Le Québec aurait tout intérêt à se doter d’un Code de la rue, estime Jean-François Bruneau, auteur principal d’un volumineux rapport1 déposé à la demande du Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports. Entrevue et compte-rendu du rapport.
« Le Code de la rue est une démarche appelant la courtoisie et une meilleure connaissance des règles de circulation. Mais ce n’est pas tout. Il est issu d’une volonté de redonner aux citoyens l’espace qu’ils ont perdu ou concédé à l’automobile, tout en sécurisant le milieu de vie des citadins. »
Deux idées de force ressortent des propos de Jean-François Bruneau2, conseiller en sécurité routière, lorsqu’il décrit le Code de la rue : principe de prudence et aménagement. « Au terme de notre rapport, explique-t-il, nous avons pu montrer que, à la base, le Code de la rue (CDLR) est double. D’une part, le CDLR exige une série de modifications légales afin d’accroître la sécurité des plus vulnérables, en vertu du principe de prudence. D’autre part, il propose toute une panoplie d’aménagements qui, selon les situations, sont conçus pour influencer les comportements, réduire la vitesse pratiquée et, conséquemment, améliorer les bilans routiers. »
Code de la sécurité routière ou Code de la rue ?
« À l’heure actuelle, souligne Jean-François Bruneau, le Code de la sécurité routière (CSR) sert à gérer des routes, des règles de circulation et des véhicules. Avec le CDLR, on met non seulement l’accent sur l’individu dans le véhicule, mais d’abord et avant tout sur celui qui se trouve hors du véhicule. Le CDLR, c’est donc concevoir l’espace urbain en tant que milieu de vie et pas seulement comme un espace de circulation. Et surtout, le Code offre aux villes, peu importe la taille, un canevas pour repenser leurs environnements. »
Vision Zéro
Le CDLR, aux yeux de Jean-François Bruneau, représente l’un des éléments clés pour l’atteinte des objectifs de la Vision Zéro. « Vous savez, fait-il remarquer, en ville, ce sont les piétons et les cyclistes qui meurent. C’est à ce chapitre que l’on peut faire le plus de gains. Il est donc impératif, selon moi, d’avoir une vision qui soit d’abord axée sur les aménagements. Sur une vision cohérente et qui se traduit par des règlements et des aménagements conséquents. Il est par exemple regrettable que, à Montréal, le long des grandes artères, les pistes cyclables soient bidirectionnelles, alors qu’elles devraient, en vertu des meilleures pratiques, être unidirectionnelles et aménagées de chaque côté de la chaussée pour minimiser les zones de conflits. »
Un répertoire complet
L’une des grandes forces de ce rapport est de documenter l’ensemble des meilleures pratiques en matière d’aménagement, lesquelles nous viennent en majeure partie de l’Europe, et d’en évaluer l’applicabilité dans nos propres milieux. Le rapport détaille, entre autres, les zones 30 km/h, les Woonerfs, les zones de rencontre, les espaces partagés, les intersections surélevées, les giratoires, les chicanes, les avancées de trottoirs, les îlots déviatoires pour vélos, les refuges centraux ou encore les Kernfahrbahn (ou chaussée centrale banalisée).
« Bien plus encore que la signalisation, c’est l’aménagement qui détermine le comportement des conducteurs automobiles. »
Jean-François Bruneau
Qu’il s’agisse de chaussées, de trottoirs, d’intersections, de signalisations, de pistes cyclables, de passerelles séparées, ce rapport offre un lexique complet des différentes interventions pouvant être mises en place dans les espaces urbains pour assurer la sécurité des plus vulnérables.
Acceptabilité
En plus de recenser les différentes politiques et pratiques en usage, ici comme ailleurs dans le monde, ce rapport a aussi permis de recueillir les commentaires d’experts et de représentants du grand public réunis à l’occasion de 18 forums tenus dans 14 municipalités du Québec. On découvre, entre autres, que s’ils étaient décideurs, 93 % des répondants experts et 84 % du grand public seraient enclins à réduire l’espace de la chaussée en faveur de trottoirs et de voies cyclables. Par ailleurs, les experts (de 88 à 94 %) et le grand public (93 %) appuient l’incorporation du principe de prudence3 au Code de la sécurité routière.
Recommandations
En plus de soumettre 25 recommandations majeures, le rapport de Jean-François Bruneau propose que le Code de la rue soit déployé à l’échelle de la province. Et, en conséquence, que le Code de la sécurité routière intègre une définition « inclusive » du piéton, ainsi qu’un encadrement des zones 30, des zones à priorité piétonne et qu’il introduise la notion de priorité piétonne absolue et relative, en légalisant le « jaywalking4 ». D’autre part, dans son préambule, le CSR devrait, en vertu du principe de prudence, réaffirmer la préséance des personnes à mobilité réduite et des usagers vulnérables. Bref, le CSR, dans sa refonte, devrait rééquilibrer les priorités entre « fluidité véhiculaire » et « sécurité des plus vulnérables ».
1 Évaluation du potentiel d’application d’une démarche « Code de la rue » pour le Québec et identification des enjeux et stratégies liés à sa mise en œuvre. Projet R 703.1. 21 novembre 2016, par Jean-François Bruneau, M. Sc. et Pr Catherine Morency, Ing., Ph. D.
2 Jean-François Bruneau est géographe, conseiller en sécurité routière et doctorant en génie civil à l’École Polytechnique de Montréal.
3 En France, en Belgique et en Suisse, le principe de prudence stipule que : « le conducteur doit, à tout moment, adopter un comportement prudent et respectueux envers les autres usagers des voies ouvertes à la circulation. Il doit notamment faire preuve d’une prudence accrue à l’égard des usagers les plus vulnérables. »
4 Délit mineur qui consiste à traverser une rue en dehors des passages piétons.