Vivre en Ville, en partenariat avec Piétons Québec, le Centre d’écologie urbaine de Montréal, et le Laboratoire Piéton et Espace urbain de l'INRS, organisait, le 25 octobre, une journée de réflexion sur la Vision Zéro. Un compte-rendu de 100º.
« La vie humaine n’a pas de prix et puisque les accidents de la circulation sont évitables, alors aucun d’entre eux n’est acceptable. »
Dans son mot d’introduction, Jeanne Robin, directrice adjointe de Vivre en Ville et co-porte-parole de Piéton Québec, a fait remarquer que le réseau d’autoroutes en Amérique du Nord a justement été conçu selon le principe de la Vision Zéro. C’est dire que ces infrastructures « pardonnent » en cas de perte de contrôle, tant que l’on respecte, bien sûr, des limites de vitesse prescrites. Ainsi, puisque les voies sont unidirectionnelles, impossible que se produise un face-à-face, assurément mortel à ces vitesses. Or, la Vision Zéro consiste justement à élargir ce principe à l’ensemble du réseau routier, ainsi qu'à tous ses usagers, en particulier les plus vulnérables d’entre eux.
De la Suède au Québec
Il revenait à la première conférencière, Daphné Dethier[1], de définir les grands principes de la Vision Zéro, selon laquelle « zéro blessé » devient la seule cible raisonnable. Ou alors, a-t-elle précisé, on se trouve placé devant le dilemme suivant : quel est le nombre acceptable de décès, pourtant évitables, dans une année ? Or, pour atteindre cette cible, il faut tenir compte de la « faillibilité humaine ». Et puisque les erreurs sont inévitables, les environnements où elles risquent se produire ne doivent donc pas conduire à un dénouement fatal. En ce sens, le fardeau de la responsabilité doit être partagé entre tous : des concepteurs jusqu’aux usagers. Ce qui implique d’adopter une « approche système », c'est-à-dire collaborative, lors de la planification des infrastructures, de leur conception et de leur construction jusqu’au suivi de leur utilisation.
Ce nouveau paradigme, a souligné Daphné Dethier, qui nous vient de la Suède, exige un changement de mentalité. En soi, il s'agit ni plus ni moins d'une révolution. Or, si les principes de la Vison Zéro sont appliqué depuis 20 ans sur l’ensemble du territoire suédois, au Québec, pour le moment, leur application repose uniquement sur la volonté des municipalités.
Mise en application et défis de la vision Vision Zéro
Tour à tour, les conférenciers se sont succédé afin de brosser un portrait de la situation tant au Québec, en Suède qu’au Canada.
Mélanie Dubé[2] a souligné que la Société d’Assurance Automobile du Québec, dans la foulée de la révision du Code de la sécurité routière, a tout récemment mené des consultations publiques qui montrent que les Québécois se préoccupent tout particulièrement de la sécurité des usagers les plus vulnérables de la route. Toutefois, fait-elle remarquer, le concept de Vision Zéro semble encore peu connu du grand public.
Revenant sur le cas de la Suède, Louis Bernier-Héroux[3] a insisté sur le fait que ce pays, bien qu’il affiche un des meilleurs bilans dans le monde, ne baisse jamais la garde. Les autorités, qui sont d’ailleurs imputables au chapitre de l’atteinte des objectifs Vision Zéro, exercent un suivi serré des indicateurs. Et tout récemment, des voyants rouges se sont justement allumés, puisque certains des progrès enregistrés ont commencé à plafonner. Les Suédois s'affairent donc à en comprendre les causes afin d’y remédier et poursuivre leur route vers l'atteinte de la Vision Zéro.
Alexandra Kelly[4], de son côté, a présenté quelques-unes des meilleures mises en application de la Vision Zéro dans le reste du Canada. Citons d’abord Edmonton, la première ville au pays à l’avoir adoptée. Ensuite Toronto, qui a entre autres innové grâce à une synergie administrative permettant la mise en commun d’enveloppes budgétaires provenant de différents services. Et la Colombie-Britannique, qui est devenue la première province à déployer la Vision Zéro sur l’ensemble de son territoire. En guise de conclusion, Alexandra Kelly a précisé que les clés du succès, en matière de Vision Zéro reposent sur la consultation, la prise en compte de la faillibilité humaine, la compréhension de l’environnement, l'accumulation et l’utilisation des données, le recours aux nouvelles technologies et la mise en application des meilleures pratiques développées ailleurs dans le monde.
« Conduire à 60 km/h dans une zone de 50, c’est l’équivalent de prendre le volant avec un taux d’alcoolémie de 0,08. Et au-delà de 60, c’est comme conduire en état d’ébriété. » Tony Churchil
Pour compléter ce palmarès canadien, Tony Churchill[5] a décrit les démarches prises par la ville de Calgary pour développer, dès 2013, un plan de mobilité sécuritaire. Essentiellement, à partir de l’analyse des données de collisions montrant que les piétons et les cyclistes étaient surreprésentés, la Ville a identifié 5 secteurs problématiques dans le but de mettre en place des stratégies d’intervention. Tony Churchill a notamment insisté sur l’importance de mobiliser l’ensemble des acteurs et de bien communiquer les objectifs de la Vision Zéro afin de faciliter son adoption par tous les usagers de la route, surtout ceux qui se voient forcés de modifier leurs habitudes.
Changements de paradigme
Un panel, animé par différents intervenants, a ensuite été l’occasion de mesurer les progrès réalisés dans les villes de Montréal, Laval, et Victoriaville.
Nancy Badeau[6] a ainsi expliqué que, dès 2008, Montréal s’était dotée d’un plan de transport axé sur une vision zéro accident qui devait se déployer sur un horizon de 10 ans. Malgré certains progrès, les résultats ont montré que des efforts supplémentaires étaient nécessaires. Finalement, en septembre 2016, la Ville adoptait officiellement l'approche de la Vision Zéro.
Dans la foulée, a fait remarqué Nancy Badeau, la Ville a entre autres mené des consultations, lancé des campagnes de sensibilisation, adopté des mesures de diminutions de la vitesse, recensé les intersections accidentogènes et déposé un plan-cadre vélo. Il est maintenant temps, a-t-elle martelé, d’expliquer à la population que 185 accidents mortels par année, c’est 185 accidents de trop!
Laval, de son côté, n’a peut être pas officiellement adopté la Vision Zéron, mais la Ville est bien déterminée à corriger la situation, a insisté Jean-Sébastien Audet[7]. Surtout que, avec son réseau routier très imperméable, Laval ne compte que 0,7 % de déplacements à vélo et environ 6 % de déplacement à pieds, alors que 40 % des accidents graves et mortels impliquent piétons et cyclistes ! C’est pourquoi la Ville s’est dotée d’un plan d’intervention de sécurité routière, et notamment d’un plan directeur du réseau cyclable. À ce chapitre, précise Jean-Sébastien Audet, le réseau artériel a été principalement ciblé. Cette année, 10 km de pistes cyclables protégées et unidirectionnelles ont été aménagés. Et la Ville s’engage à ajouter 20 km supplémentaires par année.
Sa collègue, à la ville de Laval, Hélène Lévesque[8], a de son côté brossé un portrait des infrastructures piétonnes et des engagements pris par la municipalité pour favoriser la marche et l’accessibilité universelle. Si beaucoup de travail reste à accomplir, les priorités sont déjà assez bien définies, notamment en ce qui concerne le premier et le dernier kilomètre. De plus, a-t-elle ajouté, la Ville vient de se doter d’un guide de gabarits de rues qui met désormais l’accent sur le transport actif et l’accessibilité universelle.
Sans avoir adopté la Vision Zéro, Victoriaville n’en applique pas moins cette approche dans ses projets de réfections ou d’aménagements, a soutenu Jean-François Morissette[9]. Il a cité en exemple les travaux de revitalisation du centre-ville dont les aménagements visaient la création d'un environnement 30 km/h. Un pari réussi puisque dans cette zone, où la signalisation limite encore la vitesse à 50 km/h, les gens roulent désormais à moins de 30! Et la Ville n’entend pas en rester là. Elle va poursuivre ses efforts en vue de changer les mentalités et les comportements dans un esprit de collaboration et non de confrontation, a tenu à rappeler Jean-François Morissette.
Le mot de la fin
Il revenait à Félix Gravel[10] la tâche de conclure ce forum. Celui-ci a d’emblée rappelé l’importance de tenir un discours rassembleur. Il s’est réjoui de la tendance qui se dessine à travers le pays, de cette prise de conscience à l’égard de la sécurité des déplacements. Toutefois, au-delà des bonnes intentions, il a tenu à rappeler que le milieu urbain doit prioriser la vie humaine plutôt que la vitesse automobile.
Afin de résoudre les nombreux problèmes auxquels nous sommes encore confrontés, Félix Gravel a insisté sur l’importance d'adopter des processus plus intégrateurs, mieux concertés afin d’impliquer les usagers pour qu’ils fassent partie des solutions autant que les élus. En outre, il a affirmé que le premier responsable des accidents, c'est l'aménagement. Et que la rue, si elle est bien conçue, peut sauver des vies! Autrement dit, on ne doit plus se demander qui est responsable, mais « ce qui » est responsable! Une autre clé en matière de sécurité, a-t-il souligné, c’est le transport collectif dans lequel il faut massivement investir. Il est crucial, rappelle Félix Gravel, de mettre en place des mesures de réduction à la source des déplacements en voitures, notamment de l’auto solo.
Pour terminer son plaidoyer, Felix Gravel a tenu à énumérer les cobénéfices qu’entraînent le transport actif et la protection des plus vulnérables : on diminue les émissions de gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique, on améliore la santé publique et, ce qui n’a pas de prix, on sauve plus de vies!
[1] Daphné Dethier, ing., urb.-stag., M.Sc., Planification & Conseils, Transports, WSP
[2] Mélanie Dubé, Aménagiste, Direction générale de la sécurité en transport, ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports
[3] Louis Bernier-Héroux, Conseiller en transport
[4] Alexandra Kelly, MSc, CPC, Directrice, Vision Zero Advocate Institute
[5] Tony Churchill, ing., Chef des opérations de sécurité routière, Ville de Calgary
[6] Nancy Badeau, ing. M. Sc. A., Ingénieure chef d’équipe, Direction des transports,
Service des infrastructures, de la voirie et des transports, Ville de Montréal
[7] Jean-Sébastien Audet, ing., M.Sc.A., Ingénieur - circulation et transport,
Service de l’ingénierie, Ville de Laval
[8] Hélène Lévesque, ing., M.Ing., Ingénieure - circulation et transport, Service de l’ingénierie, Ville de Laval
[9] Jean-François Morissette, Directeur, Service de la gestion du territoire, Victoriaville
[10] Félix Gravel, Co-porte-parole, Piétons Québec