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Depuis quelques années, le glanage « pousse » bien au Québec, où l’on compte actuellement 19 groupes organisés. Deux responsables de projets en Mauricie et dans le Bas-Saint-Laurent témoignent des retombées sociales de cette activité, notamment sur la vitalité des communautés.
Magaly Macia, est la chargée du projet Des Chenaux récolte, actif depuis 2 ans dans la MRC des Chenaux. Mathieu Boyd est le coordonnateur du projet Les Fruits Partagés à Rimouski, amorcé en 2014, et chapeauté par Moisson Rimouski-Neigette.
Rappelons brièvement le principe du glanage organisé. Des bénévoles bien encadrés cueillent dans les champs, les vergers et chez les particuliers les fruits et les légumes qui n’ont pas été récoltés pour différentes raisons : surplus de production, produits trop petits, trop gros ou trop mûrs pour être vendus, etc. La récolte est ensuite partagée à parts égales entre les bénévoles, les organismes de sécurité alimentaire et les producteurs.
Le glanage et la fraîcheur
« C’est une formule gagnante pour tout le monde, explique Magaly Macia. Les bénévoles repartent chez eux avec des aliments sains, les banques alimentaires reçoivent des fruits et des légumes cueillis du matin et les producteurs sont contents de soutenir leur communauté. »
« Les fruits et les légumes frais sont les denrées que Moisson Rimouski achète le plus, ajoute Mathieu Boyd. Les épiceries nous en offrent moins que d’autres aliments et il arrive souvent qu’ils doivent être transformés parce qu’ils sont trop mûrs. Le glanage est donc une solution sur mesure pour fournir des aliments très frais aux personnes qui n’ont pas les moyens de s’en procurer. »
Le glanage, la variété et la découverte
La liste des produits récoltés par les différents organismes de glanage structuré est longue, mais aussi pleine de surprises : des prunes, du raisin, de l’argousier et des baies d’aronie dans la région de Rimouski, des pâtissons, de la livèche, des gadelles et du cassis dans la région de Des Chenaux.
« Ces récoltes atypiques favorisent la découverte de produits méconnus, tant pour les cueilleurs que pour les cuisiniers·ières », observe Magaly Macia. Bien sûr les classiques sont aussi au rendez-vous, comme les fraises, les concombres, les courges, la laitue, le maïs, les pommes, etc.
Glanage tout-terrain
Les glaneurs bénévoles ont l’occasion de travailler dans les champs, notamment les champs de fraises après l’autocueillette, mais aussi dans les vergers, dans les cours et les jardins privés, et même sur des terrains municipaux. « Le raisin que nous récoltons provient des cours de quelques citoyens et l’aronie vient du verger des Maraîchers du Cœur, un projet d’insertion socioprofessionnelle par l’agriculture, précise Mathieu Boyd. En ce qui concerne les baies d’argousier mentionnées plus haut, elles proviennent d’un aménagement ornemental de la municipalité de Rimouski. »
En se déplaçant dans les différents lieux de glanage, les bénévoles explorent leur région sous un angle différent. « Certains cueilleurs m’ont dit qu’ils avaient découvert le territoire et les maraîchers, rapporte Magaly Macia. Plusieurs ne savaient pas que certains fruits et légumes poussaient dans leur région. »
Le glanage: une pratique encadrée
Offrir aux producteurs et aux bénévoles une expérience agréable et stimulante assure la pérennité des initiatives de glanage. « Nous sommes à l’écoute des producteurs, qui peuvent avoir des réticences à voir des gens peu expérimentés dans leurs champs ou leurs vergers, reconnaît Mathieu Boyd. Il y a donc toujours quelqu’un sur place qui montre aux bénévoles comment travailler en toute sécurité et comment éviter de provoquer des dommages dans les champs, les vergers et les jardins. »
« L’autre point important pour les producteurs, qui manquent souvent de temps, c’est que nos activités soient le plus clés en main possible, ajoute-t-il. Nous apportons tout notre matériel, comme les bacs, les genouillères, les sécateurs, et nous assurons le transport des récoltes. Dans le cas des surplus dans les arbres fruitiers situés sur les terrains privés, nous avons des échelles et des sacs de cueillette, ainsi que des caisses. »
Toute cette organisation rend les producteurs et les bénévoles très réceptifs au glanage. « Les gens sont faciles à convaincre, mentionne Magaly Macia. Le glanage est valorisant tant pour les cueilleurs que pour les producteurs, puisqu’une partie de la récolte est donnée à la communauté, mais aussi parce que cette activité contribue à réduire le gaspillage alimentaire. »
Mathieu Boyd émet toutefois un bémol concernant le kilométrage parcouru. « Cette année, les différents véhicules utilisés au cours des 79 cueillettes ont roulé près de 9000 km, précise-t-il. Nous favorisons le covoiturage, mais le territoire est grand. Pour les cueillettes en ville, j’aimerais que nous ayons un kit cyclable comme celui des Fruits défendus à Montréal, mais la configuration urbaine de Rimouski s’y prête mal, car c’est une ville très étalée. »
Glaner, transformer, savourer...
La transformation joue un grand rôle dans le sauvetage des aliments trop mûrs ou qui arrivent en trop grandes quantités à la fois. « À Rimouski, la saison des prunes est à la fois très courte et très abondante, donc elles sont congelées en attendant d’être transformées dans la cuisine de Moisson Rimouski, explique Mathieu Boyd. En fait, comme la récolte prend généralement moins de temps que la transformation, nous organisons plus d’activités en cuisine que de cueillettes. » Là aussi, chaque bénévole repart, selon le cas, avec un pot de confiture, de cornichons ou une tarte.
Solidarité nourricière
Étudiants, retraités, familles : l’âge et la disponibilité des bénévoles sont variés. Et du côté des organismes bénéficiaires, le partage va au-delà des banques alimentaires. « Je livre dans des CPE, des camps, les maisons des jeunes et les cuisines collectives, précise Magaly Macia. J’ai aussi déposé beaucoup de fruits et légumes dans les trois frigos de partage mis en place par les centres d’action bénévole. J’apporte des pommes à l’école secondaire Le Tremplin pour les collations des jeunes ainsi que des fruits et légumes qui sont utilisés lors des ateliers culinaires ou que les élèves rapportent chez eux. Les enseignants m’ont dit que la distribution d’épis de maïs avait eu un succès fou auprès des jeunes cette année ! »
Plus de 200 bénévoles différents ont participé aux activités des Fruits Partagés cette année, ce qui représente 2400 heures de bénévolat. Des Chenaux récolte peut compter sur 245 bénévoles inscrits : 173 adultes, 13 adolescents et 19 enfants ont donné de leur temps cette année.
« Ça fait une dizaine d’années que je travaille dans le milieu communautaire sur différents projets comme les jardins collectifs, l’apiculture urbaine et le compostage communautaire, confie Mathieu Boyd. La mobilisation de la communauté et la participation bénévole au sein des Fruits Partagés est la plus impressionnante que j’aie vue au cours de cette période. »
S'adapter à la météo
Les aléas des changements climatiques demandent beaucoup de souplesse aux coordonnateurs de projets, qui, durant quatre mois, jonglent avec un calendrier changeant.
« La saison des Fruits Partagés a commencé deux semaines plus tôt cette année parce que les fraises étaient prêtes et super abondantes, indique Mathieu Boyd. Nous étions encore en mode préparation de la saison et tout d’un coup hop, il fallait être sur le terrain. »
« Les fins de saisons apportent parfois leur lot de surprises, par exemple lorsque les particuliers nous appellent pour vider leurs jardins, renchérit Magali Marcia. Mon travail c’est comme une boîte de chocolats, je ne sais pas ce que je vais y trouver ! »
Des tonnes de légumes, mais aussi de contacts sociaux et de dignité
Les dizaines de tonnes glanées dans l’ensemble du Québec constituent des quantités impressionnantes de fruits et légumes. Toutefois, tant Magaly Macia que Mathieu Boyd insistent sur le fait que cette activité génère des retombées sociales tout aussi importantes, même s’il est difficile de les chiffrer.
« Le plaisir d’être dehors et de socialiser est souvent mentionné par nos bénévoles, rapporte Magaly Macia. Certaines personnes ayant eu des passages de vie difficiles nous disent qu’elles se sentent mieux après leur bénévolat au champ. Tous sont égaux dans cette activité, et chacun repart avec sa part de récolte, mais aussi sa part de dignité, ce qui est très important et très touchant. »
« Les bénévoles nous font explicitement part des bienfaits des activités sur leurs liens sociaux et leur santé mentale, renchérit Mathieu Boyd. Nos activités de glanage et de transformation ont permis à des gens nouveaux dans la région, ou qui vivent des difficultés, de se créer un cercle social. Ça resserre les liens dans la communauté. Ce sont des bienfaits qu’on ne peut pas chiffrer, mais qui sont palpables. »
Préparer et manger un repas nous réunit dans la cuisine et autour de la table chaque jour, ainsi que pour des occasions spéciales. Le succès du glanage, ici et ailleurs, démontre que l’effet rassembleur de la nourriture peut commencer dès la récolte.
Pages Facebook : Les Fruits Partagés, Des Chenaux récolte
Crédit photos: Les Fruits Partagés, Des Chenaux récolte et Danie Royer (photo en Une)
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