Un des moments forts du premier grand rassemblement 100º, Créer l’impact, réunissait sur la même scène quatre entrepreneurs sociaux qui se sont prêtés au jeu des questions pour expliquer les sources de leur engagement ainsi que les raisons de leur motivation.
Intitulé « Pour créer l’impact : osez entreprendre le changement » ce panel, animé par Marie-Claude Perron, était composé de : Jean-François Archambault, directeur général et fondateur de La Tablée des chefs; Véronique Carbonneau, directrice philanthropique à l’école Lucien-Guilbault; Claudine Labelle, présidente fondatrice de Fillactive; Jean-Philippe Vermette, directeur conseiller stratégique au Marché Frontenac. À tour de rôle ou par groupe de deux, ils ont répondu aux questions de l’animatrice et du public. Voici quelques morceaux choisis de ces fascinantes confidences publiques…
Marie-Claude Perron : Quel a été l’élément déclencheur de votre besoin de changement ?
Claudine Labelle : Faire du coaching auprès des enfants défavorisés a été un révélateur. J’ai réalisé que le sport, au-delà des performances, des résultats, devenait un élément de changement pour ces jeunes-là, qui s’accrochaient à quelque chose. Qui gagnaient de la discipline et de la motivation. Et ce sont ces jeunes-là qui m’ont allumée, qui m’ont donné la flamme dont j’avais besoin pour me lancer.
Jean-Philippe Vermette : Comme beaucoup de personnes de ma génération, j’étais soucieux de l’environnement. Mais je cherchais des enjeux concrets qui touchent les gens dans leur quotidien. C’est là que l’agriculture urbaine est devenue pour moi un incontournable. Au départ, je suis vite devenu un expert, parce qu’il y avait comme un vide dans le domaine. Mais ce n’est plus le cas. Dix ans plus tard, on entend tellement l’expression que ça m’étonne qu’on n’ait pas de ministre de l’Agriculture urbaine.
Marie-Claude Perron : Nommez une qualité qui selon vous est utile pour être un entrepreneur ou un bon intrapreneur ?
Jean-François Archambault : L’empathie et l’ambition. L’empathie parce qu’elle nous pousse à nous préoccuper d’un enjeu qui nous touche profondément. Et l’ambition pour passer à l’action et réussir ce que l’on entreprend. Ces deux éléments bien dosés font avancer bien des choses.
Véronique Carbonneau : En plus de l’empathie, je crois que ça prend de la persévérance pour faire avancer nos idées. Il faut aussi que tu sois un fin renard. Que tu sois rusé et stratégique. Car tu dois connaître aussi bien les acteurs que les enjeux pour trouver une réponse adéquate à chaque situation.
Marie-Claude Perron : Qu’est-ce que votre travail, vos projets vous apprennent sur vous-même ?
Claudine Labelle : J’ai découvert une force et une résilience que je ne me connaissais pas. J’ai appris à me battre, mais surtout à m’entourer des bonnes personnes. Pour créer un mouvement qui nous dépasse, on doit pouvoir compter sur des gens extraordinaires. C’est ensemble, en se retroussant les manches, que l’on va réussir.
Véronique Carbonneau : L’enjeu principal pour moi a été de trouver le bon rythme. On ne peut pas toujours sauver le monde ou sauver tous les enfants. Et quand on travaille avec différentes équipes, différentes personnes, il faut trouver un juste équilibre, le bon dosage d’efforts. Et même si ce n’est pas parfait, mais que tu vois l’impact sur les enfants, c’est tellement gratifiant. Ça vaut tout l’or au monde.
Marie-Claude Perron : Comment on provoque le changement ?
Jean-Philippe Vermette : Le défi, c’est de répondre à un besoin social. D’identifier les contraintes d’un problème difficile à résoudre. De comprendre les mécanismes qui nous empêchent de résoudre des enjeux comme la sécurité alimentaire par exemple. Il faut éviter de se lancer trop vite dans la solution pour d’abord s’assurer qu’il n’y a pas quelqu’un quelque part qui a déjà trouvé la solution. Peut-être que le premier pas, c’est de reculer.
Jean-François Archambault : Tout à fait d’accord. Si on ne fait pas ce diagnostic-là, on peut avancer très vite, mais on n’arrive nulle part. Il faut demeurer concret, près des gens que l’on souhaite aider. Et il faut être convaincant. Et pour ça, il faut s’imprégner de la problématique pour bien l’exprimer aux acteurs de changement, que ce soient des bénévoles, des décideurs ou des bailleurs de fonds.
Question du public : Vous devez sûrement éprouver des doutes. Comment faites-vous pour les surmonter ?
Claudine Labelle : Les doutes persistent, peu importe où on en est rendu dans notre parcours. Même quand on récolte des succès, on continue à douter. Et je pense que c’est excessivement sain. Je vous dirais même que les doutes m’ont fait connaître des phases de croissance, parce que le doute m’a toujours stimulée. D’ailleurs, si tu ne doutes pas, tu seras incapable de te poser les bonnes questions pour progresser.
Véronique Carbonneau : C’est sûr qu’au début d’un projet on se pose plein de questions. On éprouve un peu le syndrome de l’imposteur. Puis avec le temps, quand on peut mieux mesurer les résultats obtenus, les doutes s’estompent. Mais il faut quand même conserver une petite part de doute, sinon on risque de tenir le succès pour acquis.
Question du public : Quels sont les principaux obstacles que vous devez affronter ?
Claudine Labelle : Les organismes qui créent des programmes cherchent naturellement l’atteinte d’un taux élevé de participation. Car cela donne de la visibilité, de la notoriété, et attire les commanditaires : des éléments essentiels pour assurer la pérennité d’un organisme. Mais il faut aussi viser la pérennité du mouvement pour lequel on œuvre. Si on ne fait créer que des programmes, puis qu’on s’en retire, il n’y aura pas de changement. Avec Fillactive, on est rendu là : à la croisée des chemins. C’est maintenant le temps pour nous d’adopter une approche systémique. On doit travailler au niveau des politiques, des environnements... Et c’est un double défi : accroître notre masse critique tout en poussant pour des changements systémiques.
Jean-François Archambault : Dans le cas des Brigades Culinaires, nous sommes dans 125 écoles secondaires au Québec. On rejoint 3 000 jeunes inscrits dans le programme, chaque semaine. Mais quand je regarde les chiffres, je vois qu’il y a au total 80 000 élèves dans ces 125 écoles. Alors, pour moi, ces 3 000 jeunes-là doivent devenir des ambassadeurs de l’alimentation et de l’autonomie alimentaire auprès des autres jeunes de leur école. Et ça, c’est la prochaine étape pour nous.
Question du public : Comment avez-vous trouvé de l’aide pour fonder votre organisme ?
Jean-Philippe Vermette : Dans notre quartier, il existait un organisme communautaire un peu vétuste, mais avec un financement de base du gouvernement québécois. Alors, nous avons réinvesti cette structure désuète qui avait besoin de vitalité et d’être aimée. Des fois, avant de créer un nouvel organisme, il faut voir s’il n’en existe pas déjà un qui répond, du moins en partie, aux enjeux que l’on cherche à résoudre… Aussi, au lieu de créer son propre programme, on peut s’inspirer d’un programme qui existe déjà. Des solutions, il en existe aux quatre coins du Québec. Établir des partenariats, des fois, c’est un peu plus long, mais ça vaut la peine. On peut très bien adapter des formules déjà éprouvées au lieu de passer deux ans à financer nos propres outils pédagogiques, alors qu’ils existent déjà ailleurs.
Marie-Claude Perron : Quel est le rôle que doit jouer le gouvernement ?
Jean-Philippe Vermette : Moi, j’aimerais que les engagements soient plus longs que 4 ans. Je pense que, au Québec, on doit se doter d’une vision. Là, on a la politique bioalimentaire qui nous projette jusqu’en 2025, mais est-ce qu’il serait possible de se projeter plus loin ? J’ai envie qu’on se donne une vision qu’on est capables d’atteindre. Une vision juste assez floue pour qu’on ait de la marge de manœuvre, mais assez concrète pour pouvoir se projeter collectivement.
Marie-Claude Perron : Jean-François, vous êtes impliqué dans de nombreuses organisations. Est-ce un levier pour faire progresser votre cause ?
Je suis effectivement dans plusieurs organisations, mais tout est lié. Ce que je leur apporte et, en retour, ce que j’en retire, fait avancer la cause. Comme Claudine le disait, on peut s’impliquer de plusieurs manières pour créer le changement. Et je suis rendu là moi aussi. La Tablée des chefs est un véhicule très performant, mais ce n’est pas une fin en soi. Donc, il faut s’impliquer, par exemple, dans la politique bioalimentaire. Il faut tirer profit de toutes les occasions pour se faire entendre.
Marie-Claude Perron: Claudine, quels sont vos trucs pour arriver à convaincre ?
La passion et le dévouement. Si on se donne corps et âme à ce que l’on fait, les gens vont être plus enclins à s’investir. Et si on est capable de transmettre un message qui est convaincant, bien bâti, qui démontre qu’on est organisé et que l’on sait où on s’en va, puis que l’on dit à quelqu’un : « Tu sais, toi, tu pourrais être là, puis tu pourrais te rendre jusqu’ici. Wow, ça serait super, non ? ». C’est en étant convaincue que l’on peut convaincre les autres.
Marie-Claude Perron : Véronique, comment fait-on face aux défis liés à la structure d’une organisation ?
Ça m’a pris beaucoup d’adaptation. Au début, on me demandait de réaliser tel ou tel mandat. Je répondais : « OK, je vais le faire », parce que j’ai de l’ambition, trop parfois. Mais la réalité nous rattrape assez vite. Alors, j’ai appris à baisser mes attentes et, à chaque fois, m’assurer que j’avais plusieurs plans, A, B, C… Ce n’est pas facile de réaliser quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant, surtout qu’il y a plusieurs facteurs qui interviennent avec leurs spécificités, que ce soit les environnements, les différentes organisations ou les nombreux acteurs. Il faut constamment savoir s’adapter.
Marie-Claude Perron : Jean-Philippe, quelles sont les retombées sociales des projets d’agriculture urbaine ?
L’agriculture urbaine, c’est un outil multifonctionnel au fond. On lui donne les attributs que l’on veut lui donner. Ça peut être un vecteur intergénérationnel, de rapprochement multiculturel, une manière de se réapproprier la ville… Jean-Jacques Rousseau disait : « donne une graine à un enfant, et ça va devenir sa manière de s’approprier le monde dans lequel il vit. » Un jardin, c’est parfait pour ça. Jardiner, c’est prendre soin de quelque chose, l’entretenir, récolter les fruits de son travail. L’agriculture urbaine, ça permet aussi de questionner les règlements : « Pourquoi j’ai pas le droit d’avoir de poules chez nous ? Pourquoi j’ai pas le droit d’avoir un jardin en façade ? ».
Marie-Claude Perron : Si vous aviez une chose à recommander à l’auditoire pour créer l’impact, quelle serait-elle ?
Claudine Labelle : S’attacher à sa passion. Quand on est convaincu du message que l’on porte, on peut surmonter n’importe quel obstacle et trouver les solutions à tous nos problèmes.
Jean-François Archambault : Moi je dirais : passez à l’action. Posez un geste. Allez de l’avant. Avancez d’un pas. Foncez. En osant, vous allez apprendre sur vous, vous allez en apprendre sur votre projet, vous allez en apprendre sur vos ambitions et sur votre capacité d’agir. Et surtout, partagez avec vos enfants ce que vous faites. En leur expliquant ce que vous faites et pourquoi vous le faites.
Véronique Carbonneau : Connaître la cause pour laquelle on se lève le matin. La connaître vraiment en profondeur pour avoir une perspective 360. Et donc connaître tous les acteurs du milieu. Parce que les solutions, elles existent souvent déjà. Il y a sans doute quelqu’un, parmi tous ses acteurs, qui détient la solution. C’est pourquoi il est important de se tenir constamment à jour, parce que ça change très rapidement dans ce monde-là.
Jean-Philippe Vermette : Moi, j’ajouterais… peut-être de faire attention à vous autres. Quelqu’un de passionné sur le burnout… avec des troubles anxieux… c’est pas l’idéal. Alors, reposez- vous, passez du temps avec vos enfants. Oui, c’est bien beau de se dire : je suis en train de changer le monde… mais il y a aussi ma maison, mes enfants, ma vie. Je ne peux pas porter le monde tout seul sur mes épaules. C’est ensemble qu’on va le réaliser, ce projet-là !