Depuis octobre 2019, l’organisme la Cantine pour tous coordonne un projet pilote de repas scolaires pour tous dans trois écoles de Montréal et Québec. Notre journaliste a rencontré son directeur général, Thibaud Liné, pour en savoir plus sur cette initiative bien ficelée.
Un peu de contexte. La Cantine pour tous fait partie de la Coalition pour une saine alimentation scolaire, qui milite activement pour que le gouvernement fédéral investisse dans un programme universel d’alimentation scolaire. Actuellement, même si des projets pilotes sont en cours à l’Île-du-Prince-Édouard, dans une petite ville de Colombie-Britannique et au Québec, la province de Terre-Neuve-Labrador est la seule qui a mis en place un tel programme.
100°. Comment est née la Cantine pour tous ?
Thibaud Liné. L’organisme est né en 2016 sous l’impulsion du Collectif de la table des écoliers. Fondé en 2010, ce collectif est un regroupement d’organismes communautaires, d’entreprises d’économie sociale et d’insertion qui assurent la Mesure alimentaire depuis 25 ans dans des écoles de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB). Toutefois, la mission de la Cantine pour tous est de coordonner la mise en place d’un programme universel dans tout le Québec.
Nos projets pilotes ont débuté à l’automne passé dans trois écoles primaires. À Montréal, il s’agit de la nouvelle école primaire de LaSalle dans la CSMB et de l’école Saint-Clément dans la CSDM. À Québec, c’est l’École Sacré-Cœur qui nous sert de fer-de-lance.
Qu’est-ce qui différencie les projets pilotes coordonnés par la Cantine pour tous de la Mesure alimentaire déjà en place ?
La Mesure alimentaire est accordée aux écoles situées dans des quartiers défavorisés et s’adresse seulement aux élèves dont les parents fournissent une preuve de faible revenu : ces derniers payent alors 1,10 $ pour le repas du midi. L’objectif de la Cantine pour tous est d’offrir un programme accessible à tous, quel que soit le revenu familial.
De plus, la Mesure alimentaire est imparfaite, car l’indice de défavorisation utilisé par le MÉES est basé sur l’école et le quartier et non pas sur les élèves qui fréquentent l’établissement. Un programme universel soutient tous les élèves, nantis ou pas, quelle que soit la localisation de leur école. Or, la richesse n’est pas une garantie d’alimentation saine. Seulement un tiers des enfants mangent les cinq portions de légumes et fruits recommandées, et l’obésité touche toutes les classes sociales.
Un programme universel de repas sains à l’école profite à tous les parents et leurs enfants. Planifier et faire des lunchs chaque jour en respectant le Guide alimentaire canadien représente tout un casse-tête pour bien des familles. La Cantine pour tous peut alléger cette charge mentale.
Les repas sont-ils gratuits ?
Non, mais ils sont très abordables, puisque la contribution minimale demandée est de 1 $. Le prix suggéré est toutefois de 5,50 $, mais les foyers contribuent à hauteur de leurs moyens dans cette fourchette. Comme les commandes sont faites sur notre plateforme, il n’y a pas de stigmatisation, car, à l’école, personne ne sait qui a payé combien.
Jusqu’à présent, la réponse des parents est très positive. Le montant des contributions est plus élevé que prévu et certains choisissent même de payer davantage, pour soutenir le programme. Mais à ce jour, les montants supérieurs à 5,50 $ ne compensent pas les contributions moindres. La Cantine pour tous absorbe la différence grâce à un financement du gouvernement du Québec et des dons privés.
Les gouvernements fédéral et provinciaux ont d’ailleurs tout intérêt à subventionner un programme universel, puisque les bienfaits sur la santé des enfants, leurs habitudes alimentaires et leurs résultats scolaires sont bien documentés. Il y a là une opportunité de réduire les dépenses liées à ces enjeux, ce qui représente tout un retour sur l’investissement !
Comment fonctionne votre plateforme de commande ?
Il s’agit d’une application web de commerce en ligne adaptée pour tous les écrans. Les parents choisissent le montant de leur contribution, commandent jusqu’à trois jours avant la livraison et payent par carte de crédit ou virement Interac. Les traiteurs détaillent chaque mois leurs menus sur cette plateforme et y recueillent les commandes, ce qui leur permet de planifier de façon précise leur production et leurs livraisons. De notre côté, nous supervisons la bonne marche de cet outil web, suivons les transactions et générons des données statistiques dans le but d’optimiser le programme.
Pour le moment, seules les trois écoles pilotes apparaissent sur la plateforme, mais celle-ci est conçue pour un grand nombre de clients et de fournisseurs. En fait, elle est conçue de façon à soutenir le déploiement du programme partout au Québec.
Au-delà de cette plateforme de commande, quel est votre rôle dans la mise en place d’un programme universel d’alimentation scolaire au Québec ?
Nous agissons comme catalyseur pour nos 22 membres actuels. Dans le cadre de la mise en place d’un programme universel, nous voulons favoriser la croissance des « traiteurs sociaux » qui produisent et distribuent déjà des repas. L’idée est de les soutenir lorsqu’ils souhaitent augmenter leur capacité de répondre aux besoins des écoles et des communautés.
Notre rôle est de les mettre en réseau. Par exemple, si un traiteur qui produit 300 repas veut augmenter à 1000, nous pouvons le mettre en contact avec un membre qui en fournit 3000, afin qu’il adopte une méthodologie efficace pour changer d’échelle. Nous voulons briser les silos pour que le secteur social des traiteurs prenne son essor.
Pouvez-vous aussi aider vos membres s’ils ont besoin de nouveaux locaux ?
Il y a effectivement un besoin d’accompagnement à ce chapitre, car l’agrandissement des locaux, le déménagement dans un espace plus grand ou l’achat d’un nouveau camion de livraison constituent des obstacles importants à la croissance des organismes communautaires et des entreprises sociales. Dans un premier temps, notre objectif est de soutenir le traiteur pour qu’il optimise l’utilisation de ses espaces de travail.
Mais si la pleine capacité est déjà atteinte, c’est d’abord vers les infrastructures sous-utilisées qu’il faut se tourner. Nous allons centraliser l’offre et la demande de locaux et d’équipements. Ainsi, une deuxième équipe de production pourrait travailler dans une cuisine déjà existante. Nous travaillons en ce moment à développer une plateforme qui répondra à ce besoin de mutualisation.
Un programme universel entraîne-t-il une uniformisation des repas offerts ?
Ce n’est pas l’objectif. L’idée est de s’adapter aux réalités locales plutôt que l’inverse. Les traiteurs adaptent leurs menus aux besoins et préférences de leur clientèle, et nous devons leur laisser cette marge de manœuvre. En revanche, nous imposons des normes d’hygiène et de salubrité. Aucune concession n’est faite sur ce point, parce qu’il en va de la crédibilité de notre initiative.
Par ailleurs, nous travaillons sur des critères de qualité nutritive. Pour le moment, tous les menus offerts par nos membres sont validés par les nutritionnistes des différentes commissions scolaires. Un gros travail d’informatisation est nécessaire pour arriver à une validation uniforme sur ce point.
Envisagez-vous un approvisionnement commun ?
Nous n’en sommes pas là, parce que justement, ça contraindrait les traiteurs à utiliser les mêmes ingrédients au même moment et à uniformiser leurs menus. Pour le moment, d’autres organisations se penchent sur l’approvisionnement local des institutions publiques d’un point de vue plus global. C’est très porteur pour soutenir l’agriculture de proximité, ce qui rejoint notre mission sociale, mais actuellement notre priorité est de déployer le programme dans d’autres écoles.
Combien d’écoles comptez-vous inclure dans cette phase de déploiement ?
Nous allons aller là où les opportunités se présentent. Les écoles commencent à nous solliciter, notamment celles qui ont perdu la Mesure alimentaire parce que l’indice de défavorisation de leur quartier a changé à la suite d’un embourgeoisement. Avant de déployer le programme à grande échelle, nous explorons la possibilité de créer des grappes autour de certains de nos membres. Nous avons établi des contacts en Outaouais et au Lac-Saint-Jean, mais pour le moment, nous ne sommes pas en mesure d’annoncer un nombre précis de nouvelles écoles.
Les trois projets pilotes en cours fonctionnent bien, même si aucune des écoles n’avait de service alimentaire avant. Dans les deux écoles montréalaises, nous recueillons régulièrement les commentaires des parents et des élèves et faisons la promotion du service auprès de ceux qui ne l’ont pas encore essayé. Des enfants le demandent à leurs parents, et ça, c’est bon signe ! En leur offrant le choix entre un plat du jour carné ou végétarien, et deux options plus classiques, nous leur donnons l’occasion de manger ce qu’ils aiment et nous espérons créer un effet d’entraînement sur les autres élèves.
D’ailleurs, il est grand temps, au-delà des effets bénéfiques sur les habitudes alimentaires et les résultats scolaires, de donner à tous les enfants l’occasion de manger ensemble un bon repas chaud à l’école plutôt que d’avaler en vitesse un sandwich et une boisson sucrée.
En combien de temps le programme pourrait-il être déployé au Québec et dans l’ensemble du Canada ?
Il est possible de mettre assez rapidement en place un très bon programme universel au Québec et au Canada, à trois conditions : une réelle volonté politique au niveau fédéral et provincial, l’implication du milieu communautaire et la participation des parents. Au niveau politique et du côté parental, un changement de perspective est nécessaire : bien nourrir tous les enfants doit être vu comme une responsabilité collective.
Photos fournies par la Cantine pour tous
Un programme universel à Terre-Neuve-Labrador et des projets pilotes dans deux autres provinces
Au Canada, la province de Terre-Neuve-et-Labrador finance School Lunch depuis 1989. Environ 6300 élèves répartis dans 36 écoles en profitent de la façon suivante :
- Les parents payent une cotisation annuelle de 20 $.
- Le prix suggéré est de 3,75 $ par repas ; il n’y a pas de prix minimal.
- Les commandes se font en ligne chaque mois.
- Le financement provient du gouvernement provincial et d’entreprises privées.
Ça bouge en Colombie-Britannique et à l’Île du Prince-Édouard
En février 2019, un projet pilote a commencé dans trois écoles de New Westminster une ville de 70 000 habitants située près de Vancouver, en Colombie-Britannique. Les repas, maintenant offerts sur une base volontaire dans les 11 écoles de la ville, coûtent 5,75 $. Les foyers à faible revenu peuvent faire une demande confidentielle de soutien financier. Les commandes se font en ligne, chaque semaine.
L’association des écoles publiques de l’Île-du-Prince-Édouard travaille sur un programme provincial de repas scolaires sains depuis 2015. En janvier 2020, un projet pilote a débuté dans six écoles et un déploiement dans les 62 écoles de la province est prévu dès l’automne 2020. Les parents payent un maximum de 5 $ par repas, avec la possibilité de moduler ce montant en fonction de leur capacité financière.
Un dossier à suivre
Les pressions exercées depuis 2014 par Coalition pour une saine alimentation scolaire Coalition pour une saine alimentation scolaire commencent tout juste à porter fruit. Ainsi, en mars 2019, le gouvernement fédéral a annoncé sa volonté de mettre en place un programme national d’alimentation scolaire, sans toutefois y consacrer une enveloppe budgétaire. Puis, en février 2020, un député de Vancouver a présenté un projet de loi privé qui obligerait le gouvernement fédéral à financer un tel programme.