surexposition !
L’un des conseils du HCPS a retenu mon attention. L’organisme recommande que les parents ou les « encadrants » apprennent aux jeunes friands de jeux en ligne à perdre. Pourquoi ? Parce que « la compétition stimulée par les jeux en ligne est plus associée à l’agressivité des adolescents que le contenu du jeu lui-même. »
« […] les enfants sont plus vulnérables aux conséquences sociocognitives négatives de l’utilisation de l’écran lorsqu’ils sont soumis à un environnement favorisant peu la création de liens sociaux, de résolution de problèmes et de développement personnel. »
Pendant les repas, c’est non
Tout comme dans le cas des écrans dans la chambre, le HCSP recommande une interdiction totale pendant les repas. Il considère que le risque de distraction peut amener les enfants, les adolescents et les parents à modifier inconsciemment leurs comportements alimentaires en mangeant plus et moins bien. Du côté de la SCP, la directive est un peu moins restrictive : on recommande de limiter l’utilisation des écrans pendant les activités quotidiennes de la famille, telles que les repas.
Forum d’experts à Québec
Le gouvernement du Québec a entamé en 2019 une démarche de consultation interministérielle qui mènera à l’élaboration d’un plan d’action gouvernemental visant à mieux encadrer l’utilisation des écrans. Dans le cadre de ce processus, un forum d’experts s’est tenu à Québec le 10 février. Ceux-ci ont fait part de leurs grandes inquiétudes au sujet des effets néfastes des écrans sur la santé des enfants et des adolescents, et conjurent les parents et les écoles d’appliquer le principe de précaution.
Une deuxième consultation aura lieu le 20 mars. Elle permettra à des représentants des secteurs de la santé, de l’éducation, de la recherche, du milieu de travail et du milieu communautaire d’échanger sur leurs préoccupations et de proposer des pistes de solution dans leurs domaines respectifs.
Est-ce que le plan d’action du Québec contiendra un programme de formation des intervenants sociaux auprès des familles et des mesures de soutien aux habiletés parentales, comme le recommande l’avis du HCSP ? C’est à suivre, mais en attendant, j’ai trouvé la lecture des recommandations de la SCP plus accessible et plus éclairante que celles du HCPS. De plus, elles ont le grand mérite d’avoir abordé l’enjeu des écrans en deux temps : l’avis publié en novembre 2017 concerne les jeunes enfants, celui publié en juin 2019 porte sur les enfants d’âge scolaire et les adolescents.
Sources :
Avis relatif aux effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans. Haut Conseil de la santé publique, janvier 2020.
Analyse des données scientifiques : effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans. Haut Conseil de la santé publique, janvier 2020.
Le temps d’écran et les jeunes enfants : promouvoir la santé et le développement dans un monde numérique. Société canadienne de pédiatrie, novembre 2017.
Les médias numériques : la promotion d’une saine utilisation des écrans chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents. Société canadienne de pédiatrie, juin 2019.
Consultations sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes. Ministère de la Santé et des Services sociaux, 13 décembre 2019.
La Presse, 10 février 2020