Avant même que le cannabis soit légalisé, déjà une quarantaine d’administrations municipales ont annoncé qu’elles interdiraient sa consommation partout sur leur territoire. Or, si la plupart des quelque 1100 municipalités du Québec préfèrent attendre, d’autres ont décidé d’appliquer la nouvelle loi sans restriction supplémentaire. C’est le cas, entre autres, de Gatineau et de Sainte-Thérèse. Explications.
Dès février 2018, le conseil municipal de la Ville de Gatineau confiait à la Commission Gatineau, Ville en santé, le mandat de piloter une démarche de réflexion sur la Loi 157 entourant la légalisation du cannabis et ses impacts possibles sur la santé des citoyens. La commission a rapidement mis sur pied un comité-conseil afin d’analyser ces enjeux et soumettre des recommandations à la Ville.
« L’objectif du comité-conseil, explique Renée Amyot, conseillère municipale et présidente de la Commission Gatineau, Ville en santé, était d’examiner la situation sous les angles de la santé publique, de la sécurité publique, de l’acceptabilité sociale et de l’équité. Et il nous est vite apparu que, du point de vue de la santé publique, si on interdisait la consommation de cannabis partout sur notre territoire, cela revenait à forcer les gens à fumer uniquement chez eux, ce qui a un impact sur la santé de leurs proches. Par contre, quand on fume à l’air libre, la fumée secondaire ne pose pratiquement plus de problèmes. »
Et c’est justement ce que craignent les directions de santé publique. En confinant les consommateurs dans les lieux privés fermés, cela accroît les risques pour la santé des enfants et des personnes vulnérables. À cet égard, Renée Amyot rappelle que c’est aussi une question d’équité. « Ce sont surtout les jeunes et les plus démunis qui vivent en appartement. S’il est interdit de fumer du cannabis à l’extérieur, et que les propriétaires de logements l’interdisent aussi à leurs locataires, alors on se retrouve devant une situation d’exclusion. Autrement dit, ça devient une légalisation prohibée. »
Équité et santé
À Sainte-Thérèse, les élus en sont venus aux mêmes conclusions. « Nous avons choisi d’adopter les recommandations de la Loi, soutient la conseillère municipale Johane Michaud, tant pour des raisons de santé publique que d’équité. Autrement dit, là où il est interdit de fumer le tabac, on ne fume pas non plus de cannabis. La seule différence avec les dispositions de la Loi 157, c’est que nous avons profité de l’occasion pour étendre l’interdiction de fumer, le tabac tout comme le cannabis, dans nos parcs et nos espaces verts. »
Johane Michaud, qui est aussi infirmière clinicienne au CISSS des Laurentides, raconte que les membres du conseil municipal ont accepté de mettre leurs préjugés de côté pour adopter une démarche objective. « Nous sommes même remontés aux sources afin de bien comprendre les objectifs poursuivis par le législateur. Dans les faits, la légalisation n’est pas une incitation à consommer. C’est plutôt une forme d’encadrement destinée à mieux contrôler les risques associés à la consommation. »
« Actuellement, les Québécois sont exposés à des informations souvent erronées ou, à tout le moins, contradictoires, issues tant des opposants à la légalisation que des groupes qui en font une promotion active. Ils ne sont pas bien informés sur les effets de la consommation de cannabis ni sur les différentes raisons qui ont amené le gouvernement fédéral à légaliser cette substance à des fins non médicales. » Forum d’experts sur l’encadrement du cannabis au Québec
Acceptabilité sociale
Selon un sondage commandé par la Ville de Gatineau, la majorité des gens interrogés étaient d’avis qu’il vaudrait mieux confiner les consommateurs à leur domicile. Malgré tout, la Ville a choisi d’opter pour l’encadrement proposé par la Loi 157 sans restriction supplémentaire. « Il faut savoir, précise Renée Amyot, que les consultations publiques ont fait ressortir de nombreux mythes et une grande méconnaissance à l’endroit du cannabis. Mais quand on explique aux gens que dans les États américains où le cannabis a été légalisé, la consommation, après avoir légèrement augmenté la première année, est revenue par la suite à son taux antérieur, alors ils voient les choses autrement. Car, très souvent, ils ne savent pas que, à la suite de la légalisation, les gens fument beaucoup moins, préférant se tourner vers d’autres modes de consommation moins nocifs pour la santé. »
« Il faut se rendre à l’évidence, ajoute Renée Amyot, les consommateurs de cannabis existent déjà. Ce n’est pas parce que le produit est en vente libre que le nombre d’usagers va subitement exploser. C’est certain qu’au début il y a des gens qui vont l’essayer. Mais l’essayer, ce n’est pas l’adopter. »
De son côté, Johane Michaud reconnaît que la marche est haute. « Il faut se mettre à la place des citoyens. C’est certain qu’un produit prohibé qui devient tout à coup légal, ça peut causer un certain vertige. Moi, si on m’avait dit, il y a une dizaine d’années, qu’on allait permettre la vente du cannabis et son utilisation dans les lieux publics, je n’y aurais pas cru. Mais à la lumière de toutes les informations dont on dispose aujourd’hui, on comprend mieux en quoi c’est une sage mesure de santé publique. »
En matière d’acceptabilité sociale, René Amyot tient d’ailleurs à rappeler que dans l’État de Washington et du Colorado, les taux étaient les mêmes qu’à Gatineau ou dans le reste du Canada. « Ils n’ont pas attendu que la norme sociale change pour agir. Pourquoi ? Parce que la légalisation du cannabis repose sur une approche de réduction des méfaits et du marché noir, tout en permettant de contrôler la qualité du produit. »
Sensibilisation
Bien sûr, le cannabis n’est pas inoffensif, avertit Johane Michaud. « Il s’agit d’une substance psychotrope. C’est certain ! Mais sans vouloir en minimiser les impacts, il me semble qu’il n’est pas cohérent de l’interdire dans la rue ou sur les trottoirs alors que l’on tolère la cigarette qui, elle, tue 7 millions de personnes à travers le monde chaque année et qui réduit l’espérance de vie de 10 ans. À mon sens, l’interdiction totale de consommer du cannabis ne repose sur aucun fondement scientifique. »
Cela dit, tout le monde entend demeurer vigilant. Par exemple, la Ville de Gatineau s’est dotée d’indicateurs de suivis afin de documenter la situation durant la prochaine année. Et, en fonction des résultats, la Ville pourra ou non modifier son approche. D’autre part, l’administration municipale a mis en place un plan de communication, de sensibilisation et de prévention avec le concours de la santé publique. Car, ne l’oublions pas, légaliser ce n’est pas banaliser.
Lieux interdits
La Loi 157, qui encadre le cannabis, entrera en vigueur le 17 octobre 2018. Elle prévoit l’interdiction de fumer ou de vapoter du cannabis sous les mêmes conditions que la Loi concernant la lutte contre le tabagisme. À cela s’ajoute une interdiction pour les lieux suivants : les terrains des établissements de santé et de services sociaux, les terrains des établissements collégiaux et universitaires, les pistes cyclables et les aires d’attentes de transport en commun.