Depuis février 2016, les patients du CHU Sainte-Justine peuvent commander leurs repas à la carte de 6 h 30 à 19 h. Le taux de satisfaction a bondi, le coût-repas a plongé et, grâce à l’équipe dirigée par Josée Lavoie, il y a de plus en plus d’aliments locaux dans les assiettes. Rencontre avec l’inspirante chef des services d'alimentation à l'hôpital de Sainte-Justine.
Josée Lavoie œuvre au CHU Sainte-Justine à Montréal depuis 2009. Sous sa gouverne, tout un travail d’analyse a commencé en 2012, afin d’améliorer le service d'alimentation à l'hôpital. En 2016, Sainte-Justine est devenu le premier hôpital du Québec à servir aux chambres en continu des repas concoctés dans la cuisine de l’établissement. Depuis l’hiver 2017, elle fait partie des 25 innovateurs qui participent au programme Nourrir la Santé financé par la Fondation McConnell.
100º – D’où vient l’idée du service aux chambres ?
Josée Lavoie. Dans le cadre du projet de modernisation et d’agrandissement de l’hôpital, des rénovations majeures de la cuisine étaient prévues. Tout en planifiant cette transition, le service de diététique s’est penché sur la question du faible taux de satisfaction de la clientèle face au service d'alimentation à l'hôpital. Nous avions réussi à le faire augmenter de 50 à 60 % entre 2009 et 2011, mais il y avait encore du pain sur la planche ! Entre 2012 et 2013, nous avons mené une analyse approfondie des différents modes de service en milieu pédiatrique et visité plusieurs hôpitaux canadiens. Les données recueillies indiquaient clairement que le service aux chambres faisait augmenter le taux de satisfaction et diminuer le gaspillage.
Comment l’administration de l’hôpital a-t-elle accueilli votre proposition ?
Très bien, mais ce n’est pas une décision qui a été prise à la légère, car le dossier sur le service d'alimentation à l'hôpital, que nous avons présenté à plusieurs comités ainsi qu’au conseil d’administration du CHU, était très étoffé. Deux arguments ont eu du poids. Le premier : le service ne coûterait pas plus cher et génèrerait même des économies. Le second est d’un autre ordre : permettre à un enfant malade de sélectionner les ingrédients de sa pizza, et à une maman hospitalisée de choisir entre des pâtes, un sauté ou une salade, c’est leur donner un contrôle sur ce qu’ils mangent. C’est un principe très important de Délipapilles, notre service aux chambres à la carte, mis en œuvre en 2016.
« Tout est fait dans notre cuisine, de la vinaigrette, aux muffins, en passant par les sauces pour les pâtes, les smoothies et les sautés de poulet ou de tofu. »
Avez-vous réussi à maintenir les coûts ?
Mieux que ça : nous économisons 200 000 $ par année, sur un budget de 4,5 millions $ ! C’est énorme. Nous produisons 15 % moins de plateaux qu’avant, grâce aux commandes personnalisées, car nous répondons de façon précise aux besoins des patients plutôt que de faire une distribution automatique. Il n’y a plus de repas qui sont retournés intacts à la cuisine, parce qu’Olivier devait être à jeun pour un examen. Et si Mathilde, qui recommence tout juste à manger, commande juste une soupe de légumes parce qu’elle a faim en dehors des heures de repas, c’est exactement ça qu’elle va avoir. Or, cette soupe coûte moins cher qu’un plat de poulet et surtout beaucoup moins cher qu’un plat de poulet gaspillé !
Vous avez aussi repris la gestion de la cafétéria, des aires de restauration et des distributrices de l’hôpital
Oui, c’est un rêve que M. Fabrice Brunet, notre président directeur général portait depuis longtemps. Il était donc prévu de ne pas renouveler le contrat du concessionnaire en 2016, mais, à cause d’un retard dans la mise en place du service Délipapilles, nous avons géré les deux changements en 2016, à quatre mois d’intervalle. Si notre coût-repas est passé de 8 $ à 5,97 $ c’est en partie grâce à l’efficience accrue entraînée par la gestion de l’ensemble de l’offre alimentaire de l’hôpital. Cette année charnière, nos cuisiniers s’en souviendront longtemps !
« Les employés qui assurent la distribution des repas aux chambres marchent beaucoup plus qu’avant, puisqu’ils livrent maintenant en continu. Certains se sont procuré un podomètre pour compter leurs nombreux pas ! »
Avez-vous fait des changements dans les machines distributrices ?
Oui, mais après avoir déclenché un tollé au sein du personnel en retirant d’un coup toutes les boissons sucrées, nous avons opté pour des changements plus graduels, dans l'offre d'alimentation à l'hôpital. Actuellement, par exemple, toutes les croustilles proposées sont cuites au four, le chocolat est noir et il n’y a plus de bonbons ni de produits contenant des édulcorants.
« Certains nous disent que la canette de boisson sucrée est chère ici : oui, à 2 $ elle est chère, mais justement, notre but n’est pas de la vendre ! »
Il reste des boissons sucrées dans les machines distributrices, mais nous en avons réduit les formats et augmenté leur prix à 2 $. Est-ce qu’un jour nous allons les retirer ? Oui ça fait partie de notre plan, mais ce n’est pas pour demain. En attendant, nous cherchons à influencer les achats, par exemple en dirigeant la clientèle qui attend à l’urgence vers des machines 100 % santé.
Comment le programme Nourrir la santé s’est-il inséré dans votre plan de match ?
La Fondation McConnell m’a contactée dans un premier temps pour en savoir plus sur la mise en place et le fonctionnement du service Délipapilles. J’ai ensuite présenté ma candidature pour participer à ce programme national étalé sur deux ans. Après un processus de sélection très serré, j’ai le privilège de faire partie d’une communauté de pratique composée de 25 innovateurs qui repensent l’alimentation dans les soins de santé en fonction de trois facteurs : la nourriture comme stratégie de santé pour les patients et le personnel, mais aussi comme facteur de vitalité économique et de développement durable.
« Si le but ultime est une population prospère et en santé, comment pouvons-nous amener le système officiel de la santé à appuyer un meilleur système alimentaire ? » Nourrir la santé, mars 2018
Ce sont des questions complexes, surtout à l’échelle d’un pays
En effet, mais elles ne sont pas insolubles surtout quand on les aborde à plusieurs ! L’objectif est d’élaborer des stratégies, des pratiques et des politiques qui pourront être utilisées ou adaptées par l’ensemble des intervenants du système de santé canadien.
« Ce n’est qu’en impliquant tous ceux qui jouent un rôle dans le système alimentaire, des agriculteurs aux décideurs, que nous pourrons créer un avenir où l’alimentation sera bonne pour à la fois pour la planète et les humains. » Nourrir la santé
Je fais partie du comité qui travaille sur un guide de menus durables dans lequel tous les aliments seront classés en fonction leur empreinte écologique. On entend beaucoup parler des protéines animales et végétales, mais il y a aussi des différences entre les légumes de champ et de serre, ainsi qu'entre les produits congelés et en conserve, par exemple. Ce qui est important, c’est de fournir une information qui va permettre à chaque décideur de faire des choix éclairés en fonction du contexte dans lequel il travaille.
Comment faites-vous pour savoir d’où viennent les aliments que vous achetez ?
C’est tout un processus et l’équipe de gestion le relève le défi avec rigueur. Nous nous sommes dotés d’une grille d’analyse fine de notre approvisionnement afin de codifier le contenu québécois de chacun des produits que nous achetons par l’intermédiaire du regroupement d’achats régional des établissements de santé. À l’été 2017, à l’exclusion des fruits et légumes frais, nous avons constaté que 17 % des aliments achetés par l’hôpital étaient produits au Québec, 23 % préparés au Québec et 5 % emballés au Québec. C’était donc notre année 0.
Avez-vous réussi à augmenter votre approvisionnement local ?
Oui, mais nous ne savons pas encore dans quelle proportion, car l’analyse 2018 est en cours : nous aurons les données de l'année 1 à la fin du mois d'août. Tous les œufs que nous achetons sont maintenant produits au Québec, ainsi que le miel en vrac que nous utilisons en cuisine. Nous avons aussi trouvé un fournisseur de jus de pommes et de cocktail de canneberges, ainsi que du maïs soufflé du Québec pour les machines distributrices. Nous avons remplacé le sirop de table par du sirop d’érable dans les aires de restauration et, si les analyses bactériologiques sont satisfaisantes, il sera inclus dans le service aux chambres. Nous faisons une gestion très serrée des risques d’infection. Voilà pourquoi le miel non pasteurisé que nous achetons a lui aussi passé des tests avant d’être intégré à nos recettes.
Quel a été le coût de ces changements au service d'alimentation à l'hôpital?
Nous avons dépensé en tout 6500 $ de plus en un an, ce qui est minime. Acheter du miel du Québec plutôt que du miel de Chine nous a même coûté légèrement moins cher ! C’est le passage du sirop de table au sirop d’érable qui a coûté le plus cher, soit une différence de 3200 $.
Et là, vous venez de recevoir vos premières livraisons de légumes locaux ET biologiques
Oui, grâce à une collaboration avec Équiterre nous faisons cet été directement affaire avec trois fermes du Québec, qui vont nous fournir 17 légumes et fines herbes différents. Nous avons fait appel à Équiterre, car nous avions besoin d’aide pour trouver des producteurs locaux de fruits et légumes en mesure de répondre à nos besoins, mais aussi pour mettre en place un volet éducation et sensibilisation auprès du personnel, des visiteurs et des patients. Ce projet a obtenu un financement de 50 000 $, octroyé à parts égales par le MAPAQ et la Fondation du CHU.
« Il est essentiel de se questionner sur les coûts réels des aliments. Le goût, l’innocuité, la valeur nutritive ont un prix, mais il faut aussi évaluer les coûts sociaux et environnementaux en lien avec la main d’œuvre, les équipements de production et la gestion des matières résiduelles. » Nourrir la santé
Avez-vous d’autres projets ?
Toujours ! Une fête des récoltes, organisée par Équiterre, aura lieu ici cet automne, et nous travaillons sur la meilleure façon de mettre en valeur les produits locaux dans les menus. Je voudrais qu’il y ait plus que de la ciboulette sur le toit vert de l’hôpital et aussi des ruches, pour enrichir davantage les services d'alimentation à l'hôpital.
Je rêve d'évaluer l’impact des aliments servis à Sainte-Justine sur la santé nutritionnelle des patients. Équiterre songe à faire un sondage auprès du personnel pour mesurer si la sensibilisation aura ou non un effet sur leurs habitudes alimentaires et culinaires. Vous savez, le programme Nourrir la santé vise à transformer la culture alimentaire dans le secteur des soins de santé, mais aussi la norme sociale. Changer le monde une assiette à la fois, c’est ce que nous faisons chaque jour dans les cuisines de Sainte-Justine !
Photos légumes et cultures : Coop de Solidarité des Jardins du Pied de Céleri
Photo ruche sur toit : Ouest-France
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Visionnez la conférence de Murielle Vrins, de l'organisme Équiterre : « Du bio local à l’école, à la garderie et dans nos hôpitaux ! »