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La malbouffe a-t-elle sa place en pharmacie?

La malbouffe a-t-elle sa place en pharmacie?

La vente de malbouffe dans l’espace commercial de la pharmacie est-elle incompatible avec l’exercice de la profession de pharmacien? Deux avocates ont présenté leurs réflexions préliminaires à ce sujet au cours d’un séminaire organisé par le Réseau de recherche en santé des populations du Québec.

Mélanie Bourassa-Forcier et Marie-Ève Couture  Ménard

« Nous avons choisi de nous pencher sur ce paradoxe, car il est très peu abordé dans la littérature scientifique et les médias », a souligné Mélanie Bourassa Forcier, professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, qui œuvre notamment en droit pharmaceutique*.

Elle a toutefois précisé d’emblée qu’actuellement, aucune province canadienne n’interdit la vente d’aliments malsains en pharmacie. La situation est la même aux États-Unis, et, en Europe, le Danemark et l'Autriche ont des règlements qui limitent la vente de produits non pharmaceutiques en pharmacie.

Incompatibilité et conflits d’intérêts?

« Plusieurs articles des lois et règlements qui encadrent le travail des pharmaciens au Québec soulèvent des questions », a mentionné Marie-Ève Couture Ménard, professeure adjointe à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, qui possède une expertise en droit et gouvernance de la santé publique.

Selon les conférencières, on peut se demander si la vente d’aliments malsains est compatible avec les devoirs qui sont mentionnés dans le Code de déontologie des pharmaciens, notamment dans les articles suivants :

  • « Le pharmacien [doit] utiliser ses connaissances professionnelles pour protéger et promouvoir la santé du public (…) ».
  • « Le pharmacien doit prévenir toute situation où il serait en conflit d’intérêts, notamment lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il pourrait être porté à préférer certains d’entre eux à ceux de son patient ou que son intégrité et sa loyauté envers celui-ci pourraient être affectées ».

Pharmacien ET commerçant

Or, ont précisé les avocates, au moins une partie des profits des ventes de malbouffe revient au pharmacien, ce qui soulève une question éthique importante: le fait de faire des profits sur la vente de produits malsains dans l’espace commercial adjacent à leur officine place-t-il les pharmaciens en conflit d’intérêts?

De plus, comme l’ont indiqué les conférencières, le pharmacien reste un professionnel de la santé, même lorsqu’il exerce une activité commerciale. « Il n’est pas pharmacien ou commerçant. Il est l’un et l’autre », a décidé la Cour supérieure du Québec en 1998.

Un projet à suivre

En vertu de ces informations, le commerçant-pharmacien peut-il faire l’objet d’une plainte disciplinaire à cet égard? Peut-on imaginer que l‘interdiction de vendre des aliments pourrait s‘appuyer sur le même type d‘arguments que ceux qui ont mené à l‘interdiction de la vente des produits du tabac dans les pharmacies?

Les professeures ont indiqué ne pas avoir les réponses à ces questions pour le moment, car leur projet en est à ses débuts.

Une invitation à passer à l'action

Bien que ce sujet soit peu abordé, les conférencières ont tout de même repéré un éditorial paru en 2014 dans la Revue des pharmaciens du Canada. Les auteurs invitaient les pharmaciens à se poser des questions sur leur rôle en matière de santé publique et concluaient sur ces mots : « Les pharmaciens et les pharmacies devraient examiner la rentabilité associée à la vente d’aliments mauvais pour la santé en regard des coûts occasionnés par le mauvais état de santé de la population. […]  Il n’est pas trop tard pour prendre des mesures en vue de ralentir l’augmentation de l’incidence de l’obésité et des maladies chroniques et de s’assurer que nos enfants auront une espérance de vie égale à celle de leurs parents. N’est-ce pas là l’expression ultime des soins axés sur le patient? Sommes-nous prêts à agir? »

* Les deux conférencières travaillent sur un projet d’un an financé par la Fondation du Barreau du Québec intitulé « Le paradoxe de la malbouffe en pharmacie : le difficile équilibre entre les politiques commerciales des bannières de pharmacie et les responsabilités professionnelles du pharmacien ».

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