Les géants de l’agroalimentaire, forts de leur malbouffe mondialisée, éprouvent le plus grand désir d’assouvir notre appétit planétaire. Et de générer d’énormes profits. Profits qu’ils peuvent même doubler ! Car l’épidémie d’obésité représente pour eux une formidable occasion d’affaires ! Explications…
Imaginons une compagnie de boissons gazeuses, ou une chaîne de restaurants-minute dont la vente des produits contribue à l’épidémie mondiale d’obésité. Ce qui n’est évidemment pas sans conséquence, car, on le sait, l’obésité accroît les risques de maladies chroniques. Mais, ce sont des maladies pour lesquelles, et ça tombe bien, des médicaments peuvent en atténuer certains symptômes. Et c’est sans oublier le volet chirurgical : grand consommateur de matériel médical. Ni non plus, l’éternelle industrie des régimes amaigrissants…
Voilà qui plante le décor et présente les acteurs. Après quoi, il suffit d’un « créatif » de la mise en marché pour rédiger le synopsis de la pièce. Traduction libre.
Forces du marché :
- L’augmentation de l’obésité dans la population fait croître le marché.
- La multiplication du nombre de chirurgies bariatriques fait croître le marché.
- L’incidence accrue des maladies non transmissibles est susceptible de faire croître le marché.
- L’expansion de l’industrie de la malbouffe est le moteur de croissance de ce marché.
Cette magistrale analyse provient d’une étude de marché portant sur le domaine des régimes amaigrissants et du contrôle de l’obésité, Weight loss and obesity management market. Un domaine pour lequel les auteurs du rapport prédisent de beaux jours. D’autant plus que les géants de la malbouffe sont en position unique de faire coup double : d’abord, par la vente de leurs produits obésogènes, et ensuite, en prenant place sur le marché des régimes amaigrissants et du contrôle de l’obésité.
Cette diversification de leur porte-folio devient d’autant plus pertinente que, dans les pays développés, les ventes de malbouffe ont tendance à stagner. Or, le secteur des régimes amaigrissants et du contrôle de l’obésité est encore largement fragmenté et donc propice aux acquisitions par les géants de l’agroalimentaire. Ce faisant, ces derniers s’assurent d’engranger de généreux profits puisque c’est justement la malbouffe dont ils inondent le monde qui alimente leurs nouveaux actifs.
Candeur ou cynisme ?
Ce qui surprend le plus, dans cette analyse décomplexée, c’est justement sa franchise. Car l’industrie elle-même ne nous a pas habitués à une telle transparence. Au contraire, depuis plus d’un demi-siècle, elle a tenté, par tous les moyens, de brouiller les cartes afin de cacher le fait, par exemple, que la surconsommation de sucres libres contribue à l’obésité et entraîne de nombreuses maladies non transmissibles.
En fait l’industrie du sucre en a elle-même découvert les effets nocifs sans jamais les faire connaître. En 1968, la Sugar Research Foundation, aujourd’hui connue sous le nom de Sugar Association, avait financé une recherche, menée sur des animaux de laboratoire, afin de connaître les liens entre la consommation de sucre et la santé du cœur. Or, lorsque cette recherche a commencé à mettre en évidence les mécanismes par lesquels le sucre pouvait entraîner des maladies cardiaques, l’industrie a interrompu les travaux et n’en a jamais publié les résultats.
Contrôle du message
En plus de cacher certains faits, l’industrie s’est affairée à en maquiller d’autres. Dès les années 1960, elle a commencé à financer des études qui tendaient à démontrer l’innocuité de la consommation de sucre. Encore récemment, des documents obtenus grâce au Freedom of Information, l’équivalent de notre loi d’accès à l’information, révèlent que le groupe de recherche Global Energy Balance Network (GEBN), fondé en 2014 par Coca-Cola, et dissous en 2015, était considéré, selon les termes utilisés par la compagnie, comme une « arme » de plus dans la « guerre toujours plus intense entre la santé publique et l’industrie privée ».
En plus de financer des groupes de recherche de complaisance, l’industrie a aussi su se montrer implacable à l’égard des lanceurs d’alerte. À ce chapitre, le cas de John Yudkin, un professeur de nutrition au Royaume-Uni mérite d’être cité. En 1972, il signait le livre « Pure, White, and Deadly », ce qui allait entraîner sa disgrâce. Car, pour avoir osé prétendre que le sucre, et non le gras, causait la prise de poids, entre autres effets délétères, et qu’il était donc l’ennemi de la santé publique, John Yudkin a vu sa réputation être complètement détruite.
Le tabac 2.0
On a déjà dit que le sucre était le nouveau tabac, ce qui n’est pas si loin de la réalité. Une étude a mis au jour des documents révélant que, dès le début des années soixante, un important cigarettier avait fait l’acquisition d’une compagnie de boissons sucrées. Immédiatement, les méthodes de mise en marché déjà utilisées pour inciter les jeunes à fumer ont été employées pour faire la promotion de leurs boissons sucrées auprès de cette même clientèle, avec force mascottes, emballages colorés, campagnes de publicité, etc.
Si certaines des marques de boissons sucrées acquises par les cigarettiers sont retournées dans le giron de l’industrie agroalimentaire, les techniques de marketing ciblant les enfants, elles, sont demeurées bien présentes. Mieux, ou pire, c’est selon, elles n’ont cessé d’évoluer pour passer du petit écran aux écrans multiples des réseaux sociaux. Si bien que trois quarts des jeunes Canadiens sont exposés à de la publicité alimentaire au quotidien. En moyenne, les enfants qui sont adeptes des médias sociaux voient 111 pubs de malbouffe par semaine, soit 5 772 incitations à consommer des aliments trop riches en gras, sel et sucre par année.
De leur côté, les ados ne sont pas en reste puisqu’on estime, aux États-Unis, que 70 % des 13 à 17 ans interagissent avec des marques de breuvages et de produits alimentaires présents sur les réseaux sociaux et que, dans 93 % des cas, il s’agit de malbouffe. Et l’industrie a bien appris à tirer son épingle du jeu, car la plus grande partie du travail de diffusion des messages est assurée par les jeunes eux-mêmes qui les partagent dans leurs groupes d’amis ! Donc, pour un investissement minimal, l’impact est maximal. Quelle aubaine pour ces géants de l’alimentation !
David contre Goliath
Dans cette guerre qui oppose la santé publique à l’industrie privée, la lutte ne se fait pas à armes égales. Et tandis que l’industrie privatise les profits, c’est à l’État que revient le fardeau d’assumer les dépenses en santé liées à l’épidémie d’obésité. Seulement au Canada, ces coûts annuels s’élèvent 5,1 milliards de dollars. Malgré tout, les décideurs demeurent frileux à l’idée de réglementer le marché de la malbouffe, souvent par peur d’être perçu comme un « gouvernemaman ».
Par contre, ailleurs dans le monde, on voit certains États serrer la vis à l’industrie, par exemple, en réglementant strictement le marketing alimentaire ciblant les enfants, comme cela se fait au Chili. Un pays que l’Institut national de santé publique du Québec cite justement en exemple dans son rapport sur L’efficacité des stratégies de réglementation de la publicité et de la promotion alimentaires.
Plus récemment, au Royaume-Uni, où une taxe sur les boissons sucrées est déjà en vigueur depuis 2016, le gouvernement dévoilait en juillet dernier son plan d’action contre l’obésité qui limite, entre autres, le marketing alimentaire. Et au Mexique, on jongle même avec l’idée d’interdire la vente de malbouffe aux moins de 18 ans !
Gardons donc espoir. Et parions que, à terme, les géants de l’agroalimentaire vont finir par s’amender, ne serait-ce que pour des raisons de logique économique. Car leur modèle d’affaires n’est plus soutenable par nos sociétés. À preuve, les assureurs vie s’inquiètent fortement, car ils anticipent une explosion des primes à cause du diabète. Et quand les assureurs se préparent au pire, c’est dire que la menace est imminente.
Voilà un signe qui ne trompe pas. Il est maintenant temps de sonner la fin du repas.
Objectifs non lucratifs ?
La mondialisation de la malbouffe est loin d’être une vue de l’esprit. Car, en réalité, son emprise est tentaculaire. Un exemple, et retenez bien son nom : International Life Science Institute (ILSI). Cet organisme à but non lucratif, basé à Washington, compte 18 branches à travers le monde. Bien que l’ILSI soit largement financé par les géants de l’agroalimentaire, il a toujours clamé son indépendance et sa rigueur scientifique en dépit du fait qu’on le soupçonne depuis longtemps de verser dans la pseudoscience.
De fait, des chercheurs ont pu dépouiller quelque 17 000 courriels échangés entre des universitaires et des hauts dirigeants de cet OBNL pour établir que l’ILSI sert plutôt de façade à l’industrie de manière à infléchir les politiques en santé publique afin qu’elles ne nuisent pas à ses intérêts économiques. L’étude dévoile même les stratégies envisagées par l’ILSI afin de pousser l’Organisation mondiale de la santé à changer sa position sur les sucres ajoutés. Un chausson avec ça ?