Récemment, plusieurs parents nous ont signifié leur préoccupation au sujet d’une pratique consistant à distribuer du popcorn dans certaines écoles primaires et secondaires du Québec. Voici une petite histoire qui rappelle l’importance de rester vigilant en matière de publicité alimentaire.
Au cours des mois d’avril et mai, par le biais d’un concours sur sa page Facebook, l’entreprise Bad Monkey Popcorn a lancé une campagne de distribution gratuite de ses produits dans les écoles. L’entreprise montréalaise invitait ses abonnés Facebook à soumettre la candidature d’une école pour courir la chance de recevoir une visite de ses représentants et du popcorn gratuit. Ce don de popcorn remis aux jeunes et aux équipes-écoles n’est cependant pas neutre : il s’accompagne d’une offensive marketing comprenant le camion aux couleurs de la marque, les boîtes arborant l’image du « méchant singe » ainsi que la fameuse mascotte. Le 29 mai dernier, l’entreprise confirmait avoir déjà visité trois écoles, dont au moins une école primaire, et réaffirmait sa volonté d’en visiter 50 par année. Tout ça pour « redonner » à la communauté selon l’entreprise. S’agit-il vraiment d’un geste de générosité désintéressée ?
Une pratique illégale au primaire
L’initiative de Bad Monkey contrevient sans ambiguïté à la Loi sur la protection du consommateur (LPC), qui interdit, depuis 1980, toute publicité ciblant les enfants de moins de 13 ans. Le guide d’application de la Loi indique que « l’utilisation d’un logo ou d’une mascotte pour représenter un bien, un service, un organisme ou une entreprise constitue un message publicitaire » si les conditions réunies permettent de démontrer que les enfants sont ciblés. Et c’est le cas ici.
Je ne vous cacherai pas mon sentiment d’indignation en apprenant cette affaire. Depuis ses débuts, la Coalition Poids se fait un devoir de dénoncer les mauvaises pratiques de certaines compagnies ou entreprises du domaine de l’alimentaire, que ce soit en matière de publicité faite aux enfants ou de stratégies commerciales pouvant induire le public en erreur. Alors, sans attendre, nous avons déposé une plainte à l’Office de protection du consommateur (OPC) pour publicité illégale. En conséquence, le 6 juin, Bad Monkey Popcorn suspendait sa campagne publicitaire visant les écoles primaires suite à la réception d’un avis de l’OPC.
Bad Monkey plaide l’altruisme
Après l’intervention de l’OPC, la compagnie a indiqué sur sa page Facebook[1] que, si elle devait cesser la visite des écoles primaires, elle évaluait « ses options » dans le but de poursuivre le concours au niveau secondaire. Refusant de ranger sa démarche dans la catégorie des campagnes publicitaires, Bad Monkey a plutôt souligné que son « intention a toujours était (sic) d’apporter des sourires aux visages des enfants et de leur offrir une petite surprise pour illuminer leur journée ». J’en doute ! Si c’est bien le cas, c’est justement un problème d’associer un produit au sourire des enfants...
La distribution gratuite d’un produit associé à une marque n’est pas une pratique anodine. Les effets de la publicité alimentaire destinée aux enfants sont documentés dans la littérature : elle influence leurs préférences, leurs comportements et leurs connaissances alimentaires, en plus de les pousser à exercer de la pression sur leurs parents pour obtenir le produit convoité. L’impact de la publicité est plus grand chez les enfants en raison de l’immaturité de leur développement cognitif.
Les adultes ayant participé au concours au nom de l’école de leurs enfants ne sont pas à blâmer : les impacts pernicieux à court et long terme de la publicité ciblant les enfants sont encore trop peu connus du public, tout comme la Loi sur la protection du consommateur.
Cela dit, les équipes de marketing savent très bien que susciter l’établissement d’un lien affectif avec une marque par des initiatives qui, comme celle de Bad Monkey, visent à faire vivre un moment de joie aux enfants, est une stratégie très efficace de fidélisation. L’ignorance que plaide Bad Monkey à l’égard de la Loi, quoique peu plausible, ne peut pas être exclue, mais il n’en demeure pas moins vrai que leur stratégie commerciale visait les enfants et que cela est inacceptable.
Popcorn d’exception et politique alimentaire
L’école n’est pas un lieu où les compagnies devraient débarquer pour promouvoir leurs produits aux enfants. Même si offrir du popcorn très sucré ou salé aux élèves lors d’une occasion spéciale n’est pas en soi un problème, de tels concours peuvent nuire aux efforts des écoles qui s’efforcent de promouvoir une saine alimentation.
À ce chapitre, je tiens à rappeler que pour éviter les excès d’aliments d’exception proposés aux élèves et saisir toutes les occasions de créer des liens positifs avec des aliments sains, il est pertinent pour une école de planifier son offre alimentaire lors des événements spéciaux. D’ailleurs, un nouvel outil, qui inclut aussi un modèle de résolution pour les conseils d’établissements scolaires, permet justement de soutenir les écoles dans la planification et l’amélioration de leur offre alimentaire lors des fêtes et activités spéciales.
J’invite les parents à contacter la Coalition Poids chaque fois qu’ils remarquent ce genre d’offensive marketing ciblant les enfants, que ce soit à l’école ou ailleurs. Car nul n’est censé ignorer la Loi sur la protection du consommateur ! Surtout si ce dernier est un enfant.
[1] Depuis le 8 juin, les publications de l’entreprise et du public ayant suivi l’annonce du retrait du concours au primaire ont été supprimés de la page de l’entreprise.