Le jeu libre se fait de plus en plus rare dans les espaces publics de nos villes, malgré ses bienfaits reconnus sur le bien-être des enfants. Voilà le constat fait à l’occasion de la conférence « Jeu libre en ville » organisée par le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM), la Coalition québécoise sur la problématique du poids et Montréal physiquement active, le 21 novembre dernier. Pour contrer cette problématique, des projets émergent au Québec afin de redonner aux enfants des milieux de vie où ils peuvent s’amuser librement.
Le jeu libre dans la rue, c’est dessiner à la craie sur l’asphalte, s’amuser avec des roches et des branches, scruter des insectes, jouer au ballon-chasseur, à la tague, au hockey, faire une bataille de boules de neige ou de la trottinette, juste pour le plaisir, seul ou à plusieurs, mais surtout sans encadrement, sans consigne, sans but spécifique. Ces jeux, aussi naturels soient-ils chez les enfants, se sont pourtant raréfiés dans les rues et ils sont même interdits dans certaines villes. La réduction de l’espace de jeu est d’ailleurs éloquente : d’un périmètre de 10 km en 1919, le jeu libre d’un enfant de 8 ans couvre actuellement à peine 300 mètres selon Katherine Frohlich, professeure en médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
Voiture reine et parents plus craintifs
En cause : des villes où l’automobile et ses infrastructures prédominent au détriment d’aménagements de milieux de vie à échelle humaine, sécuritaires et accessibles aux enfants. Et si les parcs et terrains de jeu contribuent à l’activité physique, ils permettent rarement aux enfants de s‘y rendre sans la supervision d’un adulte. On constate d’ailleurs que la notion du risque s’est élargie au fil des décennies : la peur accrue d’un accident ou d’un enlèvement pousse les parents à réduire la mobilité indépendante de leurs enfants, dans un contexte où ils cherchent par ailleurs à encadrer davantage leurs activités. Résultat : les enfants deviennent moins actifs et donc plus sédentaires.
De nombreux impacts positifs pour l’enfant et la communauté
« La place que donnent les villes au jeu libre est directement en lien avec la santé des enfants et des jeunes, leur bien-être psychologique et celui de la population », nous explique Katherine Frohlich. Outre ses bienfaits sur la condition physique et la santé, le jeu libre « offre à l’enfant des opportunités de prendre des décisions indépendantes, d’apprendre, d’évaluer les risques, de résoudre des problèmes, d’avoir des interactions sociales sans l’intervention d’adultes, de pouvoir être créatif. » L’aménagement d’un milieu de vie pour le jeu libre répond également au besoin des parents de pouvoir laisser leurs enfants jouer dans un lieu sécuritaire, tout en offrant un lieu de rencontre prisé des adolescents. Plus globalement, il permet d’améliorer la cohésion sociale, d’apaiser la circulation automobile, voire d’encourager la mobilité active dans un quartier.
Alors, comment redonner des espaces publics aux enfants?
Qu’il s’agisse d’aménager une ruelle, un cul-de-sac, un terre-plein ou de fermer une rue résidentielle partiellement ou non, « il faut revoir le paradigme de l’espace en ville, et cela revient souvent à l’attribution de la place de l’automobile » explique Mikael St -Pierre, chargé de projet et de développement au CEUM, en entrevue téléphonique, à la suite de la conférence. L’objectif est de réfléchir à l’aménagement de l’environnement physique et la façon d’assurer la mobilité indépendante et sécuritaire des enfants. Une démarche que facilite l’amendement de la loi 122 qui permet aux municipalités, sous certaines conditions, d’autoriser le jeu libre dans la rue sans contrevenir au code de la sécurité routière.
Pionnière au Québec, la ville de Belœil encadre le jeu libre sur la voie publique depuis 2016 à travers son projet « Dans ma rue, on joue! », un modèle peu coûteux que d‘autres villes comme Sainte-Thérèse, Granby ou Saint-Bruno ont déjà reproduit sur leur territoire. Mais si la volonté des municipalités demeure un prérequis, la consultation des résidents est également essentielle à la réussite d’un tel projet. La réalisation de l’île aux volcans, première place publique pour enfants dans l’arrondissement Rosemont Petite-Patrie à Montréal, en est un excellent exemple : « La consultation citoyenne a permis aux différentes parties prenantes impliquées d’avoir leur mot à dire et d’intégrer la volonté des enfants et des jeunes dans la prise de décision », précise Mikael St -Pierre. Depuis son inauguration à l’automne 2019, L’île aux volcans continue à faire l’objet de consultations auprès des usagers en vue de bonifier et d’aménager cette place de manière permanente, à l’issue d’une période d’expérimentation de trois ans.
Tester les bonnes idées
Directrice de la Coalition Poids, Corinne Voyer recommande d’ailleurs d’opter pour une approche expérimentale, sous forme de projet pilote par exemple, pour faciliter les changements de paradigme et atténuer les résistances de certains citoyens. En ce sens, des projets pilotes seront prochainement menés à Montréal et ailleurs au Canada, dans le cadre de l’étude « Changer les règles du jeu » sous la direction de Katherine Frohlich. L’expérience portera notamment sur un nouveau modèle de jeu libre en ville : la fermeture à la circulation d’une rue d’école pour une certaine période de temps, avant et après les cours, pour créer un espace où les enfants peuvent bouger librement.
Alors que plusieurs modèles d’aménagement commencent à voir le jour sur les espaces publics favorables au jeu libre, le Québec, comme le reste du Canada, est actuellement en plein apprentissage en la matière. Et s’il reste encore à faire beaucoup,une chose est certaine : « Jouer est essentiel pour le bien-être physique, cognitif, émotif et social des enfants [selon la Convention internationale des droits de l'enfant]; c’est le droit de tout enfant » rappelle Katherine Frohlich.
Note : la Coalition québécoise sur la problématique du poids met à la disposition des municipalités un modèle de résolution en ligne pour les aider à revoir leurs règlements afin d’ouvrir leur espace public au jeu libre.
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