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Au Canada, plus de la moitié des calories consommées par les enfants proviennent d’aliments ultra-transformés. Cette tendance soulève des inquiétudes pour leur santé. Les diagnostics précoces de diabète de type 2 ou de maladies du cœur en sont des signes alarmants. Derrière cette consommation massive se profile un acteur redoutablement efficace : le marketing numérique des géants de l’industrie alimentaire. Pourquoi les enfants y sont-ils autant exposés ?
Quand je me suis jointe à l’équipe du Collectif Vital en 2021, le premier dossier dans lequel je me suis plongée portait sur la publicité alimentaire destinée aux enfants. J’ai découvert la Loi sur la protection du consommateur (LPC), qui fait du Québec un pionnier mondial en interdisant toute pratique commerciale visant les enfants de moins de 13 ans. Une loi avant-gardiste, dont nous pouvons être collectivement fiers.
Cela dit, au fil des années, nos travaux ont montré à quel point l’industrie alimentaire sait très bien contourner la LPC. En misant sur les exemptions prévues dans la loi, elle parvient, encore et toujours, à influencer les goûts, les préférences et les comportements alimentaires des enfants.
La Commission Lancet de l’OMS et de l’UNICEF est sans équivoque : « le marketing commercial des produits nocifs pour les enfants représente l’un des risques les plus sous-estimés pour leur santé et leur bien-être ». La majorité des aliments et boissons promus auprès des enfants sont riches en sucre, sodium et gras saturés, bien loin des recommandations en matière de saine alimentation. Et, arrivés à l’adolescence, les jeunes demeurent un public de choix à fidéliser pour l’industrie alimentaire.
[i] Clark H et al. A future for the world’s children? A WHO–UNICEF–Lancet Commission. The Lancet. 22 févr 2020;395(10224):605‑58.
Le pouvoir du marketing d’influence
Depuis l’adoption de la LPC en 1980, les pratiques ont radicalement changé. L’essor du marketing numérique offre des occasions en or pour cibler les jeunes de manière plus efficace, tout en suscitant un fort engagement de leur part. L’un des outils privilégiés pour les rejoindre repose sur le marketing d’influence. Pensons aux athlètes commandités par des marques de boissons sucrées ou énergisantes. Symboles d’excellence et de santé, leur image confère un halo santé à des produits pourtant nocifs. Difficile, pour les jeunes, de faire la part des choses entre le contenu publicitaire et celui qui est authentique, surtout lorsque la publicité se camoufle dans les publications de leurs influenceurs et influenceuses qu’ils suivent avec assiduité.
Difficile d’aborder la question du marketing alimentaire sans parler des écrans de manière plus générale. Ils occupent une place centrale dans la vie quotidienne des jeunes, parfois au détriment de leur bien-être. Chez les jeunes, l’utilisation des écrans constitue un comportement sédentaire courant. Au Canada, le tiers des jeunes âgés de 15 à 19 ans rapporte avoir fait moins d’activité physique en raison de l’utilisation des réseaux sociaux. Et c’est sans compter les tendances inquiétantes, comme le SkinnyTok, qui banalise des méthodes dangereuses pour se conformer aux idéaux de minceur irréalistes.
Les réseaux sociaux changent la donne
Les jeunes évoluent dans un univers numérique saturé de publicités qui les ciblent directement. Au Canada, les enfants et les adolescents sont exposés respectivement à environ 1 500 et 9 000 publicités alimentaires par an sur les réseaux sociaux et les sites web.
Vous me direz peut-être : « Et la LPC, dans tout ça ? ». Le problème, c’est que sa portée dans l’univers numérique demeure encore floue à certains égards. En théorie, il faut minimalement être âgé de 13 ans pour se créer un compte sur les réseaux. Dans la pratique, près de quatre enfants sur dix au Québec possèdent déjà un compte sur les réseaux sociaux. Ensuite, après 13 ans, la protection disparaît. Or, les adolescents demeurent vulnérables à ces messages : l’influence des pairs, la quête d’identité et la forte utilisation des plateformes amplifient l’impact du marketing ciblé. La question se pose donc : comment mieux protéger les jeunes en ligne ?
Une mobilisation à poursuivre
Au printemps dernier, la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes a émis plusieurs recommandations, notamment les suivantes :
- Mettre à jour le guide d’application de la LPC pour s’adapter l’ère des réseaux sociaux
- Mieux encadrer le marketing d’influence
- Outiller les jeunes pour développer leur esprit critique face au marketing en ligne
- Classifier les mécaniques inappropriées aux mineurs en ligne, notamment les flux continus et le défilement infini
Ces recommandations de la Commission nous montrent la voie à suivre afin de réfléchir ensemble à la place que nous voulons accorder aux écrans dans la vie des générations futures. En attendant qu’elles voient le jour, chacun et chacune d’entre nous peut contribuer à créer des milieux de vie où les enfants sont à l’abri de la publicité alimentaire qui les cible. Alors, si vous voyez une publicité numérique qui semble enfreindre la loi, n’hésitez pas à nous en faire part en remplissant notre formulaire.
On doit agir dès maintenant si on ne veut pas manquer le bateau. Parce que, au fond, c’est à nous toutes et tous de bâtir une société qui soutient le bien-être et la santé des jeunes en ligne et hors ligne.